Heroes : The Battle at Lake Changjin - critique patriotique

Mathieu Jaborska | 28 juillet 2022 - MAJ : 28/07/2022 11:31
Mathieu Jaborska | 28 juillet 2022 - MAJ : 28/07/2022 11:31

Deuxième plus gros succès mondial de l'année 2021 après Spider-Man : No Way Home avec plus de 900 millions de dollars de recette, réalisé de concert par l'un des plus grands artistes en activité (Tsui Hark), un spécialiste de l'action (Dante Lam) et un illustre lauréat de la Palme d'or (Kaige Chen), produit pour la somme astronomique de 200 millions de dollars et d'ores et déjà assorti d'une suite elle-même couronnée de succès, le méga-blockbuster The Battle at Lake Changjin débarque enfin en France, directement sur petit écran et sous le titre Heroes. Et on l'attendait de pied ferme.

Roman national

On s'était préparés. On avait révisé la chronologie de la guerre de Corée. On était parés à relever les probables arrangements historiques pour satisfaire les puristes tout en passant outre quelques biais idéologiques, à pardonner les concessions trop évidentes... Tout ça pour défendre ce qu'il reste de la substantifique moelle du cinéma HK, les dérapages furieux de Dante Lam et surtout les envolées magistrales de l'immense Tsui Hark. En vain.

Commandé littéralement par la commission militaire centrale et le département de la propagande chinois dans le cadre de la célébration du 100e anniversaire du parti, The Battle at Lake Changjin est en effet quasi impossible à cautionner. Nul besoin en réalité de potasser nos cours d'histoire : ses velléités propagandistes sont limpides. D'ailleurs, s'il a été confié à ce trio fantasmé de cinéastes, c'est parce que l'autre ex-égérie du cinéma hongkongais, Andrew Lau, était occupé à fignoler son propre éloge des pouvoirs locaux, Chinese Doctors. Un constat qu'on est bien contents de dresser en France, puisque l'ex-journaliste chinois qui s'est risqué à critiquer le rôle arrogé par son pays sur les réseaux sociaux a fini au poste...

 

Heroes : The Battle at Lake Changjin : photoMao Zedong, un mec sympa, au fond

 

Nos espoirs n'étaient pas si naïfs : il y a quelques mois débarquait en France, dans les mêmes conditions, un autre méga-blockbuster chinois réécrivant l'Histoire à sa guise, La Brigade des 800. Son réalisateur Guan Hu et son co-scénariste Ge Rui, bien conscients du type de spectacle qu'ils proposaient, n'hésitaient pas à s'attarder sur les ambiguïtés de son patriotisme. On peut même supposer qu'ils faisaient du sacrifice héroïque de leurs personnages la conséquence d'un conflit absurde par nature, un peu à la manière, finalement, des meilleurs films de guerre américains des années 1980 et 1990.

Une forme de recul répudiée dès les interminables 40 premières minutes de The Battle at Lake Changjin, composées en grande partie de grands discours vibrants, de saluts militaires poignants effectués face à la mère patrie baignant dans la lumière éternelle, de préparations au paiement téléphonées, reliées par une surcouche gluante de musique pompière. Tout sonne faux et suffit donc à éradiquer la moindre émotion au profit de la fierté nationale avec, comme ligne d'horizon, un épilogue qu'on croirait écrit par un comité (et c'est peut-être le cas). Forcément, entre-deux, difficile de reconnaître une quelconque gravité aux affrontements, pourtant pas avares en explosions de toutes sortes.

 

Heroes : The Battle at Lake Changjin : photoBullet train

 

Hark de triomphe

Désintéressés de ces personnages-fonction, martyrs au service d'une cause à laquelle il est impossible d'accorder la moindre confiance, on se rattrape aux longues séquences d'action. Après tout, dans La Bataille de la Montagne du Tigre, Tsui Hark écrasait l'évidente portée politique de son récit sous le poids de ses expérimentations esthétiques, qui ne se sont pas arrêtées avec le règne des effets spéciaux numériques, loin de là.

Seulement ici, il est accompagné de deux illustres collègues, dont on se demandait s'ils allaient réfréner ses élans créatifs. Et effectivement, les scènes de bataille, réparties sur deux grandes plages narratives, laissent apparente cette approche tripartite. Les visions de chaos filmées à l'épaule cèdent de temps à autre la place à quelques travellings secs et autres plans aériens rapides, lançant pour les cinéphiles taquins une partie de "qui a shooté quoi ?" qui va du niveau expert au niveau débutant. Mais à terme, les styles s'entredévorent, constamment sur le palier du spectacle total. La définition de la frustration.

 

Heroes : The Battle at Lake Changjin : photoU.S Air Faible

 

Seuls quelques instants de bravoure, qu'on attribue par fanboyisme machinal à Tsui Hark, font brièvement oublier le sérieux idéologique de la chose, le temps d'un mouvement d'appareil absurde ou d'une idée surréaliste. Ressortent un plan-séquence fou qui survole en même temps que les avions une compagnie de soldats terrifiés et se termine avec un split-screen improbable, ainsi qu'un duel de tanks tout droit échappé des rêves humides des cinéastes hongkongais qu'il représente. Une bien maigre pitance, étant donné que l'ensemble dure quand même presque 3 heures.

Peut-être la consigne était-elle de garder de la puissance de feu pour la suite, à la réputation plus reluisante en termes d'action, mais qu'on devine à peu près aussi désincarnée. Quoique l'on voit mal les scénaristes surpasser ce tout dernier acte, où la finalité du projet se dévoile dans toute sa cruauté : l'image d'Américains prosternés face à la combattivité présumée de pauvres soldats réduits à l'état de statues sans vie – et sans opinion. L'un des ultimes cartons se charge d'enfoncer le clou : "Le grand esprit de la guerre est intemporel". Glaçant.

Heroes : The Battle at Lake Changjin est disponible en Blu-ray, DVD et VOD depuis le 27 juillet.

 

Heroes : The Battle at Lake Changjin : Affiche officielle

Résumé

Quelques fulgurances renvoyant au cinéma HK de la grande époque ne justifient pas de s'infliger presque trois heures de propagande grossière et même pas aussi spectaculaire que prévu.

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commentaires
Wokistan
30/07/2022 à 16:33

La guerre est forcément patriotique, propagandiste quant elle est racontée via un média. C'est indéniable. Donc il n'y a pas lieu de faire de polémique inutile, encore et encore.

Kyle Reese
28/07/2022 à 16:07

@Andariioch1

Merci d’avoir rétablit le sens de Black Hawk Down. Ce film est certes patriotiques, il suit la bravoure de simples soldats qui se retrouvent dans une situation dantesque et tragique à cause de très mauvaises décisions de leur hiérarchie.
Donc non en effet ce n’est pas un film de propagande.

Simon Riaux
28/07/2022 à 15:13

@Epsilon

Pour éviter de faire un gros pâté des familles, je vous enjoins à relire le texte de Mathieu, qui répond précisément aux questions que vous vous posez.

Tout en rappelant que si, justement, on vient régulièrement nous taper dessus quand on critique l'idéologie d'une grosse partie des blockbusters ricains.

Vous pouvez également jeter un coup d'oeil aux commentaires ci-dessous, dans lesquels on rappelle les nombreuses occurrences de productions chinoises où le discours idéologique ou propagandiste nous a semblé intéressant, ou tout simplement équivalent à son pendant américain.

Je crains que le "double-standard" (anglicisme assez malheureux) soit de votre côté.

Epsilon
28/07/2022 à 15:08

C'est drôle, vous ne semblez avoir aucun problème avec les films américains dont le caractère propagandiste est tout aussi grossier. Par ailleurs, vous pourriez vous abstenir de juger la cause défendue par le film sans donner aucune précision sur les raisons de ce caractère indéfendable. Le film prend parti pour le camp communiste (nord-coréen et chinois) contre les États-Unis, qu'est-ce qui est indéfendable là-dedans ? Représenter Mao positivement ? On ne vous entend pas hurler quand on glorifie la figure de Churchill à longueur de productions occidentales alors qu'il est responsable de tant de crimes. Je ne critique pas votre appréciation du film, juste votre double-standard patent.

Cidjay
28/07/2022 à 14:14

william :
"ou n'importe quel Marvel adoubés par la planète entière et d'autant plus puant idéologiquement qu'ils font passer leurs messages sous couvert de fiction..."

c'est quoi le message patriotique américain puant dans Loki ? ou dans Black Panther ? ou dans Les gardien de la Galaxie ?

Encore un qui a vu le premier Iron-Man et qui met dans le même sac les 30 films suivants sans les avoir vu.

Difficile d'avoir l'air crédible après ça.

Andarioch1
28/07/2022 à 13:35

@Baretta

Je plussoie à l'exception de la chute du faucon noir qui, sous des apparences de film de propagande (après tout on est du point de vue américain), autopsie une débâcle sanglante. Je rappelle l'histoire en deux mots: Les ricains font une opération en dépit du refus de l'ONU, ça foire, il y a des prisonniers (ou équivalent), on va les chercher, ça foire, plus de morts que de gars à sauver, la situation est désespérée, les casques bleus leur sauvent les fesses.
Il s'agit, comme pour Starship troopers, d'opposer une image de propagande à des faits qui renvoient à l'opposé de la propagande. Au public de voir si il est plus sensible à la manipulation ou aux faits
Fermez le ban!

Mathieu Jaborska - Rédaction
28/07/2022 à 13:32

@Fox
@william

Comme l'a dit Simon, nous ne nions absolument pas la portée propagandiste des blockbusters américains. Ce qui me dérange ici, c'est d'une part que l'objectif soit tellement transparent qu'il empêche toute qualité cinématographique de se développer, d'autre part qu'il mobilise des cinéastes que j'adule, comme beaucoup de cinéphiles, pour avoir été à l'avant-garde d'un cinéma justement d'une grande liberté. C'est d'autant plus tragique de voir un artiste comme Tsui Hark au service du Parti...

Enfin, il faut tout de même reconnaître que tout ces films sont des œuvres de propagande au sens littéral (elles sont quand même commandées directement par le gouvernement !) telles que le cinéma américain n'en produit plus vraiment. Même en Chine, certaines font preuve de plus d'intelligence (The 800, cité dans l'article) Comme vous l'avez souligné, les blockbusters US actuels sont plus vicieux dans leurs biais idéologiques, mais ils ne se terminent pas avec un tel appel à la guerre, quasiment un message adressé à la population chinoise. C'est le fait qu'ils ne se cachent même plus qui rend la chose - selon moi bien sûr - assez flippante.

Et certes, c'est toujours mieux qu'Armageddon.

Fox
28/07/2022 à 13:32

@Baretta
Alors je ne me souviens plus précisément, mais je crois que c'est à la toute fin de "Wolf Warrior 2" (ou Opération Red Sea, j'ai un doute. Bref...) : à la fin du film, en dehors de toute intrigue (tout est résolu, fini), vous avez une micro-scène où on vous brandit en gros plan le passeport chinois, entrecoupé d'une armada de frégates militaire voguant vers vous, avec une voix off qui dit clairement (dans les grandes lignes) : "C'est le passeport chinois, il vous protègera où que vous alliez. Nous viendrons vous chercher n'importe où sur le globe, quoi qu'il nous en coûte."

Je pense tout de même qu'on passe un net cran au-dessus en termes de propagande.

Fox
28/07/2022 à 13:23

@Simon Riaux
On est entièrement d'accord sur ce sujet.
Mon entrée en matière avait plus vocation à élargir le propos (le débat) de la propagande au ciné, y compris avec des nationalités avec lesquelles nous sommes plus familiers (les USA). Le ton était juste un peu provoc (provoc soft, hein !) mais je pense que vous l'aviez saisi.

Avec les chinois, j'ai un peu le sentiment que c'est le chat qui se mord la queue en termes de distribution : ils produisent des films lourdement patriotiques ; les autres pays ne les achètent pas justement parce que c'est très compliqué de les diffuser ailleurs qu'en Chine à cause de ça ; la Chine en retour voit qu'elle ne vend pas et donc continue de produire des films qui plaisent au public domestique. Si, en plus de ces considérations purement mercantiles, on rajoute à ça la volonté indéfectible du gouvernement de formater sa population, y compris à travers le cinéma, on arrive à un combo gagnant qui fait que rien ne changera (au moins au niveau des grosses productions).

Ce sont des films parfois amusants à regarder néanmoins (quand ils sont bien fait techniquement, on a sa petite dose de bourrinade, d'où qu'elle vienne), mais aussi intéressants sociologiquement (comment ils choisissent de réécrire l'histoire à leur sauce, de vanter les mérites de leur tout-puissant pays...).
Bon après, c'est comme le cassoulet : une assiette ça va, au-delà ça reste sur l'estomac !

Simon Riaux
28/07/2022 à 13:23

@Baretta
@William

Vos exemples illustrent parfaitement ce que j'écrivais plus bas.

Aucun des films que vous citez ne se dissimule derrière le sceau de "l'Histoire" ou ne prétend le faire. Aucun ne se conclut par un carton intimant la population locale à mourir pour sa patrie.

Est-ce de la propagande ? Assurément.
Est-elle moins épaisse ? Assurément.

Du reste, comme on l'a souligné régulièrement (les Detective Dee, les Tsui Hark ou encore The Wandering Earth) il est régulièrement extrêmement intéressant de se retrouver face à la propagande chinoise, ne serait-ce que pour comparer deux discours, et il arrive également qu'elle soit plus "intelligente" que son pendant américain.

Dans le cas présent, non, Heroes étant en la matière d'une rare bêtise.

Donc, désolé de vous le dire, on ne pratique pas de deux poids deux mesures en la matière, bien au contraire.

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