Trois mille ans à t'attendre : critique qui a eu raison de patienter

Antoine Desrues | 19 août 2022 - MAJ : 30/08/2022 11:34
Antoine Desrues | 19 août 2022 - MAJ : 30/08/2022 11:34

Alors que Mad Max : Fury Road s’est imposé en œuvre somme d’une richesse infinie, George Miller s’est permis une parenthèse avant le spin-off Furiosa. Avec Trois mille ans à t'attendre, le cinéaste synthétise toute l’approche anthropologique et mythologique de son art, dans une version shootée aux hormones des Mille et une nuits portée par Tilda Swinton et Idris Elba. Le génie est encore une fois sorti de sa lampe !

Fury tale

Au-delà d’avoir rappelé la rareté d’un auteur précieux à la filmographie restreinte, Mad Max : Fury Road a estomaqué le monde entier par le retour inespéré d’un cinéma de l’épure. La course-poursuite géante de George Miller, aussi grisante soit-elle, a surtout été la matérialisation la plus littérale qui soit d’un parcours héroïque ramené à son plus simple – et bel – appareil : une fuite en avant donnant l’impression d’un unique mouvement continu.

Par la puissance de son montage à la fluidité virtuose, Miller n’a cessé au fil de sa carrière de se réapproprier des structures narratives archétypales pour mieux transcender leurs limites et celles du cadre. Nous voilà avec la sensation tétanisante que le film est bien plus grand que ce qu’il présente. Il faut accepter d’embarquer dans ce mouvement incessant comme on embarquerait dans un manège, en sachant d’avance que le voyage risque de nous transformer à jamais.

 

 

 

 

Par chance, Trois mille ans à t’attendre suit exactement cette même logique, et l’explicite même brillamment dès ses premiers plans, où les roues d’un avion se raccordent parfaitement avec les roues d’un porte-bagages. L’ellipse n’est pas seulement maline : elle condense tout le parti-pris d’un film dont le geste est cette fois mutant, porté par l’idée de la transition et de la passation.

Alithea (Tilda Swinton, toujours aussi magnétique) est une narratologue partie à Istanbul pour une conférence. Par le fruit du hasard, elle récupère une babiole qui contient un Djinn (Idris Elba, parfait en génie tragique). Comme à son habitude, l’être surnaturel propose à sa libératrice trois vœux, mais Alithea refuse de les formuler au vu de sa connaissance des contes, de peur que ses choix ne se retournent contre elle.

 

Trois mille ans à t'attendre : Photo Tilda Swinton, Idris Elba"On refait un marathon Mad Max et Happy Feet ?"

 

Billie Djinn

Si George Miller a toujours pensé la viscéralité de son cinéma à l’aune de l’universalité des mythes qu’il met en scène (il reste peut-être le meilleur interprète du monomythe campbellien), la première mutation de Trois mille ans à t’attendre est à chercher du côté de ses personnages. Jamais le cinéaste n’a filmé d’alter-egos aussi évidents et explicites, qui détricotent ensemble la mécanique de l’imaginaire pour mieux l’embrasser.

En s’attaquant au livre d’A.S. Byatt à la manière d’un conte de fées moderne très premier degré, le cinéaste signe ici son œuvre la plus ouvertement post-moderne et analytique, sans pour autant que l’émotion ne soit sacrifiée.

 

Trois mille ans à t'attendre : photoIl y a même de la vilaine bébête

 

Au contraire, le long-métrage saute avec bonheur dans une naïveté revigorante, celle d’une croyance indéfectible dans le pouvoir d’évocation des images et des sons comme garants de notre interprétation du monde, et par extension de notre humanité. Au travers d’une imagerie volontairement kitsch qui mêle les époques et les esthétiques, Miller en appelle à une forme de transe sensitive, confirmée par l’un des récits du Djinn autour d’une jeune chercheuse qui découvre le vertige de la découverte scientifique grâce aux pouvoirs du génie.

Capable de croquer en une poignée de plans des personnages même mineurs dans toute leur complexité, le réalisateur fait de son film une œuvre bouleversante sur le hasard terrible de la vie, sur ce mouvement permanent du temps et ses enchaînements de causes et de conséquences qui peuvent graver dans le marbre certaines existences, ou au contraire les effacer (on pensera à cette scène d’assassinat marquante à base d’éperons plantés dans le sol).

 

Trois mille ans à t'attendre : photoOubliez Game of Thrones

 

Miller's Crossing

Alors qu’un chapitrage s’inscrit progressivement à l’écran, tout n’est qu’affaire de marque, de trace. Le désert de Fury Road et son ciel sans nuages prenaient la forme d’une page blanche, attendant d’être habitée par l’épopée de ses protagonistes (encore plus dans la version Black & Chrome). Dans Trois mille ans à t’attendre, c’est cette fois la chambre d’hôtel d’Alithea, avec ses murs blancs et gris impersonnels, qui font figure de toile vierge. A l’ouverture du bibelot, le Djinn se répand comme un géant dans l’espace. Oserait-on même dire qu’il se déverse, tant le cinéaste développe la métaphore filée du liquide pour donner encore plus de liant à son montage.

De la forme nébuleuse du génie à l’image saisissante d’une araignée qui se liquéfie, les mythes et leur transmission orale débordent sur les images et les tableaux parfaitement composés du cinéaste. La pureté de la mise en scène de Miller, depuis toujours fasciné par la simplicité du sens promulgué par la connexion de deux plans, atteint ici un sublime insoupçonné. Ses images ne peuvent pas exister dans leur unicité. Elles doivent être poreuses, prêtes à s’enchevêtrer, et ainsi dépasser la simple intimité de ses héros. On le comprend d’ailleurs dans la dernière partie brillante du film, où le romantisme du récit est rattrapé par une cacophonie de sons perçus par le Djinn.

 

Trois mille ans à t'attendre : photo, Idris ElbaEvanescence

 

C’est dans ces moments-là que Trois mille ans à t’attendre est le plus beau : lorsqu’on sent que son hors-champ nous emporte encore plus loin, et que le long-métrage nous échappe par sa grandeur vertigineuse. En s’attelant à comprendre comment l’humanité se définit par son imaginaire, Miller effleure une dimension cosmique renversante, et joue des possibilités du cinéma numérique pour affranchir sa caméra des frontières du physique dans des séquences aussi spectaculaires qu’inédites.

Le réalisateur combat plus que jamais la matière et ses limites, alors même que ses outils d’artiste sont purement prosaïques et techniques. Là réside sans doute le défi le plus passionnant du cinéma de George Miller : matérialiser l’immatériel, donner un mouvement physique à des parcours spirituels.

Difficile alors de ne pas voir dans le personnage d’Alithea le plus beau double possible du réalisateur. Lors de sa conférence à Istanbul, elle s’interroge sur le but de créer des figures mythologiques. En bref, à quoi nous sert l’imaginaire ? On en a besoin, pas seulement pour pallier notre incompréhension du monde, mais pour lui donner un sens salvateur, une raison d’être, celle-là même que les deux personnages solitaires de Trois mille ans à t’attendre n’ont jamais pleinement réussi à trouver. Les héros de George Miller sont toujours confrontés à "cette désolation qu’est le monde” comme le dit le carton final de Fury Road. Ils ont besoin de se connecter, de se retrouver, de s’aimer. Via les histoires qu'ils créent.

 

Trois mille ans à t'attendre : affiche

 

Résumé

A la fois récit mythologique fou et œuvre méta-réflexive passionnante, Trois mille ans à t’attendre condense toutes les obsessions de George Miller dans un bijou universel et vertigineux. L’un des plus grands films de l’année, par l’un des plus grands cinéastes au monde.

Autre avis Simon Riaux
Renouant avec l'influence décomplexée de Metal Hurlant, George Miller hybride ses influences multiples pour composer déclaration d'amour d'un personnage à l'auteur qu'il ne sera jamais. Vertigineux, analytique et aussi généreux qu'un gros buvard de LSD.
Autre avis Alexandre Janowiak
George Miller célébre le pouvoir de la narration et de l'imagination avec Trois mille ans à t'attendre, voyage métaphysique dingue entre la fresque féérique et le huis clos intimiste. Une balade humaniste, poétique et apaisante qu'on voudrait ne jamais voir se terminer.
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Lecteurs

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commentaires
Ellora
03/12/2022 à 19:03

L'Amour ne s'explique pas et je ne peux expliquer ce film... Pour la deuxième fois, il me laisse simplement vibrante d'émotion et en larmes. Sans explications.
Il remporte la palme de mes meilleurs films.

Bâtisse
27/10/2022 à 01:41

C'est beau mais c'est creux ça ne raconte finalement pas grand chose et c'est dommage, on attends que ça décolle mais finalement jamais , le film est plat on suit les story du djinn qui au final sont inintéressante et c'est bien dommage. La fin arrive bien trop vite et est bâclé comme ci il manqué 15 min de film c'est très étrange. Un bel emballage qui ne sauve pas de l'ennui. On arrive au bout et on ce dit tout ça pour ça . Dommage

Mathias
04/10/2022 à 00:18

Une merveille de bout en bout, le plus beau film que j'ai pu voir cette année
George Miller nous livre un cadeau qui s'inscrira dans l'histoire du cinéma pour les trois prochains millénaires au moins

Depuis Fury Road, il est touché par la grâce !

Nicowtine
03/10/2022 à 09:35

Le film est loin d'être inintéressant, propose de jolies histoires et idées d émise en scène, mais pour moi traîne beauuuuucoup trop en longueur et je me suis au final pas mal ennuyé.

Je pense que l'histoire et le concept auraient mieux convenu à un format court/moyen métrage

Kyle Reese
21/09/2022 à 22:10

@Flo

Belle critique dans laquelle je me retrouve.
Un très agréable moment. Une mise en scène d'une fluidité assez incomparable.
Un auteur/réalisateur qui explicite littéralement sa fascination pour la narration en donnant de multiples pistes d'analyse sur son propre thème ça donne une très bonne histoire. De très beaux visuels, un peu déroutant dans la frontalité du numérique qui ne se cache pas, créant une sorte d'équivalant cinématographique aux contes illustrés grands formats pour petits et grands enfants avec de multiples couleurs et dorures.
J'ai beaucoup aimé le message de fin. On ne force pas l'amour, même avec un vœux, on le donne et il pourra alors peut être venir en retour. Donner la liberté à la personne que l'on aime est la plus belle preuve d'amour.

Tilda Swinton est comme à son habitude, magnétiquement parfaite, et Idris Elba impressionnant de charisme et de douceur. Le duo est très réussi. Miller est un grand directeur d'acteurs.

Après j'ai l'impression que la forme étonnante détourne peut être un peu du fond donnant à ce film l'impression d'une pure fantaisie sucré, ce que Miller a peut être juste voulu. Avec le temps et de nouvelles vision on verra ce qu'il adviendra de ce film réjouissant bien qu'un peu bizarre. Je ne saurais positionner ce film dans mon top Miller. Pas grave ... ^^

Ash77
19/09/2022 à 18:32

Mitigé par ce film. Magnifiquement filmé de la première à la dernière image, l'histoire n'est malheureusement pas passionnante et on s'ennuie un peu. L'expérience vaut le coup mais pas pour tout le monde (ma femme et mon fils ont trouvé ce film nul.).

Dr.ik
04/09/2022 à 01:24

Film envoûtant, très bien conté, beau jeux d acteur/trice, jolis effets visuels, j aime bien les tableaux historiques qui m ont visuellement fait penser à 300 d un autre miller. Belle recherche graphique. Voilà, tout ça c est pour la forme. Mais pour moi, ce qui compte vraiment c est le fond. Et là...
Belles histoires d amour, le remaniement (léger) du mythe, mais au final rien qui ne tienne vraiment en haleine, rien de surprenant. Je trouve le final assez mièvre et trop évident.
Au fond, je me suis pas vraiment ennuyé et j'ai ai trouvé que le film est un bel objet cinématographique, mais il ne m a pas emballé plus que ça dans le déroulement et le dénouement de l histoire. Voilà c est mon avis, et je pense que c est très important d aller le voir pour soutenir ce genre de film. Comme Vesper, ou the visiteur du futur

Flo
30/08/2022 à 13:36

– De la bouteille, à l’alambic –

Par rapport à un film qui repose beaucoup sur l’expression « Il était une fois… », utilisons plutôt la conjonction « Si » :

– Si vous avez une grande culture érudite des films, « 3000 ans à t’attendre » ne va peut-être pas vous surprendre de manière bien extatique, surtout avec ces tableaux historiques représentés avec force effets numériques (ce qui synthétise beaucoup trop ce qui devrait apparaître comme organique).
À la thématique des vœux du Djinn, le moyen qui a été choisi dans cette histoire pour la décoder apparaîtra comme assez simple, voir même adolescent :
[ mettez face-à-face un génie surnaturel et un génie intellectuel, dont les capacités hors-normes les isolent du reste du Monde, et la meilleure chose à faire sera d’unir leurs deux solitudes ].
Admettons.
Si vous n’avez pas vu trop de films dans votre vie, ça vous impressionnera un peu plus et vous serez plus touché grâce aux deux stars principales, ayant plus ou moins la confiance immédiate du Grand Public. Tilda Swinton « fait la moche », Idris Elba joue le géant séduisant, tout ça est très familier.

– Si vous connaissez bien la filmographie de George Miller, et que vous n’en retenez pas que le très viriliste Mad Max, vous savez que la notion de Narration y prend une place centrale. Mais c’est ici la première fois qu’il laisse ses personnages théoriser aussi explicitement sur l’histoire dont ils sont les protagonistes. Jusqu’à rationaliser l’existence physique des créatures, ou la dissolution des Mythes via la Technologie (facile !). En faisant même un clin d’œil aux nouveaux mythes que sont les super-héros, qui sont majoritairement des êtres de la Science.

Mais tous ces dialogues sur les contes, où à propos des contes, ouvrent sur des possibilités qui menacent le scénario (qu’il adapte à partir d’un bouquin) à partir dans tous les sens, à nous tenter à extrapoler sur le film dans plusieures directions, à tout envisager y compris à douter de la véracité diégétique de ce qu’on voit à l’écran – Alithea n’aurait-elle pas tout simplement une tumeur au cerveau qui lui fait voir toutes ces choses ? Pourquoi le film ne s’autorise pas à envisager explicitement cette possibilité, même si c’était pour vite lever toute ambiguïté ?

Or si le récit de cette histoire d’amour, et assez féministe, représente quand-même une base claire, il peut apparaître comme moins intéressant que l’exercice cinématographique que s’autorise Miller.
Des contes narrés en voix off, mis en scène avec de la fluidité, des images fantasmatiques, de l’exotisme et surtout de l’érotisme (et que des acteurs du cru, totalement malléables).
Et la partie contemporaine du scénario n’est elle-même pas exempte de composition artistique (les hors-champs notamment)…
Rien que ça justifie de se déplacer dans une salle de cinéma, si l’on n’a pas trop de problème de goûts lorsque surgit une esthétique très chargée.

Évidemment, ces concentrés d’histoires à la 1001 Nuits, racontés linéairement en huis-clos, correspondent d’autant plus au mythe du génie puissant contenu dans une petite bouteille. Une épopée temporelle et mentale dans un espace statique, en opposition aux Mad Max où c’est l’espace qui impose sa grandeur écrasante par rapport au Temps.
C’est vraiment très très clair, ce film avance sans le moindre masque.
C’est le rythme de ces histoires qui peut désarçonner car leur cheminement est donc très alambiqué, un marabout de ficelle reposant de moins en moins sur des types de récits reconnaissables et communs à toutes les cultures, d’autant qu’on passe trop souvent d’un personnage à l’autre sans savoir qui est le héros actif du conte raconté – sauf dans le tout dernier, le plus crucial car le plus proche temporellement.
Comme si le film essayait aussi bien que ses personnages à nous prendre à rebrousse poil, pour mieux se libérer des contraintes qui finissent par s’imposer naturellement (existe-t-il de bonnes fins définitives ?), même dans une bonne histoire.
Le dernier tiers, cassant le huis-clos en chambre d’hôtel qui composait le film et donnait l’impression satisfaisante qu’on aurait pu juste s’arrêter là, semble fait pour décevoir, pour être un rappel douloureux à la morne réalité.

Ou plutôt pour amener à une acceptation, au fait qu’on puisse justement se contenter d’avoir apprécié l’aventure, bien que ça ne puisse toujours pas donner un résultat complètement idéal.
Car ça n’a rien d’une honte d’aimer une histoire imparfaite. Ça permet même d’aider à la prolonger encore un petit peu.

Steefun
30/08/2022 à 12:29

Très déçu, on attend que le film décolle mais ça n'arrive jamais... Pour moi le moins bon de Miller (que je vénère par ailleurs)

toto2
29/08/2022 à 15:49

Le film est bien
Sans plus

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