Le Monstre des mers : critique qui écope sur Netflix

Déborah Lechner | 8 juillet 2022 - MAJ : 08/07/2022 17:30
Déborah Lechner | 8 juillet 2022 - MAJ : 08/07/2022 17:30

Chris Williams, le co-réalisateur de Vaiana, la légende du bout du monde et des Nouveaux Héros fait son retour avec Le Monstre des mers, pour lequel il a lâché Disney et rejoint Netflix. Comme ses précédents travaux, ce nouveau long-métrage d'animation n'évite pas certains écueils, mais reste malgré tout une bonne alternative au décevant Buzz l'Éclair ou aux insupportables Minions 2 qui sont en ce moment à l'affiche.

SEA WHAT YOU WANT

Il faut moins de 10 secondes pour être happé par Le Monstre des mers et se laisser emporter par ses flots impétueux. Dans la courte séquence qui ouvre le film, tout est dantesque : la teinte verdâtre de la mer en furie, le navire en flammes au loin, le tonnerre qui gronde, la foudre qui s'abat, un monstre marin qui rôde et la détresse d'un enfant rescapé du naufrage. Cette générosité et ce traitement homérique se retrouvent ensuite dans toute la première moitié du film, qui exhibe un impressionnant bestiaire inspiré des créatures mythiques souvent représentées sur les anciennes cartes navales. 

Le design des différentes bêtes n'a rien de transcendant en soi, mais la mise en scène et les compositions de plans jouent intelligemment avec les différentes échelles, ne serait-ce que sur l'affiche. Les humains, leurs navires et les monstres partagent les mêmes plans (ce qui demande de se casser un minimum la tête) pour souligner le gigantisme et la majesté des uns ou à l'inverse la petitesse et l'insignifiance des autres.

Le film offre ainsi un grand nombre de plans à couper le souffle, dont certains, plus contemplatifs, rappellent les films de Kaiju (avec en bonus un combat destructeur entre deux titans marins). Par endroit, le film passe encore à une échelle supérieure pour illustrer l'immensité du monde et de l'océan en noyant ses géants qui retrouvent la taille d'un poisson quelconque. 

 

Le Monstre des mers : photoCe que veut réellement dire "se sentir petit"

 

On ne peut aussi que s'émerveiller devant la beauté plastique de l'ensemble. La réalisation vive et aérienne ainsi que le montage maîtrisé bonifient et accentuent les scènes d'action – comme lors de la première chasse qui rappelle Sinbad - La Légende des sept mers – et les séquences plus comiques qui, pour une fois, servent réellement la narration et ne sont pas de simples hochets agités dans l'espoir de garder l'attention du public. 

En plus de son imagerie riche calquée sur la piraterie – bien qu'on parle de "chasseurs" –, le film apporte un soin tout particulier à la lumière et aux ombres pour un résultat solaire et parfois éblouissant, notamment lorsque les personnages sont sur le pont d'un navire. Le film fourmille d'autres détails qui caressent l'oeil, notamment les cheveux des personnages lorsqu'ils sont mouillés ou face au vent, ou encore les vêtements dont les matériaux sont presque palpables tant le mimétisme est minutieux (les coutures, les marques d'usure, les traces de saletés et même les plis). Ce perfectionnisme et cette attention, autant pour les petits détails que les plus grands, font que Le Monstre des mers n'a clairement pas volé sa comparaison avec Disney ou Pixar. 

 

Le Monstre des mers : photoLa tête qu'on ferait si on avait pu voir le film sur grand écran



MONSTER HUNTER

Si la première partie est a priori une lecture enfantine du classique littéraire Moby-Dick avec un soupçon du Vieil Homme et la Mer (le livre étant un objet aussi important que symbolique dans le film), la seconde rame à reculons pour revenir à une formule beaucoup plus balisée et programmatique que ce que le film promettait au départ. Devinez qui des créatures ou des hommes sont les véritables monstres...

À partir du moment où Jacob et Maisie se lient à Rouge, le souffle épique s'épuise pour laisser place à un décalque peu inspiré de Dragons : la figure paternelle qui sert d'antagoniste, l'enfant qui comprend ce que les adultes ignorent, les bestioles dangereuses, mais sympas, jusqu'au design de Rouge qui reprend les lignes minimalistes de Krokmou. 

Le capitaine Crow est quant à lui un protagoniste qui vire au méchant de service en se laissant ronger par ses ressentiments, sa vengeance aveugle et le poids de son deuil, ce qui évoque inévitablement le professeur Callaghan de son précédent film Les Nouveaux héros ou même le cyborg John Silver dans La Planète au trésor de Disney. 

 

Le Monstre des mers : photoLe fameux "je t'aime moi non plus"

 

Concernant le chasseur Jacob et l'orpheline Maisie, les personnages ont plus de mal à fonctionner individuellement qu'ensemble. Lui est une énième paire de gros bras héroïque (quoiqu'un poil arrogant et très sarcastique), tandis qu'elle est une énième gamine intrépide, un peu irréfléchie, mais plus ouverte et maligne que la plupart des adultes.

Ces profils rappellent entre autres le tempérament de Vaiana (dont Chris Williams est aussi le co-réalisateur), mais aussi à peu près tous les films d'animation qui prennent des gosses comme protagonistes. Heureusement, leur banalité respective ne les empêche pas de tisser une relation touchante faite de petites attentions, d'entraide et de prises de tête. 

 

Le Monstre des mers : photoImaginez un film d'animation pour enfants sans mascotte mignonne et rigolote... Maintenant, arrêtez.

 

MONSTER WORLD

Dans l'univers dépeint dans le film, les hommes ont prétexté la dangerosité des monstres et leur ont prêté des actes répréhensibles (genre, tuer et enlever des gens) pour avoir la légitimité de leur faire la guerre, pouvoir agrandir le royaume et s'enrichir en ouvrant de nouvelles routes commerciales maritimes. Les chasseurs morts au combat sont érigés en héros pour effacer l'injustice de leur perte et camoufler leur condition de fantassins exploités par une monarchie qui n'hésite pas à les remplacer comme de la basse main d'oeuvre. 

Le film remet donc en question sa propre mythologie pour faire un parallèle avec notre monde : les persécutions de minorités, la discrimination, la guerre, la propagande, l'avidité, le cycle de haine et le fantasme d'un grand roman national. Le scénario présente ainsi un sous-texte aux accents politiques et des enjeux assez lourds et inattendus dans un film destiné aux sept ans et plus. 

 

Le Monstre des mers : photo"Donc, les monstres sont une métaphore pour parler des pogroms et de la colonisation  ?"

 

Mais comme le film dure presque deux heures, il n'échappe pas à une baisse de régime à mi-parcours. Ce ventre mou n'est cependant pas ce qui abime le plus l'histoire. Le scénario a du mal à étendre son univers et à en dessiner les contours. Le récit fait escale sur deux-trois îles, en mentionnent quelques autres avec une carte rapidement balayée du regard, mais ne les explorent pas. Le roi et la reine ne servent qu'à être riches, corrompus et hautains, sans que le décalage entre leur fortune et la misère du peuple ne soit réellement mis en avant ou explicité.

À en juger les vêtements défraîchis de Maisie et ses chaussures trouées, on se dit que le film est peut-être passé à côté de son propos social. L'espèce de sorcière qui ressemble à Calypso dans Pirates des Caraïbes, le code d'honneur des chasseurs et le soulèvement du peuple sont quant à eux d'autres pistes narratives intéressantes, mais qui ne débouchent nulle part, faute de place dans l'histoire. Le Monstre des mers n'est peut-être pas une surprise à la hauteur des Mitchell contre les machines (également animé par le studio Sony Pictures Imageworks), mais reste un film agréable, surtout pour sa première partie qui donne envie de lever l'ancre et de hisser la grande voile.

Le Monstre des mers est disponible sur Netflix depuis le 8 juillet 2022

 

Le Monstre des mers : Affiche US

Résumé

Le Monstre des mers est une claque visuelle qu'on aurait préféré découvrir sur grand écran (comme toujours). Concernant l'histoire, il n'y a finalement rien de bien original ou conséquent à se mettre sous la dent, malgré plusieurs notes d'intention louables. 

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commentaires
Rachoulou
14/12/2022 à 10:50

Franchement tous les mythes y passent, de Moby Dick à Jonas et la baleine. On y retrouve aussi Dragons… bref aucune imagination.
Plus grave : « ne croyez pas ce qui est écrit dans les livres, on vous ment depuis toujours. Le pouvoir vous ment. »
On a donc ici tous les éléments pour inciter les enfants au complotisme.
J’ai trouvé ce film décevant du début à la fin. Et l’esthétique ne suffit pas à rattraper cela.
A moins que ce ne soit justement fait exprès

(The) Aurelio
18/07/2022 à 00:07

Alors là, franchement, c'est vraiment pas mal. Pour le coup, chapeau Netflix.

Shieldcrock
11/07/2022 à 07:55

Pour ma part, je trouve que ce filme apporte un vent de fraicheur avec de la profondeur pour les plus grands et beaucoup d'amusement pour les plus petits.

Ps : pour que votre commentaire ou critique soit constructive et que la lecture d'autres commentaires et critiques le soient aussi, pensez à voir le film avant, sinon vous aurais un avis sur le filme déjà manipulé par ce que vous avez des lu.

Bagheria
10/07/2022 à 10:10

Je suis 100% d'accord avec cette critique. Dès le départ on est happé, émerveillé. C'est dantesque. Tout est esthétique, beau. L'histoire également. Mais à partir de la moitié on arrive dans quelque chose de formaté, vu et revu, largement inspiré de l'univers de Dragons. Dommage. S'il avait tenu cette cadence sur 2 heures, ce film aurait été une des révélations 2022

Mauny
10/07/2022 à 10:08

Franchement un très bon film pour enfants et parents. Clairement oui il aurait mérité une sortie au cinéma tant la technique est énorme !!!!! Un niveau atteint que par Disney et Pixar... Ça fait plaisir que d'autres studios y arrivent. Après oui l'histoire est convenue mais bien amenée et bien menée. La seule petite chose dommage, c'est que l'histoire ne répond pas à toutes les questions qu'elle soulève. Je ne dirais rien pour ne pas spoilers. Mais en tant qu'adulte c'est le seul regret que j'ai. Mais ma fille, ma femme et moi avons passé un très bon moment. Je ne peux que le recommander. Un bon 3,5/5

Quentinlud
09/07/2022 à 16:47

J'ai eu la chance de le voir sur grand écran à Annecy et tout ce que je peux dire c'est wow ce film aurais mérité une sortie en cinéma tellement la 3D est bien réalisé à en faire pâlir les studio Disney Pixar .

God
09/07/2022 à 04:50

Vous étiez pas obligé de spoilers comme un porc dans votre critique (et quasiment dans toutes vos autres critique, vous ou vos collègues).

Trop difficile de donner envie (ou non) sans raconter la teneur du film. Film pour enfants ou non.

Bref, pas merci. Le film a l'air génial en tout cas. Encore une fois, vous avez l'air de jouer les pisse froid, dommage.

Robert la fondue
08/07/2022 à 18:24

J'ai vu le film en AP a Annecy. Tres bien fait, classique visuellement mais la mise en scène est chouette. Par contre, j'avais juste l'impression de voir une suite de Dragon version Pirates des Caraibes. Quand le real a parlé de Moby Dick et Master and Commander en reference, je m'attendai a quelque chose de plus interessant. Cela reste un bon divertissement d'animation 3d.

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