Darlings : critique qui rend les coups sur Netflix

Clément Costa | 8 août 2022
Clément Costa | 8 août 2022

Considérée comme une des plus grandes actrices du cinéma indien contemporain, Alia Bhatt se lance dans la production avec Darlings qui vient de sortir sur Netflix. Cette comédie noire qui aborde la question des violences domestiques marque également le premier long-métrage de Jasmeet K Reen. Pari réussi ou blague de mauvais goût ?

O'SISTER

Beaucoup d’espoirs reposaient sur Darlings. Initialement annoncé en salles, le projet a été racheté par Netflix à la dernière minute. Une tentative pour le géant du streaming de continuer son opération séduction délicate en Inde. Il faut bien avouer que le film avait tout pour plaire. Un thème original, traité sous l’angle de la comédie noire mêlée au polar, avec un casting quatre étoiles.

C’est d’ailleurs bien le casting qui constitue la première force majeure du long-métrage. Darlings repose en grande partie sur les épaules de la jeune Alia Bhatt. En quelques années, l’actrice s’est imposée comme un nom immanquable à Bollywood. Et elle vit peut-être la plus grande année de sa carrière. Il y a quelques mois, on la voyait briller dans le sublime Gangubai Kathiawadi avant de tenir un rôle secondaire, mais crucial dans RRR, le blockbuster le plus fou de 2022. Elle réitère l’exploit avec une performance nuancée et complexe. Un sommet de finesse.

 

Darlings : photoThe Darling's Gambit

 

À ses côtés, Shefali Shah impressionne également. L’actrice que l’on reverra bientôt sur Netflix dans la seconde saison de Delhi Crimes nous rappelle à quel point son immense talent est encore bien trop peu utilisé à Bollywood.

Et même si Darlings est avant tout un projet dominé par ses figures féminines fortes, il est impossible de ne pas saluer la performance glaçante de Vijay Varma en mari toxique et violent. Face à lui, Roshan Mathew parvient à donner de l’épaisseur à un personnage bien plus effacé, qui aurait pu rapidement être éclipsé dans un tel récit. Un rôle à contre-emploi pour cet acteur habitué aux personnages plus ambigus, notamment dans le récent Sombre fortune sorti sur Netflix.

 

Darlings : photoMoi, beau et méchant

 

Autre point fort, Darlings est une réussite technique indéniable. Pour son tout premier long-métrage, la réalisatrice Jasmeet K Reen fait le choix d’une mise en scène épurée, sans extravagances. Le résultat est cependant très soigné : l’éclairage très travaillé reflète l’évolution morale des personnages, sans oublier les néons nocturnes dont se dégage une beauté magnétique. De plus, grâce à un montage fluide et limpide, la cinéaste souligne intelligemment ses effets comiques, sans jamais tomber dans la farce grotesque.

Autre parti pris technique passionnant, le design sonore participe grandement à l’aspect immersif du récit. Le crépitement des casseroles dans la cuisine, les acouphènes indiquant une bascule psychologique, Darlings déborde d’idées pour utiliser le son comme vecteur de narration.

 

Darlings : photoLa scène où tout a basculé

 

Tueur de dames

Évoquer un sujet aussi délicat que les violences domestiques n’est pas une simple affaire. Fort heureusement, le film traite ses thématiques avec intelligence et subtilité. La réalisatrice retranscrit avec une efficacité redoutable l’atmosphère pesante au sein du couple, ce sentiment de danger permanent dans sa propre maison. D’autant que l’écriture n’est jamais moralisatrice, elle détaille la complexité de ses personnages plutôt que de nous faire la leçon.

Le mari toxique n’est pas un grand méchant caricatural de cinéma. Jasmeet K Reen écrit un personnage dont l’ambivalence déconcerte. Hamza est tantôt tendre puis colérique, terrifiant, mais faible, et évidemment culpabilisateur. Badru de son côté n’est pas la victime parfaite, infaillible et digne. Elle oscille constamment entre pulsion de fuite et résignation, aveuglée par l’espoir de voir son mari changer.

 

Darlings : photoPlus subtil donc plus terrifiant

 

Mais si s’attaquer à un tel sujet n’a rien de facile, il est encore plus délicat de l’aborder sous l’angle de l’humour. Et malgré son message lourd à porter, Darlings est avant tout une brillante comédie noire. Dans ses séquences les plus jovialement absurdes, on pense au chef-d’œuvre Andhadhun de Sriram Raghavan, mais aussi au cinéma des frères Coen.

La séquence lors de laquelle Badru tente de porter plainte au commissariat est probablement l’exemple parfait de l’équilibre admirable qui caractérise le film. La preuve que l’on peut bien rire de tout, sans jamais verser dans l’indécence ni la méchanceté bête. Tout est une question d'intelligence dans l'écriture.

 

Darlings : photoUn grand moment de comédie

 

Il faut bien avouer que l’efficacité redoutable de cet équilibre entre message et divertissement tient en grande partie sur le duo mère-fille qui lie Alia Bhatt et Shefali Shah. Les deux femmes sont attachantes, complexes. Plus important encore, elles ont été pensées comme des personnages crédibles et réalistes, pas comme de simples symboles ne servant qu’à véhiculer un propos.

Seul défaut réellement gênant, Darlings s’essouffle un peu lors de son dernier tiers. Jasmeet K Reen semble alors tomber dans le défaut typique du premier film : à trop vouloir en dire, elle enchaîne les rebondissements et concède au passage quelques longueurs dispensables. Un léger problème de rythme qui ne gâche en rien la réussite du film.

 

Darlings : photoTelle mère, telle fille

 

Bolly Land

En plus de porter un regard acerbe sur la société indienne, Jasmeet K Reen n’épargne pas la complaisance du cinéma indien envers les violences faites aux femmes. On peut ainsi songer à cette fausse chanson romantique en milieu de récit ou à la réutilisation de certains célèbres titres dans un contexte radicalement différent. Le détournement est à la fois malin et méchant, tout ce que l’on pouvait espérer d’un tel film.

La cinéaste semble également se questionner sur ce que le cinéma de genre peut apporter au débat social. Par le biais du personnage de Shamshu notamment, qui incarne la réflexion typique du rape and revenge. Un rappel amer que si la catharsis est totale au cinéma, dans le monde réel il est bien plus difficile de retourner la violence contre son tortionnaire.

 

Darlings : photo50 nuances de venin 

 

Darlings est loin d’être le premier film indien à aborder les violences domestiques. Rien que ces dernières années, on peut penser à Bulbbul et La saison des femmes qui faisaient le choix de tout montrer à l’écran, au risque de brutaliser le spectateur. À l’inverse, Thappad tendait vers la pudeur absolue, s’intéressant avant tout aux dynamiques mentales et sociales qui mènent à l’acte violent. Enfin, Judgementall Hai Kya tentait la comédie noire, mais avec une maîtrise bien plus bancale.

Là encore, Jasmeet K Reen réfléchit son film en réaction à ce qui se fait à Bollywood. Dans son film, les actes de violence sont suggérés hors champ. La caméra s’attarde alors sur la réaction de ceux qui entendent passivement l’horreur qui se déroule dans leur résidence. Cependant le film ne nous épargne jamais les conséquences de cette brutalité. Et même si l’angoisse du thriller n’est jamais loin, la comédie se tient d’un bout à l’autre. Au final, au-delà de sa réussite évidente, Darlings ouvre la voie pour un nouveau traitement des questions féministes dans le cinéma indien.

Darlings est disponible sur Netflix depuis le 5 août 2022

 

Darlings : Affiche officielle

Résumé

Véritable leçon d’écriture, Darlings réussit haut la main son pari d’être à la fois une œuvre engagée et un pur divertissement. Sublimé par une Alia Bhatt qui ne cesse de surprendre par son talent et ses choix avisés, le film devient immédiatement un immanquable du catalogue Netflix.

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commentaires

25/08/2022 à 22:34

j'ai vraiment beaucoup aimé le coté caustique des dialogues, tout a fait d'accord avec la ressemblance avec Andhadhun. Et comme d'habitude Alia Bhatt est incroyable dans ce rôle !!

Brosdabid
09/08/2022 à 11:43

Bon ben v me matter ça, ça me changera que de regarder toujours les mêmes films, merci pour la recommandation

bof
09/08/2022 à 06:12

Une critique qui fait envie! La note semble même timide, en regard du texte.

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