La Ruse : critique qui fait le mort

Antoine Desrues | 9 novembre 2022 - MAJ : 10/11/2022 19:21
Antoine Desrues | 9 novembre 2022 - MAJ : 10/11/2022 19:21

Après Imitation Game ou Les Heures sombres, le cinéma anglais est de retour pour plonger dans les coulisses de la Seconde Guerre mondiale. Avec La Ruse, c’est le réalisateur de Shakespeare in Love, John Madden, qui raconte l’une des plus grandes opérations de contre-espionnage de l’histoire, avec Colin Firth dans le rôle principal. Mais n’est-ce pas un peu trop évident ?

Ce corps dont vous êtes le héros

Les histoires "secrètes" de la Seconde Guerre mondiale, on commence à les connaître. Mais l’Opération Mincemeat (ou "viande hachée") a quelque chose d’assez particulier, dans le sens où elle diffère totalement des stratégies militaires traditionnelles. En 1943, alors que les Alliés espèrent déployer leurs troupes dans l’Europe occupée via la Sicile, il faut convaincre Hitler de ne pas y laisser la majorité de ses unités, sous peine de risquer un massacre.

C’est ainsi que Ewen Montagu (Colin Firth) et Charles Cholmondeley (Matthew MacFadyen) se mettent en tête, malgré les réserves du renseignement britannique, de mettre en place une tactique de contre-espionnage ultime : accaparer un cadavre et lui inventer une vie d’agent secret. L’objectif ? Que les nazis interceptent de faux documents cachés sur lui, prétendant que les Alliés ont pour objectif d’attaquer la Sardaigne et les Balkans.

Dès lors, La Ruse joue avant tout sur sa dimension d’histoire vraie improbable, qui a nécessité une logistique complexe pour créer de toutes pièces une vie cohérente à ce leurre unique en son genre. Le léger souci, c’est la présence à la réalisation de John Madden. D’un côté, on peut comprendre la logique de confier au cinéaste derrière Shakespeare In Love un récit sur l’imaginaire, et la manière dont l’inspiration du réel irrigue la fiction, et vice versa. De l’autre, le bonhomme s’est toujours affirmé comme un parangon d’académisme, incapable de donner des nuances aux concepts forts de ses œuvres via la mise en scène.

 

La Ruse : photo, Colin Firth, Matthew MacFadyenThe (new) identity of John Doe

 

Sans grande surprise, La Ruse répond ainsi aux attentes (et aux craintes) que l’on pouvait avoir. Sa fabrication n’a jamais d’éclat particulier, mais elle n’est jamais indigente pour autant, un peu à la manière d’un téléfilm de luxe de la BBC. Colin Firth, toujours très à l’aise dans le rôle de l’intellectuel un peu coincé, mais sensible, fait mouche à chaque scène sans donner l’impression de trop faire d’effort.

C’est peut-être sa performance qui résume le mieux la démarche du long-métrage, qui suit des rails déjà tout tracés. On pourrait en être déçu au vu de l’aspect rocambolesque de l’opération, ou se contenter de la tenue de sa reconstitution au rythme plutôt soutenu. Voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, tel est le nivellement par le bas qu’implique La Ruse, surtout quand on compare son approche passe-partout à la pudeur bouleversante d’Imitation Game, ou au formalisme flamboyant des Heures sombres.

 

La Ruse : photo, Colin FirthColin Firth à la table régie

 

Retour au Pays imaginaire

Mais d’une certaine façon, la proposition a tout du retour parfait du film du dimanche soir, suffisamment haletant et habile pour tenir sur la durée (pas étonnant d’ailleurs que Warner ait vendu le film à Netflix à l’international). Si Madden nous perd quelque peu dans le classicisme de sa deuxième partie (l’exécution du plan), il a pour lui la malice du scénario de Michelle Ashford, qui transforme la mise en place de l’opération en véritable jeu de rôle géant.

Un peu à la manière d’un atelier de théâtre aux enjeux maous, cette première moitié zigzague avec vivacité au milieu des contingences de cet exercice créatif. Entre les problématiques liées à la conservation du cadavre et l’écriture crédible d’un passé riche, le long-métrage construit un sous-texte salvateur sur la puissance de l’imaginaire et de son impact sur le réel. Là-dessus, John Madden se montre clairement le plus à l’aise, surtout lorsque Montagu et Cholmondeley transposent leurs propres frustrations amoureuses dans les lettres de ce personnage, qui devient une mosaïque de leurs personnalités.

 

La Ruse : photo, Colin Firth, Matthew MacFadyen, Johnny FlynnMake Britain Great Again

 

Tandis que l’horreur de la guerre demeure un hors-champ tétanisant, La Ruse pénètre dans un espace interdit, celui des coulisses d’un jeu de dupes dont on nous casse volontairement la magie, pour nous montrer comment la saucisse est fabriquée. Et comme souvent, les petites mains derrière ce miracle n’ont plus que ce simulacre pour exister, alors même que leur sacrifice a permis de sauver le monde.

Face à leur propre solitude, ils n’ont plus d’autre choix que de se raccrocher à la fiction, à ce monde qu’ils ont eux-mêmes façonné dans un contexte d’annihilation de la créativité. Dommage que le long-métrage n’y voie qu’une façon de glorifier cette inventivité pour l’effort de guerre, plutôt que de mettre cet acte en perspective d’un besoin global d’évasion, de résistance à l’horreur du monde par le truchement d’histoires qu’on continue de se transmettre.

 

La Ruse : Affiche officielle

Résumé

Jamais déshonorant, mais jamais transcendant non plus, La Ruse manque de sublimer son histoire vraie. Reste un scénario habile sur le pouvoir de la fiction, malheureusement plombé par une mise en scène académique. Bof.

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commentaires
Hectopussy
10/11/2022 à 11:41

Agh... dommage qu'un nouveau film récent soit fait autour de cette histoire.
Flemming ayant participé aux propositions qui avaient conduit à cette "ruse", j'espérais qu'elle puisse servir pour le prochain James Bond, avec une enquête autour d'un cadavre que le MI6 voudrait faire passer pour celui de 007 ...

jean-luc
01/05/2022 à 11:13

le film est un remake d'un film sorti vers 1955 THE MAN WHO NEVER WAS le film traitait
le sujet d'une manière beaucoup plus intelligente ,pas de perte de temps dans des histoires
sentimentales , 1° prendre conscience d'un problème , et rechercher des idées ,2° une fois une
idée trouver , comment la mettre en application ? Touver un cadavre compatible , voir les
autorisations , 2) une fois le cadavre trouver , l'habiller ( rigidité cadavériques ,mettre des vétements et surtout les chaussures ) une fois l'opération mis en oeuvre , le film s'attache a trouver un espion Allemanrd qui va mener une enquète c'est un moment essentiel du film
O dans RUSE des histoires anexes pour combler le vide , je suggère de laisser tomber et de
rechercher THE MAN XHO NEVER WAS

Kimfist
28/04/2022 à 11:24

J'ai la bande-annonce quotidiennement un publicité sur Youtube, j'ai dû être identifiée comme une cible potentielle... Je n'ai pas du tout envie de le voir, votre critique ne me donne pas non plus envie.

J'espère que YouTube vas arrêter de me proposer cette bande annonce tous les jours

The insider38
28/04/2022 à 10:04

@ snake : 10 par an ? Lesquels sont sortie en salle en 2021 ? Je veux bien un récapitulatif.

Non parce que je vois généralement tout ce qui sort, et je me souviens pas avoir vu 10 films de guerre en salle sur 2021.

Bon quand à la ruse : Sans surprise, académique, mais très distrayant, surtout actuellement ou il n’y a pas grand choses de palpitant.

Snake
28/04/2022 à 00:11

Faut qu'ils arrêtent avec les films
sur les histoires secrètes de la 2nde guerre mondiale. Ils en sortent 10 par an, la plupart sont oubliables et c'est toujours les mêmes acteurs.

Kouak
27/04/2022 à 14:11

Bonjour,
D'autant plus dommage que le sujet fut déjà traité dans "l'homme qui n'a jamais existé" (1956)...
Rendre hommage à l'agent double Joan Pujol Garcia serait plus judicieux car mis à part quelques docus sur son incroyable histoire... Rien !!
Le gars a tellement enfumé les allemands qu'il a été décoré de la croix de fer...
Il poussera même le vice, à 24h du débarquement du 6 juin 44, de donner la véritable destination de l'armada alliée, soit la Normandie...Ce qui a encré les allemands dans leur obsession d'un débarquement dans le Pas-de-Calais persuadés que "leur" agent s'était fait berner...(Opération Fortitude sud)
Bref...

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