Dédales : critique polar au bout de l'enfer

Mathieu Victor-Pujebet | 20 juillet 2022 - MAJ : 07/09/2022 17:59
Mathieu Victor-Pujebet | 20 juillet 2022 - MAJ : 07/09/2022 17:59

Cinéaste roumain exilé à New York, Bogdan George Apetri a récemment initié une trilogie de longs-métrages tournés dans la ville où il a grandi, Piatra Neamt, avec des intrigues indépendantes, mais des personnages récurrents d'un film à l'autre. Dédales est le deuxième volet de cette trilogie et suit l'histoire de Cristina (Ioana Bugarin), une novice de 19 ans qui fuit son monastère pour une affaire urgente en ville. Alors qu'une agression change à jamais sa vie, Marius (Emanuel Parvu), un inspecteur de police, se charge de l'enquête.

Voyage of Time

Une fuite, un crime, une enquête : Dédales est un thriller en bonne et due forme. Divisé en 42 plans-séquences plus ou moins longs, son découpage est d'ailleurs suffisamment asséché pour confronter le spectateur à un rapport au temps où l'action est pressée par une narration quasiment en temps réel. Un tempo infernal qui insuffle une tension palpable qui rend le visionnage du film réalisé par Bogdan George Apetri assez immédiatement stimulant.

Dès sa première séquence, l'épure du dispositif fait son effet avec une évasion programmée du monastère où l'attente d'un coup de file devient insoutenable face au tic tac incessant d'une horloge. La force de ces longues secondes de silence est le fruit d'un rapport au plan, et donc au temps, dilaté, rapidement remis en perspective d'une narration resserrée en quelques jours à peine. Un récit ramassé qui distille une électricité permanente et un chronométrage écrasant pour les personnages et le spectateur.   

 

Photo Ioana BugarinVirtuosité contenue

 

Tout doit être fait dans la vitesse et la précipitation, aussi bien la fuite de la protagoniste que l'enquête du policier qui doit rapidement trouver des preuves pour que son suspect ne soit pas libéré. Les motifs de l'horloge et de la montre viennent régulièrement insister sur cette donnée temporelle qui surplombe les personnages, la rendant très concrète et palpable pour le spectateur.

La longue scène d'agression qui coupe le film en deux parties bien distinctes est d'ailleurs rendue d'autant plus éprouvante par la durée du plan-séquence. Plan-séquence qui s'éloigne pourtant de l'agression en elle-même pour filmer les environs et quelques passants afin de renforcer l'isolement et la détresse du personnage.

Mais pas de mouvement opératique fulgurant ou de démonstration de force filmique dans Dédales, la caméra accompagne ses personnages et ne s'impose pas des tourbillonnements de cadre inutiles. C'est grâce à son filmage et à sa gestion de la temporalité que Dédales parvient avec une virtuosité contenue à embarquer le spectateur dans une descente aux enfers jamais superficielle ou démonstrative, mais constamment tendue et organique.

 

Photo Emanuel ParvuJouer contre la montre

 

Le Crime était presque parfait

Le long-métrage réalisé par Bogdan George Apetri en devient une expérience sacrément intense qui n'en délaisse pas pour autant ses personnages, bien au contraire. Mais avec son début in media res et sa précipitation constante, le scénario écrit par le réalisateur ne s'éparpille pas en une exposition artificielle des personnages qui favoriserait éventuellement l'empathie et l'adhésion du spectateur. Ce n'est qu'au fil du récit que le public apprend à connaître les protagonistes du film et leurs enjeux.

Découle de ce dispositif un véritable mystère qui accompagne les personnages de Dédales. Les voir fuir et/ou chercher quelque chose, sans comprendre quoi dès les premières secondes de l'histoire distille une sorte de suspense assez vertigineux qui intrigue le spectateur et l'engage très vite dans le récit. L'écriture du cinéaste va à l'os, se raccrochant avant tout au ressenti de ses personnages qu'aux codes balisés du polar.

 

Photo Ioana BugarinFaux polar

 

En témoigne le personnage de Cristina, protagoniste qui devient victime, dont le drame n'est pas simplement relégué à l'arrière-plan d'une enquête, comme l'était celui de Laura Palmer dans la série Twin Peaks par exemple. Dans Dédales, Bogdan George Apetri confie à sa victime les rênes de toute une première partie de son histoire, faisant de son agression le coeur même du film et non juste un prétexte pour une enquête simplement divertissante.

Une légère digression du polar qui rend Dédales d'autant plus touchant et sensible. De la même façon, le spectateur étant témoin de l'agression de Cristina, l'identité du criminel ne nous est jamais dissimulée par la narration. L'agresseur est déjà suspecté par la police et le public sait déjà qui il est : toute l'enquête de la seconde partie du long-métrage se désintéresse alors d'un quelconque mystère à résoudre pour se concentrer sur le personnage du policier, la rendant plus brutale et aride.

 

Photo Emanuel Parvu, Ovidiu Crișan, Mircea Postelnicu, Cezar AntalSeven roumain

 

Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes

Une seconde moitié de film qui s'amuse à calquer sa structure et son parcours géographique sur l'exacte même chronologie que sa première partie. Un récit en miroir qui est également traversé d'échos et de résonnances, à grands coups de reflets ou d'inserts signifiants. C'est comme si, à l'instar de son personnage de policier, Dédales essayait de se rapprocher au plus près du souvenir de son héroïne sacrifiée.

De cette architecture de récit se dégage un vertige discret, tout en passages souterrains et miroitements de l'écriture, qui emporte le spectateur dans un jeu de piste à la fois ludique et mystérieux. En suivant à la trace le parcours de Cristina, le public se met à épouser le point de vue du policier. La prestance de son interprète et son inquiétude pour la victime stimulent au premier abord l'empathie et l'adhésion du spectateur.

 

Photo Ioana BugarinFire Walk With Me

 

Mais de cette inquiétude va naître une obsession malsaine alors que sa propre implication dans toute l'affaire se précise au cours du récit. Quel rôle a-t-il joué dans le passé de Cristina ? Dans sa fuite ? Où était-il avant qu'elle ne se fasse agresser ? Une épaisse ambiguïté entoure le détective Marius dans toute cette histoire, parasitant d'amertume la figure héroïque du gentil flic qui guide la seconde partie du récit.

Pression du regard masculin et objectivation du féminin... si Dédales ne rejette pas la faute sur tous les hommes du film et du monde, il constate avec chagrin que c'est trop souvent l'agresseur qui se retrouve sauvé et les victimes abandonnées. En témoigne le fameux "Miracle" final qui donne à Dédales son titre original, bifurcation magique et boucle de sept minutes en forme de Deus ex machina qui laisse au criminel une seconde chance, et la victime sans justice. Une fin tragique et bouleversante qui finit de faire de Dédales un grand film féministe.

 

Dédales : Affiche officielle

Résumé

Virtuose, mais pas démonstratif, stimulant, mais pas gadget, déchirant, mais pas pathos : Dédales évite tous les pièges et en devient un choc féministe d'une force et d'une sensibilité rare.

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commentaires
Marie Marie
27/10/2023 à 13:19

J'ai vu "Miracle"et j'aimerais partagé l'opinion de ceux qui l'ont vu, sur leur compréhension de la fin ..

The insider38
21/07/2022 à 13:17

Encore un très bon cru ce mois-ci, décidément juillet nous gâte,

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