Contes du hasard et autres fantaisies : critique House of Hamaguchi

Antoine Desrues | 5 avril 2022
Antoine Desrues | 5 avril 2022

Senses, Asako et Drive My Car : après plusieurs films acclamés (sans parler de ses nombreux courts-métrages), Ryūsuke Hamaguchi s’est imposé comme l’un des cinéastes japonais les plus importants de sa génération. Le voilà de retour avec Contes du hasard et autres fantaisies, un film à sketchs composé de trois segments autour de rencontres inattendues et de croisées des destins. Le réalisateur y condense toutes ses obsessions, pour une réussite totale.

Les mots bleus

À l’arrière d’un taxi, deux jeunes femmes discutent de la nuit d’amour que l’une d’entre elles a passé avec un homme. Pourtant, le personnage précise qu’elle et son amant n’ont pas couché ensemble. Ils ont juste discuté jusqu’au petit matin, enivrés par cette connexion intellectuelle et émotionnelle.

Cette longue scène, qui s’étire jusqu’au sublime, suffit à comprendre où veut nous emmener Ryūsuke Hamaguchi avec son nouveau film. L’important, c’est les mots. Drive My Car était déjà obsédé par la littérature et la récitation. Yūsuke Kafuku écoutait en boucle la cassette que sa femme avait enregistrée d’une pièce de Tchekhov, comme pour la garder en vie par le texte.

Si la voix aide à matérialiser des émotions, et à faire en sorte que le signifiant transcende le signifié, Contes du hasard et autres fantaisies trouve dans cette problématique son fil conducteur. Le langage s’empreint d’une étonnante sensualité, alors que la caméra du cinéaste effleure ces corps de personnages pris dans le tourbillon du dialogue.

 

Contes du hasard et autres fantaisies : photoCafé gourmand gênant

 

Logique, pourrait-on dire, puisque le réalisateur met au centre de son dispositif le désir et la passion, qu’il aborde avec une incroyable finesse. D’un curieux triangle amoureux à un malentendu autour d’un crush de jeunesse en passant par une tentative de séduction, les trois segments du film se répondent avec l’harmonie de rimes riches, alors qu’ils semblent a priori très différents.

Comme à son habitude, Hamaguchi sait instaurer une présence immédiate dans ses séquences, comme si sa caméra devenait le plus naturellement du monde le troisième ou quatrième personnage de ces échanges. De la sorte, son œil focalisé, comme celui d’un poète, se permet de suspendre le temps et de pénétrer dans l’intimité de sentiments réveillés. Derrière la vision d’un Tokyo fait de routes froides et de bureaux impersonnels, Contes du hasard et autres fantaisies est avant tout un ensemble de portraits de femmes qui se cherchent dans cette ville qui semble tout invisibiliser.

 

Contes du hasard et autres fantaisies : photoNos lecteurs assidus

 

Hamaguchi Gang

Comme une cocotte-minute sur le point d’imploser, les émotions remontent à la surface, et viennent apporter une chaleur inespérée à l’ensemble. Dès le titre du film, Hamaguchi assume son inspiration du côté d’Éric Rohmer (on pense aux Contes des quatre saisons), et fait de la parole un acte charnel, en particulier dans cette séquence incroyable où une jeune femme tente de séduire son professeur en lui lisant un extrait de son ouvrage aux accents érotiques.

Cette simplicité apparente, régulièrement cloîtrée entre les murs d’un bureau ou d’une maison pavillonnaire, pourrait sous-tendre une démarche anti-cinématographique, enfermée dans un verbiage théâtral. C’est pourtant tout l’inverse. Qu’ils soient dans une voiture, un bus ou sur un escalator, les personnages de Contes du hasard et autres fantaisies sont toujours en mouvement, au sein d’une mégapole en perpétuelle évolution (on y aperçoit des travaux), dans laquelle personne ne semble avoir le temps de s’arrêter.

 

Contes du hasard et autres fantaisies : photo"Toi aussi, tu vas à Créteil ?"

 

Hamaguchi contraste ainsi cette course folle avec cette nécessité du dialogue, ce besoin de l’introspection. Ces mouvements panoramiques ne sont jamais plus beaux que lorsqu’ils se terminent, et captent la réunion de deux corps qui se cherchent. Dans l’immensité de la ville, où les regrets ont amené les gens à se perdre de vue, le film se veut fédérateur, tandis que les cadres fixes du cinéaste, parfaitement composés, viennent sonder des visages qui portent en eux une forme d’universalité. Ce n’est sans doute pas un hasard s’il s’amuse régulièrement à les filmer de face, ou à opérer un zoom sur un regard pour réécrire une scène.

Il y a une maestria rare dans cette épure, qui parvient d’ailleurs à compenser la longueur un peu trop appuyée de Drive My Car. En tout cas, pour un réalisateur qui aime autant le rapport à l’écrit et aux mots, difficile de ne pas voir dans le nouveau film de Ryūsuke Hamaguchi un puissant haïku cinématographique.

 

Contes du hasard et autres fantaisies : affiche

Résumé

Trois fois plus d’Hamaguchi pour trois fois plus de plaisir ! Contes du hasard et autres fantaisies est une superbe balade rohmérienne, dont la sobriété n’a d’égal que son absolue beauté.

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