Bubble : critique du Your Name à la sauce parkour de Netflix

Matthias Mertz | 28 avril 2022 - MAJ : 07/09/2022 17:57
Matthias Mertz | 28 avril 2022 - MAJ : 07/09/2022 17:57

Tetsuro ArakiGen UrobuchiTakeshi Obata ou encore Hiroyuki Sawano sont autant de maîtres artisans qui ont forgé Bubble, le film d'animation japonais de Netflix avec l'ambition d'être un nouveau mastodonte d'un genre très populaire depuis l'excellent Your Name, la romance fantastique. Si Netflix a déjà montré sa capacité à être le berceau d'excellentes productions animées (Arcane, Devilman Crybaby), la plateforme a-t-elle réussi son pari dans cette histoire d'apocalypse et de parkour made in WIT Studios ?

Attention à la mousse !

Bubble s'inscrit dans un genre qu'on pourrait qualifier de romance fantastique. Un registre très populaire au sein de l'animation japonaise qui s'est nettement popularisé depuis une demi-douzaine d'années au Japon et en Occident, notamment depuis les résultats fracassants de Your Name de Makoto Shinkai (qui avait détrôné en 2016 les records précédemment tenus par Le Voyage de Chihiro).

La réalisation de Bubble est confiée à Tetsuro Araki (Death Note, L'Attaque des Titans). Il s'agit d'une réécriture contemporaine du conte de La Petite Sirène, dans laquelle la narration prend place à Tokyo, ou plutôt une itération de Tokyo envahie par des bulles et des phénomènes surnaturels, cinq ans après l'apparition de catastrophes causées par des bulles rouges destructrices, désormais stationnaires dans les airs, et apparemment sans danger.

 

Bubble : photoBubble fait-il rimer amour avec parkour ?

 

Le récit narre la rencontre d'Hibiki, jeune prodige du parkour (l'activité principale dans la ville désormais aux mains des jeunes les plus marginaux) au sein de son équipe, les Blue Blaze, et d'Uta, une jeune fille mystérieuse qui ne semble pas étrangère à l'arrivée des bulles cinq ans plus tôt, plongeant la ville dans le chaos.

Malheureusement pour lui, Bubble ne parvient pas à être une surprise pour les deux raisons évoquées précédemment. D'une part, le genre de la romance fantastique exige de se distinguer en termes d'écriture des très bonnes productions récentes (Les Enfants du Temps, Ride Your Wave). D'autre part, la figure tutélaire du conte de La Petite Sirène préfigure la conclusion du film qui se révèle alors très convenue.

 

Bubble : photoBlue Blaze, une référence à Blue Exorcist, dont Hiroyuki Sawano a composé la musique ?

 

Outre sa conclusion, le récit manque de chair dans son scénario de façon générale. Il force d'ailleurs les personnages à mettre l'action en pause pour la décrire dans des dialogues très fonctionnels, ou des monologues dépourvus de sens (outre l'explication au spectateur de ce qu'il observe). Il déploie par ailleurs en son centre une intrigue secondaire impliquant un mystérieux groupe de pratiquants du parkour masqués, disposant de patins à réactions.

Toute l'intrigue autour de ces mystérieux participants est superflue, et ne permet que de montrer la relation entre Hibiki et Uta et de la mettre en scène dans des séquences de parkour qui sont certes magnifiques, mais dont on ne comprend pas la présence. Deux explications permettent de remédier à ce manque de cohérence.

 

Bubble : photoDesign stylé, pertinence limitée

 

NAME DROPPING 

D'abord, ce segment prépare en fait la conclusion du film, dont il échoue à rendre le mouvement organique. Puis, il permet au récit de montrer des antagonistes en chair et en os, sans doute dans l'espoir d'aller séduire un public plus large, qui pourrait attendre de Bubble qu'il se rapproche des animes de sport traditionnels.

C'est dommage, compte tenu de la présence de Gen Urobuchi au scénario. Ce dernier avait officié sur Puella Magi Madoka Magica, Psycho-Pass ou encore Fate/Zero. Toutes ces oeuvres ont en commun des scénarios alambiqués, mais efficaces, qui interrogent les spectateurs sur des dilemmes moraux puissants. Une nuance et une efficacité qu'on aurait aimé retrouver dans Bubble, la relecture de La Petite Sirène pouvant être caution à des métaphores sur les rapports interpersonnels qui peuvent parfois nous blesser ou pire, nous consumer.

 

Bubble : photoMerci, madame la scientifique, de m'expliquer le film dans des longs monologues

 

C'est la légende Takeshi Obata qui officie à la conception des personnages. Ce dernier s'est fait connaître pour la qualité de son design de protagonistes moralement gris dans Death Note ou Hikaru No Go. Loin des stéréotypes de caractères héroïques et insouciants ou au contraire d'antagonistes farouches et maléfiques, il proposait dans Death Note un questionnement solide sur l'essence de la justice posé par un parterre de personnages au design novateur (Misa écope par exemple d'un look gothic lolita, populaire au Japon, mais peu dépeint dans l'animation jusque là).

On attendait ainsi de lui dans Bubble de nous surprendre, a fortiori avec des personnages aussi singuliers que des pratiquants de parkour dans un Tokyo post-apocalyptique livré aux adolescents ayant refusé de s'expatrier pour continuer à mener une vie classique. Force est de constater qu'aucun des personnages des Bubble ne parvient à s'extirper des stéréotypes du genre.

 

Bubble : photoDifficile de faire plus multicolore que ça

 

Les protagonistes ne sont d'ailleurs pas à l'abri. D'une part, Hibiki est un prodige mutique dont on devine aisément qu'il souffre d'un traumatisme, tandis qu'Uta est une jeune fille mystérieuse sortie de nulle part dont le caractère (dont on ne peut livrer toutes les facettes sans divulguer une large partie de l'intrigue) se résume entièrement à sa relation avec Hibiki.

Quant aux personnages secondaires, on pourrait pardonner leur caractère superficiel dans un film de 1h40 se concentrant sur la relation romantico-fantastique de son couple principal. Toutefois, on déplorera par ailleurs que leur design soit si caricatural (un voyou au grand coeur avec un bandana, un gosse tout droit sorti de la première saison de Digimon Adventure, un grand balèze bienveillant, un intello à lunettes et une Misato Katsuragi au rabais qui nous explique ce qui se passe à l'écran), et qu'ils n'écopent jamais d'un dialogue percutant.

 

Bubble : photoBulleception

 

Pas le temps de buller 

Pourtant, si le design des personnages laisse à désirer, il est impossible de ne pas reconnaître une originalité totale dans la direction artistique du film. Avec un postulat aussi singulier que des compétitions de parkour dans un Tokyo post-apocalyptique rempli de bulles et de trous noirs, il fallait lâcher les chevaux. Et c'est chose faite puisque Bubble ne s'économise pas et propose une direction artistique multicolore dans tous les sens du terme.

Tokyo apparaît comme une cité aérienne et éthérée où l'urbain côtoie désormais le lierre, la mer, où débris, trains et bulles flottent désormais en harmonie pour permettre aux compétitions de parkour d'être encore plus verticales qu'elles ne l'étaient déjà auparavant. Toute la palette de couleurs est utilisée pour garder l'oeil du spectateur dans un état d'attention presque religieuse.

Bubble réunit des éléments très différents afin de composer un tableau extrêmement versatile et disparate. Si le film a une passion évidente pour l'urbanisme (à l'instar d'Air Gear, manga paru entre 2002 et 2012 et qui a sans doute servi comme inspiration), il la conjugue à une envie de montrer de la nature, de l'onirique par le biais du conte, mais aussi du surnaturel et sans retenue aucune dans son dernier acte.

 

Bubble : photoSasuke contemplant le village en ruines de Konoha

  

Si nous avons jusque là laissé de côté la question de l'animation, c'était parce qu'il fallait d'abord la mettre en contexte. S'il est évidemment toujours capital d'avoir une animation la plus efficace possible, c'était une question d'autant plus vitale pour rendre justice aux séquences de parkour, qui se doivent d'être dynamiques sans jamais être brouillonnes.

Qu'en est-il de l'animation de Bubble, fruit du labeur de WIT Studios, déjà responsables de Vinland Saga ou le très récent et très populaire Ranking of Kings ? Pour nous, c'est un sans-faute, particulièrement grâce à un procédé souvent nommé imagerie stéréoscopique, consistant à plaquer des modèles de personnages en 2D sur des décors en 3D. Ce procédé permet d'avoir un décalage visuel troublant entre les personnages et leur environnement, comme pour souligner que face à un urbanisme immuable, nous sommes capables de changer, de la même façon que dans ce monde modelé, détruit par les bulles, notre identité reste intacte.

 

Bubble : photoLa musique d'Hiroyuki Sawano et l'animation de WIT vous extorqueront quelques larmes

 

C'est pas moi c'est les oignons

Durant certains gros plans sur les visages des protagonistes, ceux-ci peuvent être animés complètement en 3D pour en faire de véritables tableaux poignants, afin de les figer dans l'instant et concentrer l'attention dessus. Particulièrement troublant durant la conclusion du film, le procédé se révèle efficace et utilisé à bon escient lorsqu'il s'agit de faire travailler nos canaux lacrymaux.

Et ces canaux lacrymaux seront mis à rude épreuve durant Bubble. Si cette romance fantastique techniquement brillante est plutôt convenue dans ses enjeux, elle se dote d'une excellente bande-son signée Hiroyuki Sawano (Promare, Seraph of the End). Ce dernier est parvenu à lier des sonorités électroniques à des thèmes intimistes composés de quelques notes de piano (son instrument de prédilection) pour dicter avec brio le tempo de l'action à l'écran, entre parkour et mélodrame.

 

Bubble : photoSi vous avez aimé Bubble, allez lire Air Gear, on vous en conjure

 

Plus globalement, la question du son est intégrée au personnage d'Hibiki, et la gestion du son comme le doublage des personnages apparaît comme efficace. Le doublage d'Uta par la chanteuse riria. est un succès (quand bien même il s'agissait de son baptême dans l'exercice), et certains thèmes du film devraient lui permettre de s'exporter avec facilité sur les réseaux (de la même façon que la bande-son de Your Name par le groupe RADWIMPS et ses dizaines de millions de vues sur les réseaux sociaux avaient poussé les spectateurs dans les salles obscures).

Si cette critique a brassé de nombreux noms, de l'équipe officiant sur Bubble à d'autres titres récents de l'animation japonaise, c'est parce que le postulat du film était sa concentration massive en talents réunis pour forger un standard d'un genre désormais très populaire. Ces derniers parviennent pour la plupart à remplir leurs obligations, faisant de Bubble une bonne expérience, dans le haut du tableau de l'animation japonaise. Ce n'est toutefois pas la réussite totale qu'on aurait pu attendre.

Bubble est disponible depuis le 28 avril 2022 sur Netflix

 

Bubble : photo

Résumé

Si Netflix présente Bubble à grands coups de name dropping de figures tutélaires de l'animation japonaise, sa production ne parvient pas à (toutes) les mettre à profit. L'animation de WIT Studios et la bande-son d'Hiroyuki Sawano forcent l'admiration au sein d'un film trop peu malin, mais finalement divertissant avec son incroyable postulat à base d'amour et de parkour.

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(4.7)

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commentaires
Augustemars
01/10/2022 à 13:25

Je pense que le principal problème avec Bubble, c'est que le scénario avec tous ses thèmes et ses personnages aurait gagné si Bubble avait été une série. Ici, ils sont tous entassés entre deux scènes de parkour impressionnantes. Si Bubble avait été une série, ça aurait pu être très réussi.

Matthias Mertz
03/05/2022 à 12:43

@GTB :

Pour beaucoup d'amateurs de japanimation, l'enjeu de la sortie de Bubble était de savoir si c'était du même calibre que les cadors du genre, qu'on a tous les deux cités. L'ambition semblait claire, réunir des pontes dans tous les domaines ou presque pour proposer une équipe all-star.

Aujourd'hui, même si Bubble est un divertissement correct animé de bonnes intentions et avec quelques fulgurances, la réponse est claire. Ce n'est pas du Yuasa, du Shinkai ou du Hosoda. Cela n'empêche pas Bubble d'être une bonne proposition, et sa bande-son à elle seule justifie son visionnage (Sawano a encore une fois montré l'étendue de son talent).

GTB
28/04/2022 à 14:24

@Matthias Mertz - Rédaction> Je vois de quoi vous parlez, et sincèrement cela ne m'a pas pris par surprise et l'avais senti venir. Tout comme le dernier acte qui est vraiment classique. Bien sûr ça n'empêche pas l'idée de faire son effet, et cela ne m'a aucunement empêché d'aimer le film. Après, j'aime beaucoup le travail de Makoto mais j'en vois aussi ses lacunes en terme d'écriture (particulièrement sur Your Name). Il me subjugue essentiellement sur l'aspect visuel (Suzume no tojimari semble encore une fois sublime) et je prend toujours beaucoup de plaisir à voir ses films. Je suis plus modéré sur son écriture que je trouve juste satisfaisante; d'autres auteurs japanime sont notablement meilleurs que lui sur cet aspect. Mais même si j'aimerais le voir proposer mieux à ce niveau, je suis toujours curieux de voir le nouveau Shinkai et j'y trouve toujours mon compte.

Pour en revenir à Bubble, j'entends le reproche sur son classicisme mais personnellement ça ne me dérange pas plus que ça. Ce que vous dites sur l'écriture me fera probablement plus tiquer. Et sans m'attendre à un film du niveau d'un Shinkai, Hosoda ou Satoshi-Kon, je pense (j'espère) y trouver un certain plaisir :).

Pi
28/04/2022 à 14:13

J'avoue m'être ennuyé devant cet animé. Je l'ai trouvé très conventionnel. Pas original pour un sou.

D'habitude il y a au moins une dimension émotionnelle dans les productions nipponnes. Là, non. Du moins, la tentative est râtée.

Même la musique est très générique comme le charadesign du reste.

C'est très coloré au niveau décors et la 2D et la 3D sont bien utilisées néanmoins.

Le Parkour n'est qu'un truc utilisé dans l'anime pour rendre les courses spectaculaires. Ça ne marche pas. En fait, le Parkour est quelque chose de spectaculaire dans la réalité, il n'y a donc pas besoin d'en rajouter dans la longueur et la hauteur des sauts. L'animé n'arrive pas à rendre spectaculaire la réalité. Du coup ça ressemble à tous ces animés où les personnages s'affranchissent des lois de la physique. C'est du vu et revu dans l'animation japonaise.

Du coup pour voir des déplacements spectaculaires je préfère de loin Amer Béton - Tekkon kinkurīto - bien mieux mis en scène.

Les personnages sont des stéréotypes dont le comportement et le look définissent la fonction.

Aucune surprise, pas d'émotion, des scènes d'action vues et revues en mieux ailleurs, une musique passe-partout, ça reste techniquement réussi mais l'histoire ennuie.

Matthias Mertz
28/04/2022 à 13:54

@GTB :

Your Name était quand même plutôt surprenant pour au moins une grosse raison que je ne peux pas explicitement nommer sans divulgâcher. Même Weathering with you était surprenant dans sa conclusion. Grossièrement, Bubble c'est pas au niveau d'un Makoto Shinkai.

GTB
28/04/2022 à 11:56

Le fait que ça reprenne un récit connu et que du coup ça ne surprenne pas n'est pas réellement problématique en soi (quand on a l'habitude de la japanime, Your Name était très peu surprenant également par ex). Les petits soucis d'écriture le sont déjà plus. Il est certain que vu l'équipe derrière ce film on aurait aimé avoir un grand film; cependant le résultat à l'air tout de même pas dégueulasse. Je ne bouderai donc pas mon plaisir. Heureusement que les japonais s'accrochent à leur style traditionnel d'animation; la 2D (même modernisée) c'est tellement plaisant à voir.

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