La campagne de France : critique du House of Cards français

un village d'irréductibles

Le titre du nouveau documentaire de Sylvain Desclous incarne tout ce qu'il raconte. Posant sa caméra dans un village des plus typiques de la campagne française, le réalisateur nous montre sans artifice la réalité de ces patelins oubliés, désertés de leur jeunesse et qui, doucement, meurent avec leur population vieillissante.

Au milieu des champs et des bois, les quelques maisons cernant le clocher ne laissent pas suspecter de l'énergie qui habite les personnes âgées qui y vivent. Ils et elles se battent pour le village qu'ils n'ont peut-être jamais quitté alors que les élections municipales arrivent, version miniature de la prochaine présidentielle.

Une élection prise à bras le cor

Preuilly c'est n'importe quel bourg français, Preuilly c'est toute la France. Les problématiques qui traversent le village comme autant de poids lourd polluant le centre-ville motivent ses habitants à voter, ou se présenter aux élections municipales. Car c'est là tout le coeur du documentaire de Desclous. En décidant de s'intéresser à ces vieux ruraux, il ne s'attendait pas, et encore moins le public du documentaire, à découvrir une campagne électorale aussi animée. Preuilly devient un microcosme de la France où chaque candidat pointe un même problème avec une façon propre de le résoudre, ou la personnalité et le charisme jouent, et/ou rien n'est gagné d'avance.

D'étonnantes tensions se créent lors d'une brocante, terrain de deux candidats pour saluer chaque futur votant. Avec sincérité, par la simple magie du montage, Desclous crée des scènes surréalistes, notant des moments en hors-champs où une personne peine à passer une barrière, un regard flottant après une réponse déconcertante, ou un silence après une phrase cinglante qui attend une répartie qui ne viendra pas. Sans jamais tomber dans la moquerie, chacun de ses instants magiques et furtifs que la caméra a su saisir à l'image, et que le montage a su préserver, montre toute la tendresse qu'a Desclous pour ceux qu'il filme.

Le climax du documentaire

Game of mairie de preuilly

Ce qui fait tout le piquant de La campagne de France ce sont ces personnes authentiques que n'auraient pas pu rêver mieux Desclous pour son documentaire. Faisant toute l'action et les rebondissements de cette campagne, les candidats ont leurs aspirations, ambitions et objectifs qui les mettent en opposition sympathique. On a ainsi Jean-Paul que tout le monde dans Preuilly connaît. C'est le politicien confiant jouant au modeste qui sait qu'en se promenant dans le village tout le monde le reconnaîtra.

Également du village, on a Patrick dont le phrasé hésitant et discret ne le place pas en tête des intentions de vote. Enfin, on a Mathieu, l'atypique de 38 ans venu de Paris que personne n'attendait.

Mathieu, le favori du public

Avec sa démarche dont le trench-coat accompagne chaque mouvement alors que ses longs cheveux frisés volent au vent, Mathieu est lunaire face à ses deux rivaux. Pourtant, il vient avec des propositions concrètes, un travail sérieux, il devient le candidat idéal pour ce village. On croit en lui, et le documentaire arrive à rendre sa campagne électorale digne d'un House of Cards aux bérets et aux baguettes sous le bras. Une tendresse se dégage de ce Parisien perdu dans ses réflexions, et que tout oppose à son électorat. Pourtant c'est un natif de Preuilly, né d'un père photographe de tous les mariages de la commune (et donc connu de tous) dont il parle avec émotion et égard.

Pour aider Mathieu à se faire élire, on a Guy, un vieux politicien rodé à la machine électorale, jamais élu malgré deux tentatives, et ne refusant jamais un bon mot, une blague ou une pensée. Guy croit en Mathieu, espérant avoir enfin une place à la mairie, faisant d'eux un tandem plein d'étincelles. Leur relation qu'on pourrait croire écraser par un rapport de domination est en réalité faite d'un respect mutuel inspirant. Les deux s'écoutent et se comprennent, et le jeune Mathieu n'hésite pas à recadrer un Guy trop rigolard. Le coeur que les deux hommes mettent dans cette campagne qui représente beaucoup pour eux ne rend que plus émouvant les derniers mots de Mathieu à son ami.

Le verre de la victoire ?

Le combat de ce village qui ne se laisse pas disparaître est admirable, tout comme cette lutte politique faite dans le sérieux et la politesse. Cela n'empêche pas les piques entre opposants, appuyés par les mots de villageois timides devant la caméra. Cette dernière capte le destin de Preuilly, que d'autres villages connaissent aussi, celui d'être effacé. Loin du constat défaitiste d'une campagne abandonnée, La Campagne de France préfère montrer que ces villageois, à l'âge moyen de soixante ans, ont une force inattendue pour lutter contre la fatalité.

Avec le pensif et en apparence candide Mathieu, épaulé par le râleur mais impliqué Guy en personnages principaux, Sylvain Desclous ne pouvait rêver mieux comme base de départ pour son histoire. Le storytelling est là, tout autour de lui dans le village et dans les dialogues qui se créent sous ses yeux, que sa caméra capte avec brio au service d'un documentaire qui prend toute son importance en cette période d'élection présidentielle.