Mémoire meurtrière : critique d'un Neeson qui nécrose les neurones sur Amazon

Ange Beuque | 29 juillet 2022
Ange Beuque | 29 juillet 2022

Liam Neeson souffre de défaillances cognitives. La preuve : il joue encore et encore dans le même film sans s'en rendre compte. Son Memory, désormais intitulé Mémoire meurtrière, remake du flamand La Mémoire du tueur, est hanté par les carcasses désincarnées de Guy Pearce et Monica Bellucci, sous la caméra d'un Martin Campbell qui a manifestement obtenu le permis de tuer sa carrière sur Amazon Prime Video.

La Neesploitation a encore frappé (mollement)

Liam Neeson va démantibuler de la maxillaire en fronçant les sourcils comme un constipé coprophage affamé. Pas si facile de rédiger le pitch d'un film porté par celui qui interpréta en un autre siècle Oskar Schindler sans générer des bugs de déjà-vu dans la matrice Google ni enfreindre le copyright des Blacklight, The Good criminal et autres Taken 16.

Mémoire meurtrière n'avait pourtant pas vocation à rejoindre les rives sclérosées de la Neesploitation. Remake assez fidèle de l'honnête thriller La Mémoire du tueur réalisé en 2003 par Erik van Looy, lui-même tiré du roman L'Affaire Alzheimer du Belge Jef Geeraerts, il fut un temps associé aux noms de Brian de Palma et Al Pacino avec la perspective de reconstituer le duo gagnant de L'Impasse et Scarface.

 

Mémoire meurtrière : Liam NeesonOui, je serai de retour à l'Ehpad pour le potage de 18h, pas de problème

 

Que le rôle de ce tueur à gages qui se retrouve dans la tourmente pour avoir refusé un contrat – oui, comme dans Night run – ait finalement échu à Neeson fait inévitablement écho aux choix de carrière de ce dernier depuis une quinzaine d'années, résolument portés sur la série B de castagne de plus en plus dévitalisée.

Et si la perspective de voir le bon Liam sombrer du côté obscur de la faiblesse vous émoustille, gare à la débandade : malgré quelques exécutions suffisamment expéditives pour amuser, l'homme est comme attendu doté d'un solide code moral – don't fuck with kids – qui, aussi hypocrite soit-il, aura tôt fait de le rendre à peu près aussi viscéralement menaçant qu'une bibliothécaire jeunesse.

Reste évidemment la fascination mortifère d'observer la transformation d'une carcasse grinçante en publicité ambulante pour les exosquelettes gériatriques, dont la tentative pataude d'iconisation sonne aussi naturelle qu'une prothèse de hanche. Les quelques combats au corps-à-corps mettent surtout en valeur le flegme bouddhiste de ses adversaires, au point qu'on se demande si Neeson n'a pas été discrètement remplacé par un alter ego digitalisé dont les raideurs trahiraient l'artifice.

 

Mémoire meurtrière : Liam NeesonAucun figurant dans le coma n'a été violenté pour les besoins de cette scène

 

L'abîme est de mise

Le choix de Liam Neeson en tête d'affiche génère pourtant, presque par accident, une heureuse alchimie. Car la singularité du pitch, c'est de confronter son tueur aux affres de la vieillesse et des pertes de mémoire. Sur ce point, l'acteur reprend parfaitement le flambeau du touchant Jan Decleir. Que le film le fasse débuter en blouse d'hôpital, dans une scène absente de l'original, est à la limité du clin d’œil méta.

Et voilà que ce corps flageolant, ce regard consumé, cette trogne de cabillaud crucifié sur un rocher plat deviennent le sujet du film et non plus son point d'achoppement. Comme par magie, la litanie d'actioners récemment portés par l'acteur se met à travailler dans l'inconscient du spectateur au service de son personnage, précisément par les limites qu'ils laissaient transparaître.

Point alors le vertige d'une mise en abîme, avec ce vieillard qui perd peu à peu les facultés d'exercer ce pour quoi il excellait et qui, se voilant la face, recourt à divers expédients pour donner le change. Si bien que lorsque le bon Liam est capturé dans le faisceau d'une torche, blafard et déboussolé, on n'est pas loin de penser qu'il vient de trouver le rôle de sa (fin de) vie (professionnelle). Prochaine étape : le trip méta à la Nicolas Cage ou Jean-Claude Van Damme ?

 

Mémoire meurtrière : Liam NeesonNeeson, ni soumis

 

Hélas, le concept de ce tueur défaillant n'est que partiellement exploité. Priver un assassin de ses repères aurait pu induire nombre de situations délicieusement tendues, en exacerbant d'un même mouvement sa dangerosité devenant incontrôlable et la compassion du spectateur.

Que nenni : ses difficultés se résumeront à une poignée de ressorts basiques, à base de comprimés perdus et d'indice à exhumer de ses synapses capricieuses. Quant à la manière dont le héros tente de compenser ses oublis, elle se réduit à quelques gimmicks (les notes sur le bras) qu'un certain Memento porté par... Guy Pearce a brillamment transcendés il y a vingt ans de cela. Rien qui suffise à rafraîchir le cliché du pro au bout du rouleau qui veut se ranger pour mener une vie simple. C'est d'ailleurs la limite de la mise en abîme : contrairement à son personnage, Liam Neeson n'a pas flairé le coup de trop et s'y est déjà vautré plusieurs fois.

 

Mémoire meurtrière : Liam NeesonQui du personnage ou de l'acteur court après ses cachets ?

 

Memento (me)mory

À sous-exploiter ce qui devrait être son axe majeur, le film se condamne à ne laisser aucun souvenir, ce qui ne manque pas d'ironie au regard de son thème et de son titre. La présence de Martin Campbell derrière la caméra pouvait augurer un minimum d'efficacité, celui-ci ayant prouvé sa capacité à emballer des séquences d'action stimulantes (Le Masque de Zorro, Casino Royale...). Sauf que Green Lantern est passé par là et semble l'avoir artistiquement anéanti : le réalisateur est quasiment porté disparu depuis et, à visionner Mémoire meurtrière, on en vient à se demander si la perte est si grande.

Entre les enjeux balourds moulés dans un humanisme en papier prémâché, le bingo des clichés et passages obligés, les dialogues piochés dans des fortune cookies de contrefaçon, les fusillades aussi attrayantes qu'un fond de pot de chambre et l'environnement urbain générique qui, sans aller jusqu'à faire du Mexique une carte postale, aurait au moins pu essayer d'en tirer un minimum d'identité, tout manque cruellement de relief.

 

Mémoire meurtrière : Liam NeesonOld. James Old.

 

Il n'y a pas une idée de réalisation, pas une scène un tant soit peu marquante qui arrache le spectateur à sa douce torpeur. Ni le motif surexploité de l'assassin traqué par ses commanditaires, ni le jeu du chat amorphe et de la souris d'ordinateur entre le flic et le tueur opposés-mais-finalement-pas-si-différent, plus cold que Heat, ne viendront violenter le palpitant. Que l'élément déclencheur, pourtant hyper attendu, n'arrive qu'à mi-film, n'arrange rien à l'affaire.

Certes, l'original ne misait pas spécialement sur l'action, mais la bande-annonce et la présence de Liam Neeson vendent un remake plus nerveux qu'il ne l'est réellement. Vous pouvez tenter un jeu à boire à base de prune fermentée calé sur les bourre-pifs du long-métrage sans finir ne serait-ce que pompette.

Et ne comptez pas sur le reste du casting pour relever le niveau, qu'il s'agisse d'un Guy Pearce grimé en sosie de Josh Brolin dans No country for old men ou d'une Monica Bellucci dont le principal fait d'armes sera de rendre, dans sa dernière scène, un hommage aussi involontaire que désopilant au Ian Holm d'eXistenZ.

 

Mémoire meurtrière : Liam NeesonAllégorie de la place des femmes dans le film

 

À sa décharge, les deux premiers personnages féminins du film sont, littéralement, une mère et une « putain », avant qu'un cortège d'apparitions, dont l'étendue du décolleté et l'épaisseur psychologique s'épanouissent à front renversé, ne confirme le je-m'en-foutisme d'une écriture baignée de fantasmes prépubères. Pas spécialement de quoi donner envie d'outrepasser le minimum syndical...

Sans doute quelques amateurs particulièrement vierges de références en la matière y trouveront un minimum d'intérêt, à l'image de gastronomes découvrant le Big Mac par son ersatz russe. En l'état, il paraîtra tout de même bien difficile de dissocier Mémoire meurtrière de ses innombrables clones, et on n'est pas certain d'atteindre avec une impatience délirante le prochain maillon de la Neesploitation avec son héros grabataire parkinsonien.

Mémoire meurtrière est disponible depuis le 29 juillet 2022 sur Amazon Prime Video

 

Memory : Affiche officielle

Résumé

Liam Neeson offre le vertige de sa propre dégénérescence en endossant le rôle d'un professionnel aux prises avec un corps défaillant. Pour le reste, Mémoire meurtrière s'embourbe dans le marigot visqueux de la Neesploitation et semble ironiquement s'employer à ne laisser absolument aucun souvenir.

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commentaires
flesh
31/07/2022 à 10:45

c'est presque un running gag sa carriere, mais bon iul y a des gens qui adore, sans doute des fn de Star wars la menace fantome qui aime qwi gon gin

NeesonXploitation suite
30/07/2022 à 10:50

je propose que nous lancions un Hashtag "sauvons Liam Neeson" de l'enfer de Hollywood, sauvons le de cette mafia!
70 ans a faire ces conneries, 15, 20 ans qu'il est tombé dedans depuis les premiere Bessonerie!
je dis: il ya maltraitance sur personne du 3 eme âge
faut que l'Onu intervienne, Bruce Willis aussi etait exploite mechamment depuis une dizaine d'année, il n'aura même pas le repos vu qu'ila vraiment cramé ses neurones au sens propre, lui

Flash
29/07/2022 à 21:25

"Neesploitation " pas mal comme expression.

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