Permis de construire : critique pas trop Corsée

DE QUI SE MOQUE-T-ON ?

Romain, dentiste parisien, hérite d'un terrain en Corse au décès de son père, dont la dernière volonté est que son fils construise dessus une maison, en sa mémoire. Rechignant à accomplir le souhait d'un paternel qu'il n'a jamais vraiment connu (il l'a abandonné durant l'enfance) et ayant du mal à s'acclimater et se faire accepter par les locaux, Romain va apprendre à faire la paix avec les habitants du village et avec son passé pour devenir un homme meilleur.

À deux doigts d'être aussi sérieux qu'un Malick

Et ouais, nous aussi ça nous l'a coupé. Certes, Permis de construire est principalement une comédie lymphatique, mais c'est aussi un drame convenu qui se donne pour ambition de raconter une histoire, une vraie de vraie. Évidemment, elle sert aussi de bon prétexte pour sortir du frigo quelques clichés à réchauffer dans du formol - les Corses sont fainéants, les Parisiens sont stressés... vous les connaissez par coeur. Mais on est assez loin de la démarche hypocrite et rance de plus ou moins n'importe quel film récent de Christian Clavier.

L'humour est ici distribué à part (à peu près) égale entre les différentes parties prenantes, et la moquerie est également à égalité avec l'empathie. Tout cela garantit à Permis de construire suffisamment d'équilibre et de clarté pour l'empêcher de se vautrer misérablement dans la fange raciste comme certains autres, et le maintient dans le cliché pépère. C'est déjà trop diront certains. On les comprend, mais au vu de la concurrence, c'est déjà pas mal, et pour cela, on peut remercier Didier Bourdon et Eric Fraticelli d'avoir su canaliser une forme d'agressivité gueulante devenue inhérente à un genre transformé en dépotoir à force d'avilissements.

Ici c'est cool

TOUT EST PERMIS...

Mais alors, si l'esprit de concorde charitable qui habite Permis de construire est sincère, le film ne risque-t-il pas d'amenuiser sa puissance narrative ? Peut-on faire de l'humour sans blesser personne ? Si l'on ne répondra pas à cette seconde question ici, toujours est-il qu'effectivement, Permis de construire est aussi sage qu'inoffensif. Enfin, sauf envers les Allemands et les Portugais, étranges dommages collatéraux du film, que seule une rancune ancestrale envers le IIIe Reich de Lisbonne et les Pasteis de Nata nazis saurait expliquer. Allez savoir.

C'est le revers de la médaille de l'amabilité de Permis de construire qui endort tant le spectateur qu'il en revient à regretter les fascinants abysses habituels de la comédie "satirique" française sur le "vivre ensemble". Formellement, c'est le même étrange double constat : rien ne dépasse, aucun craquage de slip à l'horizon comme on avait pu en voir dans Opération Portugal, autre entrée dans la comédie de chantier (en passe de devenir un sous-genre à part entière) autrement plus acrobatique - et gênante. De sorte que Permis de construire n'a absolument rien de remarquable, en positif comme en négatif.

Didier Bourdon et Eric Fraticelli

... SAUF DE RIRE

Rassurez-vous, tout cela ne veut pas dire que l'on recommande le visionnage de Permis de construire. On dit tout au plus que, si vous êtes dans le devoir de sortir un membre de la famille gâteux ou de vous infliger un moment familial, c'est un choix qui représente une certaine sécurité et qui garantit une conversation post-projection relativement sereine avant d'aller se coucher. Mais bien entendu, Permis de construire est bien plus un produit de marché télévisuel qu'autre chose, et sa téléologie pourrait être résumée à "gros oeuvre arythmique pour petit écran familial". 

Tout est donc techniquement à peu près torché sans se prendre la tête, de l'écriture jusqu'à la photographie. Bien sûr, la lumière sera fade et naturaliste, évidemment qu'il y'aura une scène d'ivresse, et si vous pensiez échapper à la comédie de langage/onomatopées, vous êtes trop naïfs. Comble du malheur : c'est sur l'excellentissime acteur Simon Abkarian que tout vient se métastaser. Sa parodie douteuse de Karl Lagerfeld en kimono vient confirmer que le règne des chaînes de télé sur les financements des films français a le don de gâcher les talents artistiques plutôt que de les faire émerger, de dilapider le savoir-faire technique et de faire perdre du temps à tout le monde.