The Sadness : critique du film le plus gore de l'année

Mathieu Jaborska | 6 juillet 2022 - MAJ : 25/07/2022 16:17
Mathieu Jaborska | 6 juillet 2022 - MAJ : 25/07/2022 16:17

Passé par Fantasia et le Grimmfest, par l'Étrange Festival, le PIFFF et Gérardmer en France, The Sadness est de ces films qui ne quittent le circuit des festivals spécialisés qu'à travers la VOD, la vidéo ou la SVoD. Pourtant, il se fraye un chemin en salles en plein milieu de l'été, au risque (assumé) de traumatiser les âmes innocentes qui le prendront pour une énième comédie horrifique. Et tant mieux : sa sauvagerie ahurissante est en fait un vent de liberté qu'on croyait essoufflé depuis belle lurette. Attention, ni le film ni cet article ne sont à mettre devant tous les yeux.

Rythme mortuaire

La formule est utilisée à tort et à travers, mais elle est ici formulée par le réalisateur Robert Jabbaz en personne : The Sadness est une gigantesque montagne russe, une attraction à sensation dont on ne ressort pas indemnes. En guise de rails, une mutation surprise du "virus Alvin", décalque du Covid qui régit nos vies, laquelle désinhibe la population taiwanaise par hordes entières, stimulant sa propension aux violences de toutes sortes. En guise de passagers, un jeune couple parmi tant d'autres, qui se chamaille à propos de ses vacances. Lorsque tout s'effondre, Kat et Jim vont tout faire pour se rejoindre.

Inspiré du remake d'Evil Dead (pour la générosité gore), des productions estampillées Catégorie III du Hong-kong des années 1990 (pour la transgression morale) et du comics Crossed (pour le concept), le film doit avant tout sa réputation sulfureuse à sa gestion du rythme. Le contexte pandémique faisant office d'excuse, le Canadien exilé à Taiwan organise ses scènes de carnage avec une rigueur rare et booste ainsi leur impact à intervalles réguliers.

 

The Sadness : photoUn lundi dans le 15e arrondissement

 

Jouant de l'ironie dramatique, narguant un spectateur qui sait très bien pourquoi il est là avec quelques faucilles de Tchekhov, il attend 15 minutes avant de faire basculer l'intrigue au gré d'un insert ignoble. Le train est engagé dans la descente et lorsqu'il ralentira, ce sera pour mieux reprendre de la vitesse par la suite. À peine le premier sang versé, dans une logique contestable médicalement, mais ultra efficace cinématographiquement, le monde entier perd la boule en quelques secondes. À la fois coup d'envoi et note d'intention, la séquence nous emmène droit en enfer, sans passer par la case gag...

Juste après, notre héros se réfugie chez lui et tombe sur un étrange programme télévisé, une sorte de dessin animé cauchemardesque, tandis que les psychopathes à l'extérieur hurlent des insanités. La musique quasi surnaturelle, ce bruit de bottes malsain qui s'échappe de son poste donnent le tempo des péripéties à venir, imbrications de pures scènes de barbarie agencées de manière à ne jamais éluder le malaise. Une pure vision d'horreur prémonitoire, au service d'un film intégralement dédié à entrainer le spectateur dans son entreprise de destruction déliquescente de toute humanité.

 

The Sadness : photoAmbiance

 

Nos héros parcourent une jungle urbaine dévastée, puis chavirent dans quelques épicentres de violence ahurissants, qui outrepassent – et on ne pensait jamais revoir ça sur un grand écran un jour – le cadre du gore pop pour dévoiler toutes sortes d'exactions, dont des viols, par exemple. Des bains de sang furieux (et de probables cauchemars logistiques) parsemés d'effets prosthétiques impressionnants... mais pas seulement. Grâce à ce sens du rythme, l'efficacité de son découpage, la teinte décatie de la photo et surtout un sound design pour le moins croustillant, Jabbaz se permet même de recourir au hors-champ pendant les scènes les plus "choc" sans perdre en intensité pour autant.

Contre toute attente, The Sadness n'est pas le plus graphique des films d'horreur qui échouent sur nos écrans, mais sans conteste l'un des plus rudes. Au traditionnel concours de celui qui a la plus grosse (scène gore), il s'inscrit hors compétition, et rappelle que sa puissance d'évocation tient moins de la frontalité de ses effets que d'une cadence irrégulière infernale, voire d'une noirceur étouffante.

 

The Sadness : photoSourire en toute circonstance

 

Despair, Hangover & Ecstasy

Avec un pitch pareil, nombreux seraient les cinéastes à jouer la carte de la comédie post-Braindead. Le genre zombiesque regorge de ces farces inoffensives et toutes similaires. Bien que The Sadness ne lésine pas sur l'humour noir, il est mu non pas par la quête absolue du fun, mais par un désespoir total. D'ailleurs, lorsqu'il met sur pause sa frénésie aux portes du climax, c'est pour mieux préparer le plus cruel de ses forfaits, qu'on ne révélera pas, mais qui attente cette fois aux fondations incontestables de toute construction dramaturgique qui se respecte. Le tout avec en ligne de mire un maigre espoir que la caméra de Jabbaz ne nous autorisera même pas à voir.

C'est de ce nihilisme délirant qu'il tire sa force traumatique et qu'il retouche du doigt la liberté d'un certain cinéma d'exploitation. Quand son ironie est si morbide qu'elle donne la nausée, quand il noie dans l'hémoglobine les unes après les autres les conventions morales et narratives du cinéma grand public et quand il explose littéralement les autorités à la grenade, il fait honneur à ses illustres références, qui ne noyaient pas leur transgression derrière une overdose de second degré.

 

The Sadness : photoUn mardi dans la ligne 7

 

La prolifération des comédies qui a suivi Shaun of the Dead nous avait débarrassés, à force de les tourner en dérision, des embarrassants (et très lassants) codes du film de zombie. Comme pour effacer plusieurs années de répétition du même motif, Jabbaz se les réapproprie et leur rend enfin leur capacité d'inquiétude. Doués de parole, plus proche de la bête sauvage que du cadavre mobile Romerien, ses infectés n'ont plus grand-chose à voir avec les monstres qui pullulent sur nos écrans depuis des années et tant mieux.

À l'image du film, ils tiennent leur brutalité de leur vice et non plus de leur simple instinct animal. Une idée, qui, poussée dans ses retranchements, parvient à distiller un malaise de plus en plus asphyxiant. Représentés notamment par l'antagoniste principal, campé par un Tzu-Chiang Wang terrifiant, businessman dont les pulsions vicelardes se muent en sadisme pur, les infectés incarnent physiquement le nihilisme du long-métrage, avec leurs yeux noirs et leur sourire lubrique, qui vous hanteront encore longtemps après visionnage.

 

The Sadness : photo, Tzu-Chiang Wang, ReginaViolence quotidienne

 

Comme dans cette vignette animée complètement détraquée qu'on contemple, hallucinés, en même temps que le héros, le monde destitué de tout inhibiteur s'écroule et sombre dans la démence. Qu'importe la sidération un peu jouissive que peut procurer la chose, à des kilomètres de l'auto-satisfaction des Mayhem et compagnie, contempler la fin du pacte social a quelque chose de traumatisant. En ça, The Sadness n'est pas seulement un massacre tel qu'on en voit très rarement dans nos multiplexes, mais aussi un grand film d'horreur.

 

The Sadness : Affiche officielle

Résumé

Gare à vous qui croyez découvrir une série B gore, légère et divertissante : malgré sa générosité, The Sadness broie l'humanité de ses personnages et la nôtre au passage.

Autre avis Simon Riaux
Une tornade de viande qui va bien au-delà de sa promesse initiale de boucherie décomplexée. Plus qu'une turbine tripale lancée à pleine vitesse, The Sadness, comme Crossed avant lui, prend la température d'un corps social vidé de sa substance, où le lien et le collectif ont cédé la place à l'amertume, la prédation et la guerre de tous contre tous.
Autre avis Antoine Desrues
S'il est volontairement provoc dans sa violence extrême, The Sadness a le mérite de ne pas se limiter à sa nature de sale gosse. Son inventivité dans la fabrique de saucisses n'a d'égale que son profond nihilisme, très en accord avec son époque. Une curiosité passionnante pour les estomacs solides.
Autre avis Alexandre Janowiak
The Sadness est provocateur et subversif, mais surtout très gratuit, soit une petite série B aussi gore que tristement lassante.
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Lecteurs

(2.8)

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commentaires
Thomaaas
01/08/2022 à 14:01

Plutôt d'accord avec cette critique de Mathieu, même si je trouve vraiment à redire sur le rythme du film. Pour moi il y a un vrai problème de montage. Tout au long de la séance je me disais que ces longueurs ressemblaient à un réal qui a monté lui-même son film, sans prise de recul, et le générique de fin m'a donné raison. J'ai ressenti au moins 20 minutes de trop !


@sylvinception
SPOILER : À mon avis ce passage de la critique fait plus référence au meurtre du bébé dans la poubelle, qu'à celui de Kat par les militaires.

sylvinception
12/07/2022 à 12:16

"Le tout avec en ligne de mire un maigre espoir que la caméra de Jabbaz ne nous autorisera même pas à voir."

Je ne vois pas de quel "maigre espoir" vous parlez ici... Kat est la seule personne immunisée contre le virus, elle sort sur le toit de l'hôpital pour être évacuée, mais manque de bol elle se fait descendre - on entends très bien les coups de feu - et donc comme dirait Yoda, "d'espoir il n'y a pas".

Alxs
10/07/2022 à 14:48

Vu et pfiou faut avoir le coeur accroché. Enfin un vrai film d'horreur qui aborde des questions sociales, politiques et non l'inverse comme toutes les sorties du genre récemment. Pour un premier film la barre est placée bien haute, vivement le prochain!

sylvinception
09/07/2022 à 22:01

J'en sors, et je me retrouve dans les commentaires ci-dessous.
Ok c'est un trip (lol) très gore, mais à lire vos critiques (sauf celle de A. Janowiak, qui semble être le seul à faire preuve de recul et d'objectivité) fallait s'attendre au choc du siècle, z'êtes sérieux ?
Alors sinon donc c'était plutôt sympa... avec quelques réserves pour ma part.
J'ai aimé : le côté jusqu'au boutiste, les politiques qui en prenbent pour leur grade, le boulot remarquable sur les effets bien crades, le montage nerveux et les plans hors-champ très bien pensés, ainsi qu'une fin bien nilihiste que John Carpenter n'aurait pas renié.
J'ai beaucoup moins aimé : les flots d'hémoglobine c'est bien fun, mais à force ça désamorce la tension car c'est trop énorme pour ne pas en rire, y a aussi le côté opportuniste et vulgaire de la récupération vraiment pas discrète du mouvement Metoo - au cas où on aurait PAS ENCORE bien compris que les mecs sont des gros porcs lubriques - et à noter aussi une nette baisse de régime dans la deuxième moitié du métrage...
Au final je pense que Jabbaz est surtout un petit malin - très doué certes - même si sa démarche reste couillue, car pour vouloir sortir un film comme celui-ci en salles en pleine saison estivale, faut quand même en avoir dans le pantalon.

Dick Laurent
09/07/2022 à 12:34

Pareil je m'attendais au choc du siècle, c'est juste une série B plus gore que la moyenne, pas très bien rythmée et limite ennuyeuse...Le vrai intérêt est effectivement sa brutalité et son absence de 2n degré.EL je vous trouve bien gentils sur ce coup là...

Icarus
09/07/2022 à 10:35

J'ai du mal à comprendre l'engouement d'EL sur cette péloche certes bien troussée, mais loin d'être inoubliable !
La fluidité de la mise en scène, c'est pas du Evans, le concept est pas franchement novateur, le gore est pas ouf et les rebondissements sont plus que téléphonés.
Alors oui, c'est sombre et pervers, mais c'est surtout un peu facile !

Hasgarn
09/07/2022 à 08:41

@ The insider38 :

Non justement. Si Spelilberg admet avoir été très intrusif et impliqué dans le tournage de poltergeist, Tobe Hopper reste le réalisateur.
Mais il était au service de la vision de Steven qui bossait en parallèle sur ET

The insider38
07/07/2022 à 19:56

@ kyle reese : et poltergeist ? Tout le monde sait que c’est spielberg qui l’a réalisé tobe hoper n’a été qu un prête nom.

Ça se voit d’ailleur a l’écran , tout resemble a du spielberg, rien a tobe hoper.

The insider38
07/07/2022 à 19:52

Si ça ne vous suffit pas ce putain de film..

Vous pouvez toujours vous rabattre sur .:

A Serbian films et murder set pieces, après on en reparle

Weezy
07/07/2022 à 18:50

@Zapan et @Kittim

Merci pour vos retours. Une chance lui sera donnée!

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