La Revanche des Crevettes pailletées : critique d'une comédie pour les durs à queer

Matthias Mertz | 13 avril 2022 - MAJ : 13/04/2022 11:33
Matthias Mertz | 13 avril 2022 - MAJ : 13/04/2022 11:33

Apparu en 2019, le film Les Crevettes pailletées avait rapidement fait plus de 570 000 entrées, laissant entrevoir une suite, toujours par Cédric Le Gallo et Maxime Govare. Ode à la tolérance pour certains, perpétuation de clichés pour d'autres, le film s'était imposé comme un objet de curiosité. La revanche des Crevettes pailletées récupère en 2022 notre équipe de water-polo queer favorite pour l'envoyer en Russie, l'occasion de poser, cette fois, un diagnostic sur la situation des personnes queer hors de nos frontières.

Les Bronzés au Goulag 

Si le premier opus des Crevettes Pailletées était un road movie sympathique à propos d'une équipe de water-polo queer devant accueillir un athlète homophobe (mettant en contradiction sa soif de compétition et de performance avec leur volonté de représentation), c'était avant tout une comédie potache et parfois graveleuse pour notre plus grand plaisir.

C'est la plus grande différence avec ce nouvel opus, La Revanche des Crevettes Pailletées. Exit le caractère du road movie. On retrouve les Crevettes sur le chemin des Gay Games de Tokyo. Matthias (Nicolas Gob) introduit une nouvelle recrue à l'équipe, Sélim (Bilal El-Atreby). Jeune homme issu de l'autre côté du périph', ses qualités athlétiques ne sont pas à démontrer, bien qu'il ne semble pas être dans la même ambiance que le reste du collectif (comprendre qu'il n'aime manifestement pas les blagues sur la sodomie).

Problème : à cause d'une erreur de réservation, ils doivent séjourner une nuit dans un hôtel d'une bourgade russe. Et le pays n'a pas la réputation d'être très tendre avec les personnes queer. Cette nuit (et les jours suivants) va alors être propice à de nombreuses péripéties et la confrontation à la réalité de l'homophobie à des milliers de kilomètres de l'Hexagone.

 

La revanche des Crevettes pailletées : photoQuand tu as cinq mois de tournage à -20° devant toi

 

Autant dire que si l'aspect comique est encore présent grâce à l'extravagance des Crevettes et leurs dialogues de vestiaires, et ce parfois dans les moments les plus durs de l'intrigue, force est de constater que le ton a changé pour devenir beaucoup plus dur. Le film s'extrait de son caractère de comédie au message convenu pour devenir un authentique drame dont l'un des points culminants est la fin (qui parvient à utiliser avec brio un personnage secondaire).

Si la tragi-comédie pourrait rappeler Adieu les cons d'Albert Dupontel et parvient à servir son propos (envoyer des personnages résolument comiques dans des situations dramatiques), c'est parce qu'elle s'en donne les moyens avec des séquences choquantes - thérapies de conversion avec électrochocs, ratonnades sur les applications de rencontres gay, cours de catéchisme glaçant. Si certaines attirent l'oeil par leur contenu, d'autres sont aussi de réelles propositions de mise en scène (qu'il nous est malheureusement impossible d'évoquer sans en révéler le contenu).

 

La revanche des Crevettes pailletées : photo, Félix Martinez, Geoffrey Couet, Nicolas Gob, Romain BrauStagiaires fuyant la réunion hebdomadaire d'Ecran Large, colorisée

 

Boule à facettes

La force de La Revanche des Crevettes Pailletées, c'est son casting varié et solaire. David Baiot continue d'être précis dans sa légèreté apparente, Romain Brau apporte une touche de féminité acide, tandis que Félix Martinez se révèle sensible et touchant, là où Geoffrey Couët écope d'une séquence parmi les meilleures du film.

Dommage toutefois que l'écriture soit l'un des principaux freins à la narration. Tous nos sportifs du dimanche sont des pions qui n'avancent que parce qu'ils ont un problème à régler (et tous sont évidemment interconnectés dans leur résolution), outre leur départ de la Russie pour rejoindre Tokyo.

 

La revanche des Crevettes pailletées : photo, Romain Lancry, David Baiot, Geoffrey CouetLa Russie soviétique, pas rose tous les jours

 

Qu'il s'agisse du deuil de Jean pour Alex, de la recherche de la féminité de Fred ou de la volonté d'être reconnu dans son couple pour Vincent, il s'agit de leur seule motivation. Un aspect unidimensionnel qui trouve son paroxysme avec le nouveau venu Sélim, représentation du jeune de banlieue agressif et mutique, dont le milieu l'empêche d'affronter son orientation sexuelle. 

Quant au scénario, il n'en reste pas moins convenu. Les résolutions des problématiques des personnages sont cousues de fil blanc, les Fusils de Tchekhov (un détail apparent qui va en fait avoir une importance capitale plus tard dans le récit) sont immédiatement visibles pour le spectateur, et la surprise ne vient que dans le choc que provoquent certaines séquences.

 

La revanche des Crevettes pailletées : photoPhysique imposant, rôle insignifiant

 

PISCINA, folle des crawleurs

Pourtant, régulièrement, le film parvient à faire oublier que nous sommes sur des rails. D'abord parce qu'il garnit son récit de nombreuses références dont on se délecte, de Priscilla, folle du désert, à Mylène Farmer ou François Ozon. Mais aussi parce qu'il s'offre quelques plans magnifiques, dont un tourné sous la glace.

Plus que du beau ou du trash, le récit est multicolore. Certains personnages découvriront l'enfer des thérapies de conversion au fin fond de la Russie monochrome là où d'autres vivront une épiphanie militante dans des boîtes de nuit souterraines queer bourrées de néons, endeuillées par la disparition de certains de leurs habitués lors des ratonnades.

Cette versatilité est caractéristique du film (et pas seulement limitée à sa direction artistique flashy qui complète le gris de la Russie), capable de faire le grand écart en permanence, l'empêchant d'être monolithique. Ce caractère se retrouve aussi dans la bande-son, qui s'amuse à mêler musique soviétique traditionnelle et pop iconique (David Bowie, Britney Spears) pour mieux retranscrire l'émotion de ses personnages. S'il n'atteint pas toujours sa cible, La Revanche des Crevettes Pailletées peut au moins revendiquer l'ironie d'être étonnamment hétéroclite.

 

La revanche des Crevettes pailletées : affiche

Résumé

Résolument plus grave et moins drôle que le premier opus, La Revanche des Crevettes Pailletées peut toujours s'appuyer sur un casting solaire pour servir une large palette d'émotions et de séquences. Dommage que son écriture ne soit pas à la hauteur de son ambition.

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commentaires
Sascha
20/04/2022 à 23:22

Je ne suis pas objectif concernant ce film. Je suis un fan absolu du premier volet. Que j'ai vu, revu, montrer à mon entourage, acheter en bluray....

Ce deuxième volet est totalement différent. Là où une suite classique aurait pu surfer sur la forme du 1er (une comédie / road trip entre potes) bascule vers une comédie dramatique avec un fond politique et une dénonciation de certaines dérives dans certains pays.

Et effectivement, le changement de ton en milieu de film (et cette scène de chasse qui monte en tension dramatique) est assez marquant. Sans compter la fin et ce plan final absolument bouleversant de symbolique.

L'humour est moins présent par rapport au 1er film mais fait mouche à chaque fois (Romain Brau a quasi les toutes les meilleures répliques du film).

Alors bien sûr, cela reste une comédie avec de bons sentiments, avec chaque personnage qui trouve sa place à la fin du film mais la tournure politique du film est très intéressante.

En tout cas, si 3ème volet, j'en serai

NeoRevan
19/04/2022 à 09:00

J'ai aussi beaucoup aimé le film, mais je ne comprends pas la note de la critique.
Le contenu, plutôt juste d'ailleurs, laisse plus entendre un 3/5 qu'un 2,5/5.

Sascha
14/04/2022 à 11:06

@rico : car très bons retours critiques pour le 1er épisode.
Et faire 570 000 entrées pour un film lgbt, c est effectivement un succès d estime.

Moixavier58
13/04/2022 à 22:31

Un film qui ne sera pas diffuser au Quatar. Vu que pendant la Cdm de F, ils ont prevu de faire le ménage sur les supporters Lgbt

Rico
13/04/2022 à 20:44

Depuis quand on lance des suites pour seulement 570000 entrées ???

Philippe
13/04/2022 à 20:37

Un film haut en couleurs qui réchauffe le cœur et qui sait faire rire. Désolé mais pas du tout d'accord avec cette critique...

Fox
13/04/2022 à 17:36

C'est vrai que le jeu de mots est marrant !

@Matthias
Merci pour la réponse !

Kyle Reese
13/04/2022 à 16:08

Pas mon type de film, mais ça a l'air sincère et assez courageux.
Sinon, "une comédie pour les durs à queer" ... j'adore ! :)

Matthias Mertz
13/04/2022 à 15:14

@ Fox :

Le film a quelques belles fulgurances, si on le compare à ce qu'on à l'habitude de voir dans des "comédies françaises" (du très éclairé qui se livre immédiatement sans jamais bouleverser ou surprendre le spectateur), il est très nettement au-dessus.

@ Contre-Avis :

On est ravi de savoir que ça vous a plu (même si vous n'êtes pas d'accord avec notre critique) !

Contre-Avis
13/04/2022 à 14:43

Merci pour cette critique !

Je tenais à dire que je ne partage pas cet avis, j’ai découvert le film hier et j’ai été très impressionné de retrouver à la fois cet équilibre de comédie si dur à trouver du premier opus et un réel renouveau du mécanisme, avec une franche incursion dans le genre. C’est généreux, hyper bien joué, politique sans être lourd, et d’une tendresse renversante. A l’heure d’un entre-deux tours angoissant, c’est un film que je trouve important

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