En corps : critique d'un Klapisch claqué

Geoffrey Crété | 18 octobre 2022 - MAJ : 24/10/2022 10:51
Geoffrey Crété | 18 octobre 2022 - MAJ : 24/10/2022 10:51

Le nouveau Cédric Klapisch est là. En corps raconte les douleurs, les doutes et les désirs d'une danseuse d'opéra qui retrouve goût à la vie grâce à la danse contemporaine. Une comédie dramatique, romantique et dansante, menée par Marion Barbeau, qui se voudrait dans la lignée des tendres Ce qui nous lie et Deux moi... mais qui en est (très) loin.

RAT des villes, rat déchante

Entre les chassés-croisés people de Paris et son Casse-tête chinois new-yorkais, pour conclure sa trilogie à succès, Cédric Klapisch avait certainement touché aux limites de son petit cinéma, devenu trop grand pour lui et ses personnages. Après la relative folie des grandeurs, il y avait donc eu une pause, et un retour aux sources.

En 2017, Ce qui nous lie avait relancé la machine à Klapisch, avec une histoire de sang et de vin, centrée sur deux frères et une sœur dans les vignobles. En 2019, Deux moi avait remis de l'eau dans le moulin de la tendresse, avec une fausse comédie romantique et vraie belle réflexion sur la solitude des villes. Moins de gens, plus de douceur : le réalisateur du Péril jeune, Chacun cherche son chat et Un air de famille avait retrouvé son créneau pour raconter l'extraordinaire dans l'ordinaire.

En corps était une nouvelle pièce a priori parfaite, comme une continuation et même un trait d'union, à cheval entre la ville et les champs, entre le rire et les larmes, entre l'intrigue solo et le film de bande. Cette histoire de danseuse classique blessée, qui doit se reconstruire suite à un traumatisme sentimental et physique, et s'isole dans la campagne pour élargir ses horizons au milieu d'une famille de substitution, semblait dans les cordes de Klapisch. Peut-être un peu trop, puisque c'est une déception.

 

En corps : photo, Marion BarbeauEssuyer les plâtres

 

place de cliché

Premier problème : l'écriture, aussi boiteuse qu'Élise. Comme si Cédric Klapisch et son fidèle compère Santiago Amigorena (Le Péril jeune, Peut-être, Ni pour ni contre (bien au contraire), Ce qui nous lie, Deux moi) avaient peur de ne pas souligner le sens pourtant évident dès les premières minutes. Tout commence par une trahison amoureuse, découverte dans les coulisses de l'opéra, dans un jeu de miroir entre réalité et spectacle. Sur scène, sous les yeux du public ébahi, Élise s'écroule face à son partenaire de jeu et de vie, celui qui l'a trompée et l'a fait vaciller.

Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour comprendre l'enjeu : l'étoile est tombée à terre, et va devoir apprendre à se relever d'une blessure physique et symbolique. Pourtant, quelques scènes plus tard, un personnage vient dérouler la note d'intention, avec une réplique difficilement tenable ("""La blessure de ton coeur est aussi la blessure de ton corps, et tu vas devoir chercher un nouvel appui pour avancer""").

Non seulement Cédric Klapisch et son co-scénariste Santiago Amigorena ont entre les mains une histoire très (trop) simple à décrypter, mais ils semblent en plus de ne pas lui faire confiance - pas plus qu'au public. Quitte à enlever la moindre miette de subtilité et de sous-texte, pour sombrer dans le niais (la petite leçon de vie de Muriel Robin au petit matin du départ).

 

En corps : photo, Marion Barbeau, François CivilEntorse au Code Civil des répliques respectables

 

En parlant de lourdeur, le film repose en plus sur une opposition ni très fine, ni très originale, entre la danse classique et la danse contemporaine. Le premier monde est celui des élites, des villes, des carrières, et des corps tendus. Le deuxième est donc bien évidemment celui des petites gens, simples et sincères, libres et spontanés, qui aiment boire et manger.

Sans surprise, l'héroïne se libère et se réinvente, elle réapprend à vivre, bouger, respirer et aimer, au rythme de chorégraphies intenses, presque tribales, et ancrées dans la terre et le terroir (par opposition aux illusions des couloirs chics de l'opéra). À moins d'y croire d'emblée sans chercher plus loin, la formule est vite indigeste.

 

En corps : photo, Marion Barbeau, Muriel RobinMûres réflexions de Muriel

 

je danse le niais

En corps échoue aussi à un autre endroit typique du cinéma de Cédric Klapisch : la petite constellation des émotions et des personnages. Romance avec un danseur, lien à réparer avec le père, relation pseudo-maternelle avec la propriétaire des lieux, amitié intense avec une ex-danseuse haute en couleur et son petit ami tout aussi décalé : c'est un festival de bons sentiments et une valse de clichés, choses que Klapisch a toujours su exploiter avec une certaine sensibilité.

Mais ici, la magie ne prend pas. Peut-être parce que le scénario aligne trop les seconds rôles et les sous-enjeux, en ouvrant de petites parenthèses (un danseur à rembarrer, les deux sœurs en miroir, l'amie et son copain potentiellement gay) pour la plupart dispensables une fois sur la ligne d'arrivée. Ou peut-être parce que le film traîne une grosse casserole avec le personnage du kiné interprété par François Civil, qui fait désormais partie des meubles chez Klapisch. C'est sans nul doute le pire élément du film, balloté à droite à gauche comme un bouffon, afin de soutirer quelques sourires dans des situations dignes d'une comédie de troisième zone (le hurlement dans le couloir).

 

En corps : photoLa danseuse qui joue la danseuse

 

Quand arrive la dernière couche de miel, avec le fantôme d'une mère absente comme clé de voûte du personnage (option flashbacks platement écrits et mis en scène), En corps s'enlise pour de bon. Et le coup fatal viendra avec la voix off finale, qui ramasse le propos avec de mièvres mots de conclusion. La solidité de Marion Barbeau, véritable danseuse qui porte le film sur ses épaules, n'y changera rien.

En corps est à l'image des excellents Pio Marmaï et Souheila Yacoub, et Muriel Robin, parfaite en bonne dame dont la grande gueule cache bien sûr un grand cœur. L'effet est tellement facile que le petit sourire arrive presque comme un réflexe primaire. Mais ça ne suffit pas. Il manque une touche de cœur et de corps à cette chorégraphie carrée, qui déçoit d'autant plus que la musique est co-signée par Hofesh Shechter (célèbre chorégraphe, qui joue aussi le premier rôle masculin) et Thomas Bangalter (fameuse moitié du duo Daft Punk). Une rencontre qui promettait un beau clash sonore et sensoriel, teasé dans l'étonnant générique... puis, plus rien - ou si peu.

 

En corps : Affiche

Résumé

Loin des harmonies tendres et belles de Ce qui nous lie et Deux moi, En corps est un Cédric Klapisch en petite forme, la faute à une écriture très simpliste, et donc une émotion minuscule.

Autre avis Simon Riaux
Parce que le cinéaste demeure un des portraitistes les plus efficaces de sa génération, il sauve ici et là les meubles, emballe par endroits quelques jolies saynètes, mais il est difficile de se passionner pour ce récit convenu, conventionnel et décharné.
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Lecteurs

(3.5)

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commentaires
Georgio
05/02/2024 à 08:15

Film lent avec un scénario prévisible sans âme, trop de longueurs pour rien au final. Décu par l'ensemble qui se veut bon enfant et (trop) plein de bons sentiments et de clichés trop faciles.
Film dans l'ensemble décevant. A éviter.

Sand
04/12/2022 à 10:40

Film magnifique, l'histoire est belle, il est tellement facile de critiquer, cela n'est pas du bon sentiment mais juste de la pure et vraie émotion, au delà des mots ce film chamboule et nous remet bien à notre place, la vie est faite de combats et moi j'ai adoré, à moins d'avoir le coeur complètement sec...

okok
28/11/2022 à 22:19

On passe un moment, bon...
Plutot qu'un bon moment.

Eu égard aux autres prestations Klapish, ca ressemble à un brouillon ou à un ersatz ( je pense à un taxi 4ou 5 ou 6... de l'écurie Besson... c'est dire)
Une serie de sketchs où tout est tellement attendu et décousu ( papa est avocat à Paris, mince il ya aurait donc du beurre dans les nouilles quoiqu’il arrive?) ( il n'arrive pas à dire "je t'aime" ? Il n'a qu'à mentir, c'est son métier!! )
Peut etre que je n'ai pas compris, serait ce du 2nd degré tout le long?

Seule scene de franche rigolade: Pio et sa sauce tomate ( pas de spoil...)

Les cadrages très centrés sur M Barbeau, beaucoup, trop!
Même si , vraie seule satisfaction de ce film, elle me semble très crédible, complètement posséder son rôle. Bravo

Autre fausse note, on voit un sein. (spoil) Ce n'est pas de la pudibonderie, c'est juste que ca n'apporte rien à l'histoire, comme dans la plupart des films. Par contre bonjour le buzz...et le piège à clic à venir... Mais je dois etre le seul à l'avoir remarqué............!

Caro9934
03/11/2022 à 16:12

Et moi je suis consternée par ces critiques ! Peut être du cinéma facile , mais on n'a pas toujours besoin de se creuser les méninges ... Perso j'ai ADORE ! Vu au ciné , puis 2 fois à la télé ... alors messieurs les mal embouchés , gardez votre hargne et laissez nous profiter de ce joli conte EN TOUTE BONNE CONSCIENCE !!!

Etienne
24/10/2022 à 17:18

J'ai été emballé.
C'est un film qui réconcilie avec la vie.
Certes le message est simple : la passion, la résilience, l'humour, la communauté et le soutien des autres, la joie de vivre et bien entendu l'amour sont de bons ingrédients pour mieux profiter de la vie. C'est simple, simpliste aux yeux de certains, mais c'est vrai et c'est bien de se le rappeler de temps en temps quand on cède trop vite à la morosité et la critique de tout et des autres. C'est bien mené par une écriture, des acteurs et une mise en scène remarquables. Un très beau film tendre et drôle. Humain.
Et de surcroit j'y ai découvert un intérêt pour la danse, alors que ça me laissait plutôt indifférent.

C. Ingalls
19/10/2022 à 20:30

J'aime pas la danse, mais j'ai kiffé les scènes de ballet, les chorégraphies et la musique dans ce sympathique film. Une très bonne initiation.

Simon Riaux
19/10/2022 à 13:39

@hallux valgus

"au moins y a pas arnaque"

Justement si. Le principe du cinéma, c'est l'arnaque.

hallux valgus
19/10/2022 à 13:37

au moins l'actrice est une danseuse pro,
y pas arnaque,comme du temps de Portman, il ya eu une embrouille sur le film avec la vraie danseuses pro qui l'a doubmait, le film avec Cassel,est tres bon film,
quant à ces capacites d'actrices, je ne sais pas ce que çà donne pour la Marion

Une toile avec une étoile
19/10/2022 à 10:38

Voyez le bon côté des choses : à un moment ou après des grèves malvenues et le Covid l’Opera et son corps de ballet ont besoin de se refaire une santé financière ; ce film permet opportunément de mettre en avant une future étoile dont le répertoire résolument moderne ne peut que faire briller l’Opera ! Après si le film reste perfectible … il tombe à pic

Emilie
21/08/2022 à 22:43

Je suis d'accord, film tellement simple, si facile, si convenu, si évident : des histoires d'amour, la relation père-fille, la résilience après les chutes, la passion. La vie quoi... Merci Cédric Klapisch, merci aux danseurs et aux comédiens. Un film merveilleux de vie et d'espoir!! A voir absolument.

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