City of Lies : critique qui Johnny Depp-rime sur Canal+
Après le gros bide de Infiltrator avec Bryan Cranston, Brad Furman revient avec deux autres grandes stars, Johnny Depp et Forest Whitaker sur une autre affaire historique : le meurtre du rappeur Notorious BIG. Et c'est encore un autre échec, plus douloureux encore, City of Lies n'étant en effet même pas sorti en salles et ayant été savamment planqué aux yeux du monde depuis 2018 jusqu'à son arrivée sur Canal+. Le film est-il allé trop loin dans ses révélations sur la corruption de la police de Los Angeles ? A-t-il été enterré à cause de son acteur principal, presque devenu radioactif il y a quatre ans ? Ou bien a-t-on tout simplement tenté de cacher une oeuvre trop mauvaise pour être assumée ? Mystère, mais sur ce dernier point, on a un doute.
B.I.G. TROUBLE FOR LITTLE GANGSTA
Mythes urbains ayant chacun générés leurs lots de théories du complot plus ou moins vraisemblables, les morts de Tupac et (ici surtout) Biggie se retrouvent enfin passées à la moulinette du grand écran sous la forme du polar biographique (ou true crime en anglais). Un genre particulièrement prisé outre-Atlantique et qui a pu donner quelques chefs-d'œuvre de cinéma (Zodiac) ou de séries (la première saison d'American Crime Story). Il faut dire que, bien exécuté, ce genre permet d'ausculter brillamment les travers et les tourments d'une société, d'exposer les échecs du passé tout en montrant le chemin collectif qu'il reste à parcourir.
Une rétrospection qui fonctionne dans le premier temps de City of Lies, qui a pour principale qualité ses quarante premières minutes et sa recontextualisation historique réussie. Dès l'introduction d'ailleurs, le ton est donné. Les États-Unis, et en particulier la ville de Los Angeles, souffrent encore des stigmates laissés par les affaires Rodney King et O.J. Simpson. Tensions raciales exacerbées, discrédit quasi-total de la police : la cité des anges est une poudrière. Pour les chefs, les consignes sont claires : chaque affaire doit être la plus simple possible et disparaître aussi vite que possible.
Johnny Depp et Forest Whitaker dans l'ombre de Biggie
Pas le temps de s'embêter avec les finasseries d'un policier comme Russell Poole : quand un flic blanc en civil tue un flic noir en civil après une altercation, c'est parce que le flic noir est corrompu. Quand une idole populaire afro-américaine est mise à mort dans sa voiture, c'est à cause d'une rivalité de gangs, et puis de toute façon, on ne retrouvera jamais le tueur. Pas la peine de chercher des preuves, moins on a les journalistes sur le dos et plus leurs conclusions hâtives sont confirmées, moins l'institution de la police est scrutée et mieux on se porte. Le problème, c'est que Russell Poole est du genre à bien faire son travail, quitte à ce que cela lui prenne quasiment vingt ans de sa vie.
En quarante minutes, à grand renfort d'allers-retours temporels et d'un duo d'acteurs chacun talentueux dans son genre à défaut de faire des étincelles, City of Lies parvient à construire une ambiance à la True Detective... quitte même à faire dans la copie moins inspirée. La photographie souffre d'une tendance à reprendre sans trop comprendre l'imagerie urbaine et délavée devenue iconique de Nic Pizzolatto. Heureusement, la réalisation plus documentaire et saccadée de Brad Furman vient empêcher de totalement crier au plagiat.
Vingt ans après, il ne reste que deux mousquetaires
ALL EYEZ ENDORMIS
Même s'il faut plus qu'une caméra à l'épaule et de zooms au sein d'un plan pour faire un style, reconnaissons que le cinéaste fait un début de proposition qui tranche avec le découpage plus aérien de son modèle. Reconnaissons également que l'écriture parvient à poser ses enjeux sans difficulté et laisse entrevoir un beau programme, une ballade mortelle dans les méandres corrompus d'une Los Angeles labyrinthique, habitée par de nombreux Minotaures qui n'ont qu'un seul but : empêcher quel héros que ce soit d'en sortir indemne.
Mythologique, City of Lies ne s'annonce pas mythique pour autant, mais pas inintéressant ou déplaisant non plus. Sauf que passé ce gros premier tiers (ou cette petite première moitié), les choses commencent à se gâter, et pour une raison que l'on ignore, City of Lies s'emballe dans le mauvais sens du terme. Le découpage devient fade, chaque séquence est torchée en cinq à six plans maximum à peu près correctement cadrés, le récit rechigne à aller franco dans sa seconde partie consacrée à la corruption de la police. Les sujets se mélangent, les effets de sens du film se brouillent, l'intrigue se précipite et enchaîne les clichés du polar crasseux moderne.
Impossible pour un détective obsessionnel de bien ranger sa chambre
La machine perd tellement le rythme qu'il n'y a plus une seule "grande" scène dans la dernière demi-heure, et que même le montage n'arrive plus à maintenir sa propre cohérence : alors que chaque timeline est jusqu'ici présentée chronologiquement, un flashback au sein de la chronologie du présent vers une autre scène de ce temps présent interpelle, car il montre une scène, plus émotionnelle que narrative, qui n'est clairement pas placée au bon endroit, comme s’il avait fallu urgemment résoudre l'intrigue et éventuellement, si on a le temps, rappeler qu'on raconte aussi des personnages.
City of Lies, pourtant déjà très sage et respectueuse des codes de son genre, branche la soporifique turbine à clichés pour aller à sa conclusion le plus rapidement possible en seulement 1h40, et en voyant le film se désagréger sous nos yeux, on ne peut que se dire qu'il y a eu un problème derrière la caméra. Il manque visiblement de nombreuses images pour que le récit tienne vraiment debout, et, à l'image de la victime de son histoire, si l'on fait attention aux détails, City of Lies apparaît comme un film abattu en plein vol.
Allez, dis-moi qui a tué Johnny
PITY OF STARS
Il n'y a aucun élément précis à se mettre sous la dent, mais il est évident que City of Lies a souffert d'une production troublée, et l'indication la plus claire de cela est que le tournage principal a duré six mois, ce qui est proprement ahurissant, à fortiori pour un film de ce probable acabit. Probable, car le coût de production du film est tout simplement introuvable, encore un autre signe qui montre que tout est fait pour qu'on puisse en déduire le moins possible.
On ne sait d'où, mais de toutes évidences, il y a eu intervention quelque part : Miramax a-t-elle repris ses sales méthodes de remontage habituelles ? La production a-t-elle freiné des quatre fers à cause des embrouilles montantes de Johnny Depp en 2018 ? Le LAPD a-t-il vraiment fait pression sur City of Lies pour éviter une réouverture de l'enquête par la mère de Notorious B.I.G. comme le prétend le douteux tabloïd Daily Beast ? En vérité, peu importe, à l'arrivée, le résultat est le même : City of Lies est un film mineur mutilé.
Il devait signer le retour de Johnny Depp à des rôles plus sobres et des productions moins pharaoniques avant que ses déboires personnels avec Amber Heard ne mettent sa carrière entre parenthèses, mais City of Lies n'en sera rien. Et malgré tout le sérieux technique qui émane de l'ensemble, force est de constater que City of Lies ne marquera personne et ne dévoilera aucune nouvelle vérité, même s'il remet plusieurs églises au centre du village. Mais bon, en 2022, dire que la police est corrompue et que Suge Knight est une sacrée ordure dont on est certain à 95% qu'il est à l'origine de la mort de bien des gens dans le monde (suivez notre regard), c'est comme dire que l'eau, ça mouille.
City of Lies est disponible en VOD sur MyCanal
Lecteurs
(4.1)29/04/2022 à 17:30
Ça ce regarde, surtout pour le côté docu. Mais ça manque de rythme, on croirait un téléfilm