After Yang : critique dance machina

Simon Riaux | 8 juillet 2022 - MAJ : 08/07/2022 15:23
Simon Riaux | 8 juillet 2022 - MAJ : 08/07/2022 15:23

Belle surprise du Festival de Cannes 2021, After Yang nous met aux prises avec un futur dans lequel les androïdes ont pris une une grande place... Une place telle que la famille au premier plan du nouveau film de Kogonada va se retrouver bouleversée par la perte d'un compagnon artificiel. Et si on tenait là une des plus belles pépites de SF de récente mémoire, mené par l'excellent Colin Farrell ?

DANCE AVEC LES  DROIDES

Depuis sa sortie en 2014, Ex Machina, premier long-métrage d’Alex Garland, s’est progressivement imposé comme une référence contemporaine en matière de science-fiction intelligente. Intelligente, mais passablement misanthrope, puisque son réalisateur y décortiquait déjà une forme de toxicité masculine qu’il a autopsiée plus avant avec le récent Men. Et au cœur de Ex Machina, une séquence de danse inattendue suivait un créateur démiurge imposant sa domination en forme de chorégraphie gaguesque.  

Comme pour mieux s’inscrire dans son sillage et assumer de contredire la démonstration de Garland, c’est par une remarquable orgie de sautillements musicaux que s’ouvre le film de Kogonada. Et After Yang de nous dilater les pupilles en dévoilant ses protagonistes s’affairer au gré d’une rythmique hypnotique, addictive, soutenue, débordante de second degré, imprimée de l’amour que se vouent manifestement ses membres. Il pourrait s’agir d’un clin d’œil, d’une coïncidence ou d’une banale ouverture un peu poseuse. Mais non, le réalisateur nous donne dès cette entrée en matière quelques clefs d’appréhension de ce qui nous attend. 

 

After Yang : photo, Colin FarrellLe retour de la moustache de Miami Vice

 

Sous ses airs de gentil trip conceptuel, c’est un concours de danse qui se déroule sous nos yeux. En ligne. Et manifestement bienveillant. Est-ce à dire que c’est l’ADN de l’univers du long-métrage ? En grande partie, mais pas seulement. En effet, ce qui frappe d’abord dans la peinture futuriste qui nous est proposée, c’est le choix qu’elle assume de détailler des lendemains qui chantent presque. Tout n’est pas rose, certes, mais à en juger par la diversité des profils humains, jusqu’au sein d’une même famille, dans ce futur quantité de biais, angoisses identitaires et tensions sociales ont été résolus. Pour le meilleur ? Peut-être, mais d’abord pour revenir à la racine de la science-fiction. 

 

After Yang : photo, Justin H. MinPoupée dégonflable

 

SCIENCE-FRICTION

Logiquement investie par Hollywood, la SF est fréquemment un vague prétexte à giga-spectacle, pulvérisations numériques de débris de vaisseaux et autres déflagrations cosmiques, soit le contraire de ce qui constitue historiquement le lieu de sa puissance. En effet, même les ambitieux space operas ont d’abord été des espaces d’imagination et d’études de concepts.

Des trips psychédéliques de K. Dick, sans oublier les vertiges utopiques d’Ada Palmer, en passant par les mélanges de dystopie et de dark fantasy signés P. Djèli Clark (l'hallucinant Ring Shoot), la science-fiction est d'abord un terrain de jeu réflexif, sinon philosophique. Et comme Ex Machina il y a presque une décennie, After Yang s'évertue à réenchanter ce terrain de jeu. 

 

After Yang : photo, Jodie Turner-Smith, Malea Emma Tjandrawidjaja, Colin FarrellCoeurs avec des doigts

 

Mais plutôt que de se demander comment et pourquoi l'androïde forme par essence une altérité radicale, un ennemi en devenir, une menace ontologique, Kogonada se penche beaucoup plus directement sur sa nature même. Comment l'existence d'un être de synthèse, aux automatismes bien présents, mais différents des nôtres, peut-elle nous affecter ? Pour répondre à cette question, il embrasse un angle inattendu, celui du coeur, du manque, du deuil. Car c'est la problématique qui assaille la famille au centre du récit, et qui fonde la singularité de celui-ci.

Yang, le cyborg défectueux, ne menace pas les humains, il éveille une part d'eux nouvelle, qu'il doive cartographier, apprivoiser. Kogonada avait fait preuve d'une infinie délicatesse dans le remarqué Columbus, et d'une ampleur émotionnelle confinant à l'épique dans la série Pachinko. Deux versants de sa sensibilité ici réunis dans un art de la synthèse peu commun. L'homme a choisi son nom d'artiste en hommage à l'un des scénaristes les plus éminents du réalisateur japonais Yasujirô Ozu, auquel il consacra une partie de ses études, avant de réaliser des dissertations vidéos qui lui valurent une renommée instantanée, où figuraient en bonne place les travaux de Bergman, Bresson ou encore Linklater.

 

After Yang : photo, Malea Emma TjandrawidjajaPote cheffe

 

INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE

Ce sont ces affluents d'influence qui se marient ici pour prendre le pouls de nos questionnements existentiels, mais surtout, en bon récit de science-fiction qui se respecte, dans le but de deviner quels seront nos affects demain, comment une société nouvelle interrogera des hommes nouveaux. Cet univers il le filme sans courir après la représentation des innovations technologiques, plutôt en scrutant de quelle manière celles-ci peuvent s'incorporer naturellement au sein d'un quotidien faussement calme.

Le directeur de la photographie Benjamin Loeb, fort de l'expérience accumulée sur Mandy ou Pieces of a Woman accorde une importance toute particulière au placement des protagonistes dans ses cadres, étonnamment chaleureux en dépit d'un sens de la composition perpétuellement rigoureux. Parce qu'il nimbe la discrète, mais foisonnante direction artistique dans une lumière organique, il donne toute la place à ses comédiens, dont la moindre inflexion, chaque regard ou échange installe avec authenticité une humanité apaisée et pourtant à vif.

 

After Yang : photo, Jodie Turner-Smith, Colin FarrellUne famille en or

 

L'ensemble pourrait s'enkyster dans la dépiction utopique d'une société sans véritables conflits, ou buller autour de personnages en demi-teinte, mais il n'en est rien. Et c'est là où l'héritage bergmanien de l'ensemble s'incarne tout à fait. Rarement Colin Farrell aura-t-il été dirigé avec autant de finesse, ou aura trouvé une partenaire de jeu à ce point compatible avec son aura de beagle sous Lexomil. Face à lui Jodie Turner-Smith symbolise à la fois les défis passés d'une société qui aura triomphé de nombre de ses troubles, et la possibilité d'une aube, d'une humanité renouvelant sa perpétuelle quête d'elle-même.

Leur miracle conjoint consistera à faire de Yang cet être dont on questionne l'humanité avant de réaliser que son essence, par nature "autre", devient dès lors un terreau pour notre imagination, et le révélateur de notre condition. Comment aimer une altérité aussi radicale ? Que peut-elle aimer, et où se niche sa singularité ? En creux, progressivement, le film fait de cette figure que Garland traitait avec un mélange de compassion et de curiosité distantes le point névralgique de sa réflexion, notre véritable point d'ancrage, dont la richesse n'a d'égal que les perspectives vertigineuses. Doux, sensible et drôle, After Yang nous montre que la science-fiction demeure le terrain d'élection d'une réflexion humaniste et animée, mais aussi un écrin privilégié pour nos émotions, qu'elles soient évidentes, complexes ou encore à naître.

 

After Yang : affiche

Résumé

La science-fiction de Kogonada ne cherche pas le spectacle à tout prix, préférant revenir à ses origines philosophiques et humanistes. Avec une douceur et une poésie désarmantes, le réalisateur questionne les grands bouleversements qui attendent l'humanité.

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Lecteurs

(4.2)

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commentaires
Kyle Reese
15/11/2022 à 23:55

Superbe film. Je me suis laissé prendre du début à la fin par son rythme hypnotique, sa douceur, sa poésie et son thème évidement. Un film d'une grande sensibilité qui m'a beaucoup touché et ému. Une pépite en effet, d'une très belle bienveillance. Impressionné par la capacité de douceur de jeu de Colin Farell. Cet acteur est décidément plein de surprises.

Zabock
10/08/2022 à 15:57

Pour ma part c'est une bouse qui n'effleure même pas l'ombre de Blade Runner. On se demande ce que Colin Farell vient faire dans ce non film qui n'apporte strictement rien sur le sujet android/humain qui a été traité maintes fois et beaucoup mieux. Scenario risible et sans inventivité, c'est lent et prévisible, le rôle de l'enfant énervant au possible répétant sans cesse qu'elle veut voir gaga, les autres rôles sont plats et insipides...bref je n'aurais aucun mal a oublier

ChaosEngine
01/08/2022 à 12:34

Très beau film intelligent, magnifiquement réalisé et dirigé, tout en douceur et en finesse. Ca fait du bien !
Je ne connaissais pas ce réalisateur, et ça m'a vraiment donné envie de découvrir sa filmo.

police academix
12/07/2022 à 20:30

alors oui le film est intéressant et ouvre pas mal de piste de réflexion mais on arrive au bout avec un espèce de gout d'inachevé comme si la réalisatrice n'arrivait pas à aller au bout de son propos , une impression douloureuse tant le film est bourré de qualité narrative et d'image magnifique qui marque la retine . Colin Farell mérite un dossier sur ses choix de carrière @ecranlarge lui qui oscille entre super-production et films d'auteur .

Claire-_-happy
12/07/2022 à 18:12

@stroumpfette: je sors désorientée, secouée de « after yang » et essaie de reprendre pied avent de retourner voir « i’m your man » . Coïncidence ? La Sf en particulier et le cinéma en général ne sont jamais aussi beaux et utiles que quand ils nous interrogent sur notre humanité.

GTB
09/07/2022 à 12:58

@Kya> "bigbug mais en version film d'auteur"

Film d'auteur n'est ni un genre, ni révélateur de quoique ce soit d'autres que la fabrication. Bigbug est un film d'auteur en l'occurrence. Interstellar est également un film d'auteur.

@libtard> Il y en a qui semblent avoir un problème avec le terme toxicité masculine. Mais que ça plaise ou non, c'est une réalité. Et j'ai bien dit une réalité, parmi d'autres, ça n'est pas la seule cause de mal-être. Et les femmes ne sont absolument pas les seules à en faire les frais.
Quant à Cu ties, ça n'est ni un film Netflix, ni un film aux intentions salaces. Au même titre que Les Affranchis n'est pas un film pro mafia, que Il Faut Sauver le Soldat Ryan n'est pas un film pro-guerre, etc...encore un (ou une) qui n'a même pas regardé le film, tellement son message est évident et sans la moindre subtilité. Et pas très bon d'ailleurs, son atout principal étant justement d'aborder un thème sociétal dont on ne veut pas parler pendant que des jeunes femmes sont livrées à cette pression.

Mokuren
09/07/2022 à 12:14

@libtard : et si vous commenciez par apprendre à écrire avant de critiquer le travail des autres ? ;)

Ozymandias
09/07/2022 à 09:55

Dans ma liste alors ! ;-)

Schtroumpfette
08/07/2022 à 18:07

J'ai vu I'm your Man, il est logique que j'aille voir celui-ci aussi. La science fiction n'est jamais aussi intéressante que lorsqu'elle interroge notre humanité.

Szalem
08/07/2022 à 17:06

Le roman (court) de P. Djèli Clark est "Ring Shout : Cantique rituel" (+/- 150 pages)

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