Korean Fried Chicken : critique de poulets en carton

Lucas Jacqui | 1 juillet 2022 - MAJ : 01/07/2022 14:39
Lucas Jacqui | 1 juillet 2022 - MAJ : 01/07/2022 14:39

Sortie en Corée du Sud en 2019, le deuxième film le plus vu de tous les temps du pays, Korean Fried Chicken (Extreme Job en VO) avec Ryu Seung-ryongLee Hanee et Jin Sun-kyu, arrive en France directement en DVD et Blu-ray. Ne prétendant pas rivaliser avec un Park Chan-wook, Lee Byeong-heon propose cependant une comédie policière mêlant poulets panés et poulets infiltrés. Est-ce la recette du succès ?

badge ou bucket

Une brigade de bras cassés est mise sur une grosse affaire, enquêter sur un gang et démanteler son trafic de drogues, leurs carrières dans la police coréenne en dépendent. Pour un espionnage de qualité, les policiers vont récupérer un restaurant de poulets frits situé juste en face du QG des malfrats et le transformer en planque. Afin de n'éveiller aucun soupçon, les agents des Stups vont aller jusqu'à enfiler toques et tenues de serveur. Mais le succès immédiat de leur plat signature fait de leurs tables les plus prisées du quartier, absorbant toute l'énergie des poulets en uniforme qui délaissent l'enquête. Ainsi leur affaire de restauration étant plus lucrative que leurs affaires dans la police, ils vont devoir choisir.

 

Korean Fried Chicken : photo, Jin Sun-kyu*insérer un jeu de mots sur les poulets*

 

Cette idée absolument géniale et hilarante qu'a le film met étonnamment longtemps à se mettre en place. Plutôt que d'aller dans le vif du sujet et concentrer les péripéties sur le concept de flics devenus cuistots, Korean Fried Chicken prend plus d’une demi-heure à nous introduire la brigade et l'affaire sur laquelle ils se trouvent. Puis, soudainement, en l'espace de trois scènes, tout se précipite et s’enchaîne. De cette manière, le scénario de Bae Se-young ne permet pas d’exploiter la perte de contrôle progressive de ce comique de situation originale. À contrario, cela donne la possibilité au film d'aller au plus loin de son concept.

Cette hâte conduit inévitablement l'histoire à sauter des étapes pour accélérer son intrigue, quitte à sacrifier la compréhension de certains arcs narratifs. Il en ressort une forme d'artificialité dans l'écriture, certains éléments n'étant là que par nécessité scénaristique sans paraître réellement exister dans le film. Ainsi l'aspect purement policier est assez bancal et apparaît superflu, le trafic de drogues et son boss caricatural ne servant qu'à générer des situations de plus en plus extrêmes pour les héros.

 

Korean Fried Chicken : photo, Lee Dong-HwiL'aile ou la cuisse ?

 

actioner goût poulet

Comme le dit le scénariste et réalisateur de Kaamelott, Alexandre Astier, « la comédie doit être un genre sérieusement fait », et Lee Byeong-Heon respecte ce précepte dans la mise en scène de sa comédie policière. Jouant sur les gimmicks propres au polar, sans jamais moquer les codes du genre, Korean Fried Chicken passe d'abord pour un film d'action. Dans cette histoire de flics gérants d’un restaurant de fritures de poulets, le plus fou est qu’on y croit, justement parce que Byeong-heon fait tout pour. Ainsi, au milieu de ces séquences crédibles d'enquête, la surcharge de travail que représente le métier de cuisiniers pour ces agents de police paraît d'autant plus réaliste.

 

Korean Fried Chicken : photo, Ryu Seung-ryong, Lee Hanee, Jin Sun-kyu, Lee Dong-Hwi, Gong MyoungQuelques minutes avant la distribution de salades de phalanges

 

C'est notamment dans ses scènes d’action que Korean Fried Chicken prouve le soin apporté par son réalisateur pour en faire un film policier divertissant. À plusieurs reprises, les personnages vont régler leurs différends à coups de pied sautés. Et ce qui aurait pu être un massacre visuel est au contraire plutôt soigné grâce à des chorégraphies assez bluffantes. Chaque combat a sa réalisation propre, soit en jouant avec l'affrontement en arrière-plan, en nous plongeant au coeur de la mêlée, ou en usant du hors-champ. Byeong-heon n'hésite pas à faire se confronter plusieurs dizaines de gangsters dans un chaos organisé jouissif qui donne une claque à la bataille finale de The Dark Knight Rises.

Les situations comiques ne sont pas considérées avec ingratitude et bénéficient de tout autant d'attention de la part du metteur en scène. Que ce soit dans les acteurs surgissant du cadre ou la rythmique des interactions entre les comédiens, Korean Fried Chicken reprend les mécaniques du burlesque. Malgré cela, on souffle du nez plus qu’on s’esclaffe devant tous les efforts déployés. Les situations prêtent à sourire, et l’ensemble est très loin d'être un calvaire à regarder, mais les séquences ne poussent pas assez loin le curseur des blagues pourtant bonnes. Et ce n’est pas la musique avec des gloussements de poules qui va nous tirer des larmes de rire tant elle décontenance.

 

Korean Fried Chicken : photo, Lee Hanee, Gong Myoung, Lee Dong-Hwi, Ryu Seung-ryong, Jin Sun-kyuCe sont toujours des policiers

 

Korean Flics Chicken

Le plus gros point fort de Korean Fried Chicken n'est pas dans son talent pour nous donner faim, mais dans la bonne humeur communicative que dégage cette brigade d’amis plus que de collègues. Leur camaraderie respire l’authenticité, procurant les moments les plus drôles, et rappelant l'agréable commissariat de la série Brooklyn Nine-Nine. Leur alchimie fonctionne jusque dans l’humour de chacun, différent mais complémentaire, donnant lieu à des dialogues aussi savoureux que subtils à la manière de Kaamelott.

Pourtant, même si être en planque avec cette bande de copains de travail est amusant, les personnages ne vont pas plus que les archétypes qu'ils incarnent et les gags qu'ils représentent. Ainsi, la caractérisation de chacun tourne en rond jusqu’à un dernier acte se sentant obligé de nous balancer frontalement leurs historiques respectifs. Conséquence : tous les personnages sont présentés d'une manière totalement différente aux yeux du spectateur, contredisant au passage la première partie du film.

 

Korean Fried Chicken : photo, Lee Hanee, Jin Sun-kyu, Lee Dong-Hwi, Gong Myoung, Ryu Seung-ryongPOV : tu es le dernier morceau de poulet

 

Les plus gros défauts de caractérisation transparaissent surtout avec les trois seuls personnages féminins qui combinent des stéréotypes trop vus au cinéma. En effet, on se retrouve avec la flic dure à cuir et au fort caractère, en opposition à l’éternelle ménagère dont le mari a les pieds pantouflés sous la table pendant qu'elle sert le plat du soir. Enfin, dernière figure féminine classique du film d’action, la garde du corps muette du méchant, aussi bonne combattante qu’elle est un bon toutou répondant aux ordres.

Si les personnages méritaient une (ré)écriture et un approfondissement, ils sont néanmoins tous attachants grâce aux performances des comédiens. Chacun arrive à jouer de son corps et de son visage que ce soit dans les scènes de dialogues, comme dans les combats ou les cascades. Pour cela, on peut remercier le travail du réalisateur qui a su diriger brillamment ses acteurs pour tirer le meilleur de leurs physicalités, alors que certains d’entre eux étaient issus de la comédie romantique (Gong Myoung) ou du thriller (Jin Sun-kyu, Ryu Seung-ryong).

 

Korean Fried Chicken : photo, Lee Hanee, Gong Myoung, Lee Dong-Hwi, Ryu Seung-ryong, Jin Sun-kyuLes atouts du film

 

Korean Fried Chicken exploite à fond son concept génial, le poussant jusqu’au bout pour plus de moments complètement absurdes. Malheureusement, peu de gags servent cette intrigue trop pauvre et font vraiment rire malgré la complicité évidente des personnages. On est loin d'un Very Bad Cops avec Will Ferrell et Mark Wahlberg qui avait su mélanger une enquête bien écrite et un humour excellemment rythmé. 

Korean Fried Chicken est disponible en DVD et Blu-ray depuis le 1er juillet 2022.

 

Extreme job : Affiche officielle

Résumé

Les combats sont plus impressionnants que les gags ne font rire dans cette comédie policière pourtant portée par un casting qui donne tout. Korean Fried Chicken c'est sympathique, c'est réjouissant, et ça donne faim.

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commentaires
Saiyuk
10/07/2022 à 16:00

J'ai adoré, me suis bien marré..ne surpasse pas le festin chinois mais c est un très bon divertissement

Lucas Jacqui - Rédaction
03/07/2022 à 11:33

@Mokuren
Merci pour toutes ces précisions culturelles que j'ignorais.
Le film m'avait déjà mis l'eau à la bouche, et grâce à vous je vais me ruiner pour manger du poulet en Corée !

Fox
02/07/2022 à 12:52

@Ken
Vous êtes passé complètement à côté de mon propos.

Vous parlez de "mérite", et donc que vous souhaiteriez au final que des films que vous estimez "meilleurs" aient plus d'entrées que ceux "moins bons". Je rappelais donc que, en Corée comme en France, il y a de (nombreux) exemples où "qualité" et "nombre d'entrées" n'étaient pas nécessairement corrélés. Pour illustrer mon propos, j'ai donc cité un film français, ce qui parle à tout le monde. Et je me permettais également de dire que, comédie pour comédie, 2e au BO national pour 2e au BO national, sans être un chef d'oeuvre pour autant, ce film coréen était quand même beaucoup moins honteux que le film de Dany Boon. Le pire, c'est que j'ai débuté mon message par un smiley pour signifier que mon ton était léger, que je souhaitais creuser - sans pour autant critiquer durement - votre propos. Comme toujours sur ce genre de forums, on a l'impression que les gens se sentent attaqués en permanence (et c'est un peu fatiguant à la longue...).
Ah bah du coup je me permets une petite réponse (sous forme de question) sur l'exemple que vous citez dans votre second message : pour vous, Welcome to Dongmakgol mériterait plus d'entrées que Korean Fried Chicken (en Corée, je précise) ? Mais est-il sensé de comparer la popularité potentielle entre un film "de guerre" et une comédie ? De même qu'était-il logique d'espérer (en France) autant de spectateurs avec l'Ennemi Intime qu'avec Les Visiteurs ?
Gros débat en perspective (ou pas) !

Jeanne
02/07/2022 à 12:41

Juste pour dire, les Coréens écrivent leur nom avec le nom de famille d'abord. Donc quand vous appelez le réalisateur Byeong-heon, vous l'appelez par son prénom

Mokuren
02/07/2022 à 12:24

Je n'ai pas encore vu le film et j'apprends avec votre article que ça sort. Comme quoi la communication n'avait pas atteint sa cible vu que je surveille tout ce qui vient de Corée!
En tout cas, merci d'avoir eu un mot pour les personnages féminins. Encore une fois, je n'ai pas vu le film, mais les personnages féminins sont l’énorme problème du cinéma coréen commercial (je parle bien du cinéma commercial). Ça évolue un peu depuis quelques années grâce à l'influence des séries TV, mais sans cela, rien n'évoluerait car les gros projets sont toujours squattés par les mêmes noms.
A propos de l'humour autour du poulet, je pense qu'il y a une donnée culturelle qui ne passe peut-être pas. Quiconque a mis les pieds en Corée sait que le poulet frit est une institution là-bas. IL y a des tas de restaurants issus le concept "chicken & beer", où l'on mange du poulet frit avec toutes sortes d'assaisonnements en buvant de la bière. Si les scènes d'humour tombent à plat, c'est sans doute un défaut du film, mais je pense aussi que cette obsession du poulet frit n'est pas connue du public occidental.
Bref, je recommande au journaliste d'aller faire un tour en Corée et d'essayer au moins une fois un "chicken & beer". :)

Ken
01/07/2022 à 21:15

Pk vous comparez la France je parle du cinéma coréen en lui même, prenez l’exemple de Welcome to Dongmakgol il mérite bien plus et des exemples comme sa yana trop.

Fox
01/07/2022 à 17:06

@Ken
Vous voulez vraiment qu'on aborde le sujet du "mérite" en termes de box-office ? :)

On a tous nos casseroles (plus de 20 millions d'entrés pour Bienvenue chez les Ch'tis en France, soit le 2e plus gros score en termes d'entrées !), ceci étant dit, avec celui-là, ce n'est pas du même "niveau" que le film de Dany Boon... Je l'avais vu au Publicis au Festival du Film Coréen à Paris et, sans être LE chef d'œuvre sud-coréen, le film était plutôt marrant !
Tiens, ça m'a donné envie de le revoir !

Ken
01/07/2022 à 15:43

Il ne mérite absolument pas sa place du deuxième meilleur film du box office coréen, pourtant bien d’autres film le mérite eux.

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