Abuela : critique d'une terreur gériatrique

Mathieu Jaborska | 6 avril 2022 - MAJ : 06/04/2022 14:19
Mathieu Jaborska | 6 avril 2022 - MAJ : 06/04/2022 14:19

Le triomphe du monument de terreur [REC], qu'il a réalisé en collaboration avec Jaume Balagueró, éclipse toujours le reste de la filmographie de l'Espagnol Paco Plaza. Après sa contribution à la saga, il a mis en scène le sympathique Verónica et le thriller Oeil pour Oeil, avec Luis Tosar. Mais Abuela est probablement son meilleur long-métrage depuis le légendaire found-footage, ainsi qu'un pur shoot de trouille qui s'appuie sur l'une des peurs humaines les plus ancestrales.

MEMENTO MORI

Quand bien même il a été l'un des évènements les plus marquants de la programmation de Gérardmer, Abuela a divisé quelques festivaliers. Le sujet de la discorde ? La scène d'introduction, qui ne dissimule guère les tenants et aboutissants du long-métrage, voire qui spoile allégrement ses enjeux à qui a vu plus de trois films fantastiques dans sa vie. Impardonnable maladresse pour certains, cette séquence étrange participe pourtant remarquablement à la singularité de l'ensemble, et à la peur qu'il inspire.

Plaza prend le contrepied des ouvertures traditionnelles des productions du genre, qui cherchent à ménager leur mystère. La note d'intention transparaît dès les premières minutes. Son film ne sera pas un thriller d'épouvante tordu, mais une longue descente aux enfers vers une résolution dont l'inéluctabilité fait écho à son sujet initial : la tragédie personnelle de la vieillesse. Ses personnages font face à leur arc narratif comme ils font face à leur propre fin, tous deux pétrifiés à l'idée de la mort imminente, et pire encore, de la transformation du corps. 

 

Abuela : photo, Almudena Amor, Vera ValdezDeux actrices très impliquées

 

Des transformations que le cinéaste filme tantôt comme une réalité qu'on nie, tantôt comme un processus cauchemardesque. S'il n'hésite pas à afficher la nudité d'un corps âgé, image rarement montrée au cinéma et pourtant banale, il met également en scène une séquence de cauchemar assez tétanisante, où notre héroïne voit son corps se délabrer en temps réel. Ou comment cristalliser une inquiétude fondamentale, car l'une des seules à être fondée. Oeuvrant généralement dans un cinéma fantastique épuré, Plaza en revient à la puissance originelle du genre : celle de monter en épingle nos petites angoisses pour mieux croquer la nature humaine.

De fait, Abuela s'insère très bien dans sa filmographie. Le film est très ramassé, use du huis clos sans jamais s'y restreindre, et reste surtout tout entier dévoué à son thème, y compris grâce à son scénario. On suit donc deux femmes, grand-mère et petite fille, confrontées à une forme de vieillesse. La première fait face aux dernières années de sa vie. La seconde, mannequin sur le point de percer, combat la péremption express des standards de beauté occidentaux. Leur réunion, à cause d'un accident qui rend la mamie du titre mutique, va fragiliser davantage une protagoniste qui voit littéralement son image disparaître de l'espace public.

Bien sûr, par fragiliser, on entend tyranniser, si possible en versant largement dans le surnaturel. Car l'Abuela en question, jouée par l'impressionnante Vera Valdez, elle-même mannequin en son temps, ne lui veut pas du bien, et elle ne se contentera pas de hanter les rêves de sa petite fille Susana (Almudena Amor). Au fur et à mesure, le spectre de la sénescence s'empare d'elle(s), et ce avec une remarquable efficacité.

 

Photo Vera ValdezUn appartement chaleureux

 

Old but gold

Avant d'être le défricheur sincère d'un fantastique à l'ancienne ([REC] travaillait la peur ancestrale de l'image ; Véronica explorait, dans une moindre mesure, celle du mythe urbain), Paco Plaza est surtout un expérimentateur esthétique. Beaucoup soutiennent encore qu'il ne fera jamais rien de plus terrifiant que les plans-séquences chorégraphiés de [REC], mais il faut reconnaître à Abuela un sens de la mise en scène assez impressionnant, a fortiori à l'ère de la décadence des Conjuring-like américains et de leurs gimmicks photocopiés à la chaine.

Le vieillissement est autant un sujet d'étude qu'un support de terreur dont le réalisateur tire le maximum, grâce à quelques mouvements de caméra insoutenables ou - et c'est probablement le plus étonnant - un sens de la composition qui n'appartient qu'à lui. Les parallèles visuels faits entre les deux personnages pourraient paraître vulgaires s'il n'émanait pas d'eux une étrangeté malsaine, comme lors de la séquence des miroirs, presque trop millimétrée pour ne pas hérisser les poils, où celle de la salle de bain, pourtant un poncif très répandu.

 

Photo Almudena AmorLe miroir, un poncif pourtant ici très bien utilisé

 

De la même manière qu'il laisse la décrépitude de l'habitante des lieux pourrir son principal décor, appartement classique qui recèle en réalité de coins sombres. Susana dort carrément entre le champ et le hors champ, comme si elle était à deux doigts de glisser définitivement dans les ténèbres. Les enjeux ayant été dévoilés dans l'ouverture, la peur qu'inspire Pilar devient une sorte d'épée de Damoclès pour l'héroïne et le spectateur, qui se méfie d'elle dès qu'il l'aperçoit pour la première fois. Il rentre ainsi directement dans la psyché de Susana, méfiante envers tout ce qui lui rappelle la fatalité de son destin.

Fatalité que Plaza, bien heureux de s'être débarrassé d'emblée des contraintes narratives d'usage, traduit par de longs plans panoramiques, d'autant plus éprouvants qu'ils ne révèlent rien qu'on ne connait pas déjà : un visage sadique perché sur une fenêtre, l'horreur de la mort. Une fois de plus, il mise moins sur un effet de surprise que sur l'ironie dramatique et nous inspire au passage quelques beaux cauchemars. Jusqu'à un dernier acte annoncé par un compte à rebours morbide (l'anniversaire, autre symbole du temps qui passe), certes un peu plus faible que le reste, mais qui conclut sans concession ce "film de possession dans lequel le diable vieillit" (Paco Plaza dans le Mad Movies n°358).

On en sort inquiets et prêts à arracher impitoyablement le moindre cheveu blanc sauvage. Nul doute que c'est l'effet escompté.

 

Abuela : Affiche française

Résumé

Paco Plaza refuse les effets de surprise faciles pour explorer l'inéluctabilité de la vieillesse et nous confronter à une terreur universelle, qu'on choisit souvent d'ignorer.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(2.9)

Votre note ?

commentaires
Ozymandias
27/08/2022 à 23:12

Pas mal pour ma part, ça m'a quand même bien foutu les jetons par moment. Un peu lent parfois mais j'ai accroché.

un peu la mode des vieilles en ce moment
24/08/2022 à 03:37

Ya eu Umma avec Sandra Oh, Old de NShyalaman (ou The Visit?), et ce abuela qui ne m'a pas sensationnalisé comme REC mais qui m'a bien plu. Rythme lent, qlq séquences éprouvantes (les déplacements/téléportations) bien trouvés.

Kyle Reese
23/08/2022 à 00:39

Pas mal surtout pour l'ambiance sacrément bien fichue. Le film est un peu longuet, il tient du concept mais on se laisse tout de même bien prendre par cette histoire grâce aux jeux des 2 actrices et la mise en scène. Pas de jumpscare mais une caméra lente et précise qui nous crée des angoisses dés qu'elle pannote d'un coté ou de l'autre. J'aurai néanmoins aimé en savoir un peu plus sur cette Abuela, sa vie son œuvre, ses multiples transmutations. Les sorcières, tout comme les vampires m'ont toujours assez fasciné. Le fait que tout ça soit terriblement bien ancré dans le présent hyperréaliste crée un trouble. Le film est très peu fantastique, sauf vers la fin et c'est une réussite d'une certaine manière. Les effets sont subtiles. Pour la première séquence je n'avais pas saisie à 100% ce qui se passait, mais au fur et à mesure on comprend rétrospectivement ce que cela signifiait, notamment quand la "fille" de l'amie de sa grand-mêre vient rendre visite.

Clair que ce n'est pas dans ma sorcière bien aimé ici.
.

Zepek 33
21/04/2022 à 07:23

Vous êtes tous sérieux !!!!
C’est un navet !!
Histoire à n’y rien comprendre, même pas un frisson de tout le film.
Vous avez déjà vu un film d’horreur ??
Mort de rire !!!!!!
BIDON

Kittim
12/04/2022 à 23:18

Décidément je suis rarement d'accord avec Écran Large concernant les films d'horreur (ah, The Vigil...). Cette fois encore la abuela m'est passée par-dessus la tête.

Déjà, je fais partie de ces gens pour qui la scène d'introduction est une impardonnable maladresse. C'est un peu l'équivalent pour moi de commencer un roman par le dernier chapitre, je comprends cependant le côté inéluctable qui peut être intéressant...

Étant française, je passe sur les points forts déjà cités dans l'article (surtout l'éclairage, et la performance des actrices que j'ai pour le coup trouvées très bien, surtout pour une quasi absence de dialogues le long du film) pour me concentrer sur les points que j'ai subjectivement trouvé négatifs.

Attention, spoils (mineurs) :
Les vieux c'est mystérieux ok, mais on a toujours les mêmes images resucées encore et encore de vieilles en chemise de nuit blanche (de REC, tiens tiens, à The Visit en passant par The taking of Deborah Logan, la liste est longue) qui se déplacent dans la nuit. De façon mystérieuse, évidemment.

Le rythme est compliqué, mais c'est directement en lien avec le point suivant : Abuela n'est pas du tout, à mon sens, un film d'horreur. Conte métaphorique ? Ok. Métaphore surnaturelle ? Ok. Histoire d'amour ? Ok. Film d'horreur ? Que nenni.
Alors certes l'absence de jumpscares tonitruants est extrêmement bienvenue dans le paysage horrifique actuel, mais il faut un juste milieu entre ça, la tripaille à tout va ou ce qu'on a ici, c'est-à-dire un Orpea à domicile.

Pour préciser ce point, je suis entièrement d'accord pour dire que l'horreur ici est celle de la dégénérescence des corps et de la peur de vieillir / mourir, mais les sabots sont trop gros et la métaphore trop appuyée à mon goût. Résultat, après le spoil de la première scène, je me suis ennuyée poliment en attendant que tout ça se bouge un peu. Peine perdue. J'aime pourtant les films d'ambiance mais celui-ci n'a pas pris pour moi.

Une remarque amusante faite après la séance : autant je mange sans problème devant Cannibal Holocaust, je glousse devant A Serbian Film (en parlant de coït orbital, vivement la critique complète de The Sadness !), autant j'ai détourné le regard à de nombreuses reprises devant les scènes, pourtant en effet banales et universelles, de soin apportés à la abuela.

Finalement, peut-être que l'horreur est bien là :)

Hommerocher
08/04/2022 à 13:51

Le film m'a beaucoup fait penser au "Portrait de Dorian Gray" par moment c'est fou

Ray Peterson
07/04/2022 à 21:12

@ The Insider 38

Pardon ma feinte était pas terrible sur le Hyams mais quand même j'ai essayé de faire de l'humour !
On est d'accord que les 2 Relic n'ont rien à voir (d'ailleurs si on voulait être précis, pour le Hyams ce serait The Relic en V.O.).

Ensuite concernant Old et Abuela, pour moi les oeuvres se rejoignent quand même pas mal sur certains thèmes comme la peur de vieillir, la déliquescence du corps et l'égocentrisme voir le renfermement sur soi (huis clos). Ok, 2 oeuvres, 2 artistes, 2 façon de faire...

Après, je reste tout à fait d'accord avec toi que le genre horrifique depuis 2 ans connait quelques difficultés techniques mais soyons optimistes, certaines belles choses se profilent à l'horizon!

The insider38
07/04/2022 à 13:41

Ray Peteron:

Bon déjà le relic sorti en 2020 et celui de Peter hyam n’ont juste rien à voir , il n’y a donc pas de version de hyam du film de 2020. Ça c est fait !

Ensuite, comparer old à abuela? Mais t es sérieux mec?

Abuela est ce qui est arrivé de mieux au cinéma horrifique depuis au moins 2 ans .

Geoffrey Crété - Rédaction
07/04/2022 à 13:29

@Paul le motard au gros bide

On travaille activement à une modernisation de pas mal de choses, mais toutes les critiques sont accessibles en haut de la page : Films / Critiques
https://www.ecranlarge.com/films/critiques

Paul le motard au gros bide
07/04/2022 à 11:03

Hey ! Les gars du site vous pouvez pas mettre un tag "Critique" qu'on les retrouve facilement ? Cimer à Albert !

Plus
votre commentaire