Liger : critique S.O.S d'un Mike Tyson en détresse

Clément Costa | 1 septembre 2022
Clément Costa | 1 septembre 2022

Sur le papier, Liger de Puri Jagannadh avait tout pour être le pur plaisir régressif de cette fin de mois : des combats qui tachent, Mike Tyson découvrant le cinéma indien et une compétition bête et méchante de MMA. Le résultat est pourtant bien loin de ces belles promesses.

Jeunesse lève-toi

Dans la lignée des triomphes nationaux comme RRR ou K.G.F : Chapter 2, les industries indiennes se lancent toutes à la recherche du nouveau phénomène qui transcendera la portée régionale imposée par la spécificité du box-office local. Sous bien des aspects, Liger avait l’ambition d'être une de ces exceptions. Co-production entre le cinéma hindi et télougou, casting mêlant stars de Tollywood et Bollywood, le film annonçait même une volonté de briller à l’international avec la présence aussi improbable qu’intrigante de Mike Tyson.

Au-delà d’un casting varié, l’autre point crucial pour toucher le pactole au box-office national est de toucher les jeunes. C’est bien le dénominateur commun de tous les récents blockbusters indiens : des longs-métrages qui attirent en masse un public à la moyenne d’âge plutôt basse.

 

Liger : photoEt c'est parti pour le show

 

Trop conscient de ce défi, Liger adopte immédiatement un ton faussement jeune et cool. Désespéré de ne pas faire son âge, le cinéaste Puri Jagannadh tombe dans l’équivalent cinématographique du freestyle rap de Michael Scott. On accumule alors les clichés embarrassants : une héroïne influenceuse, des dialogues avec moins de cohérence qu’un cadavre exquis, le tout ayant pour obligation de placer "hashtag" et "OMG" toutes les cinq minutes de façon aléatoire pour plus de fun.

Comble de l’horreur, le montage de Junaid Siddiqui achève de créer une abomination pensée par des boomers, pour des zoomers. Déjà collaborateur du cinéaste sur le très oubliable iSmart Shankar, Siddiqui enchaîne les séquences montées comme des vidéos TikTok. Effets outranciers, filtres particulièrement laids, Liger ose même d’affreuses séquences dansées censées finir en tendances chez les 15-25 ans.

 

Liger : photoQuand tu surveilles tes followers ton public

 

Paradoxalement, Liger s’avère totalement méprisant envers ce fameux public cible. Tout le propos du film ressemble rapidement à un micro-trottoir sur BFM TV nous beuglant que la jeunesse est stupide, superficielle et sans valeurs. À l’image de cette séquence hallucinante lors de laquelle l’héroïne tente de filmer une vidéo dans un temple et se fait allégrement rabaisser par la mère du héros.

Preuve ultime qu’il ne comprend pas son public, le long-métrage s’avère être un festival de misogynie à l’ancienne qui ne manque pas une occasion de rabaisser son héroïne et la gent féminine de manière générale. Seule femme qui trouve grâce aux yeux du cinéaste, la mère du héros qui tient probablement les propos les plus rétrogrades du film. Elle va jusqu'à implorer l'héroïne de quitter son fils chéri pour la simple et bonne raison qu'un sportif ne peut pas "être distrait" par une femme.

 

Liger : photoL'état psychologique du "public cible" après 30 minutes

 

Walking disaster

Du haut de ses 22 ans de carrière et 35 longs-métrages, le réalisateur Puri Jagannadh était encore récemment une référence pour le cinéma de divertissement télougou avec des succès comme Pokiri. On le sentait perdre en vitesse depuis quelque temps, mais Liger vient lui asséner le coup de grâce.

La mise en scène est accablante d’amateurisme, le découpage n’a aucun sens. Pire encore, le cinéaste perd tout sens du rythme dans sa façon de filmer l’action. On ne ressent jamais l'impact des coups ni la vitesse des duels. Avec un budget honorable dépassant celui du récent K.G.F : Chapter 2, le résultat fait peine à voir.

 

Liger : photoCeci n'est pas un appel à l'aide

 

Pour ne rien arranger, l’écriture ne relève pas le niveau. Jagannadh nous présente des coquilles vides qui n’ont même pas la décence d’être des personnages fonction. Le seul trait de personnalité du héros est son bégaiement, censé être à la fois le nœud dramatique du récit et son unique ressort comique. Ignorant comment rendre crédible son univers, le cinéaste nous balade de cliché en cliché, osant évidemment le dojo dont les murs ornent fièrement des portraits de Bruce Lee.

En théorie, il semblait impossible de totalement rater un film sportif. Problème, là encore Puri Jagannadh semble incapable de gérer ne serait-ce qu’un seul des poncifs du genre. La compétition sportive arrive bien trop tard, le training montage est littéralement expédié en une vingtaine de secondes, la relation entre le héros et son mentor reste superficielle au possible. Jusqu’au segment final qui abandonne toute narration et n’a même pas la décence d’aller au bout de la compétition.

 

Liger : photoÀ vos marques, prêts, fuyez !

 

Maps to the sitar

S’il illustre courageusement ce qui se passe lorsqu’on fait un film sans réalisateur, sans scénario et sans monteur, Liger aurait pu être sauvé de justesse par ses acteurs. Après tout, Vijay Devarakonda s’est énormément investi dans le projet et sa transformation physique est impressionnante. Malheureusement, son surjeu lors des dialogues bégayés vient annihiler toute tentative de crédibilité.

Face à lui, la tendance est au naufrage. Ananya Pandey est peut-être l’illustration même de ce qui se passe lorsqu’on laisse le népotisme décider d’une carrière. Cependant, aucune actrice au monde ne pouvait sauver un personnage aussi mal écrit. Ramya Krishnan se contente de crier en écarquillant les yeux, se souvenant douloureusement d’une époque pas si lointaine où elle brillait dans Baahubali. Habitué aux films qui ne méritent pas son talent, Ronit Roy est le seul à y croire un minimum et à jouer juste.

 

Liger : photoSweet home Alabama

 

Mais la plus grande déception de Liger se trouve probablement du côté de Mike Tyson. Présent dès les premiers posters, deuxième nom cité au générique, l’ancien boxeur n’apparaît pas avant le dernier quart d’heure. Mal dirigé, doté d’un look improbable, entouré de figurants russes feignant un mauvais accent américain, on en vient presque à regretter sa performance dans Ip Man 3.

Son arrivée nous montre au passage ce que le film pouvait être dans le meilleur des cas : un pur nanar, divertissant sans le faire exprès. Mais là encore, c’est un rendez-vous manqué. Pour un quart d’heure final de plaisir coupable, Liger nous inflige plus de deux heures de torture visuelle et mentale.

 

Liger : Affiche officielle

Résumé

Trop horripilant pour être un vrai plaisir nanardesque, Liger reste une déroute assez fascinante. Une expérience empirique de ce qui se passe quand on décide de faire un film sans scénario ni cinéaste, monté pour TikTok. Un candidat idéal au titre de pire film de l'année.

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commentaires
BlackAdaube
02/09/2022 à 12:51

Par curiosité malsaine, ça donne presque envie !

Moixavier58
01/09/2022 à 21:17

Donc s'il est en telechargement, il suffit de regarder les 15 dernières minutes

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