Rien à foutre : critique qui s'envoie en l'air

Simon Riaux | 2 mars 2022 - MAJ : 02/03/2022 18:22
Simon Riaux | 2 mars 2022 - MAJ : 02/03/2022 18:22

Précarité, violence et perte de sens contaminent progressivement le quotidien d'une hôtesse de l'air dans le planant Rien à foutre avec Adèle Exarchopoulos. Quelques mois après son décollage cannois, le film atterrit enfin dans les salles obscures et nous offre une nécessaire bouffée d'oxygène.

AIR PORTE

Cassandre est hôtesse de l’air pour une compagnie low-cost. Au fond de l’habitacle d’un avion sur le point de décoller, elle attend, le visage contrit. Comme embrumée de pensées lointaines, sur le point d’être carbonisée sur le tarmac, elle semble sur le point de se dissoudre... jusqu’à ce que son rôle s’empare d’elle et qu’un sourire éclatant lui dévore le faciès. Durant ces premiers instants de Rien à foutre, on capte bien sûr le trouble, le malaise, distillé par Julie Lecoustre et Emmanuel Marre, qui renvoie directement à leur précédent film. 

D’un Château l’autre nous plaçait, entre les deux tours de la présidentielle de 2017, aux côtés d’un étudiant et de sa logeuse, un esprit abîmé et un corps diminué, lesquels tentaient de se comprendre, de dépasser leurs différences, dans le climat suspendu et déréalisé d’un manège électoral national. Cette dissociation entre deux éléments qui devraient pouvoir se lier, ou ne pas frontalement s’affronter, fonde aussi le dilemme central de Rien à foutre. Cassandre croit contenir en elle ce grand écart, entre l’électricité d’un métier dont elle perçoit les à-côtés éclatés comme autant de sources d’accomplissement, et les shrapnels de chaos qu’il dissémine dans son existence.

 

Rien à foutre : photoRéanimer le corps social, un projet promis à une grande réussite

 

Donner corps au réel, aux conséquences d'un métier, d'une vie professionnelle où le corps est central (Cassandre répète d'elle-même combien elle souhaiterait pouvoir rivaliser avec l'anatomie, le style et par extension le statut de certaines de ses consoeurs) est souvent un écueil en termes de mise en scène, ou le paravent de qui ne sait comment travailler le quotidien pour y injecter du sens, du récit, du style. Mais jamais le duo de cinéastes ne singe une quelconque forme de naturalisme. Et s'ils veillent en permanence à nous rappeler la matérialité des protagonistes comme de leurs activités, scandant leurs déplacements de la litanie des roulettes, des poinçons des talons hauts, toujours ils l'articulent à une grammaire de cinéma stimulante.

Dans une première partie flottante puis électrique, nous suivons Adèle Exarchopoulos au rythme de ses décollages, escales, rires et bitures. Le cadre se fait mouvant, s'accroche à elle, virevolte soudain, tandis que le montage, lui, syncope le tout, témoignant efficacement d'un quotidien qui se lézarde. À 3000 pieds, le vide menace, mais ne disparaît pas pour autant quand Cassandre retrouve le plancher des vaches, et c'est progressivement que la chronique acide vire à une mélancolie irrépressible, à la faveur de plusieurs bascules successives. Car si l'entreprise qui emploie la jeune hôtesse la pousse à se calciner au gré de rythmes impossibles, toutes les béquilles hydro-alcoolico-stupéfiantes qu'elle pourrait s'administrer se transforment en un repoussoir.

 

Rien à foutre : photo, Adèle ExarchopoulosDe bonnes têtes de winneuses

 

HATE IS IN THE AIR

Cassandre et un employé de la compagnie sont au premier plan, l'un face à l'autre, de profil à l'image. Derrière eux, au flou, l'interminable allée centrale d'un avion sans passager. Le ton de la discussion est badin, anodin presque. Cassandre sent l'alcool, et par conséquent pourrait ne pas être apte à décoller. Les regards convergent sur elle, que le cadre comme le jeu des comédiens non-professionnels qui l'entourent infantilisent progressivement. Elle baisse les yeux.

Durant cette séquence aux airs de chemin de croix, le souffle des moteurs, les réacteurs balayant le tarmac, forment une respiration ininterrompue, une gangue sonore assourdissante. En une scène capable de tenir l'horreur professionnelle d'un système de réification des humains et une structure de pure humiliation de l'autre, Rien à foutre s'écroule volontairement, retrouve le sol et questionne enfin son héroïne.

L'ensemble essaie parfois un peu trop fort, trop vite, de se placer en film générationnel conscient de lui. D'où, dans cette seconde moitié, quelques petites errances stylistiques trop appuyées, des regards dans le lointain qui se perdent, sentent bon la citation Mannienne un peu hors-sujet, ou simplement sursignifiante. Mais peu importent finalement ces imprécisions. Le métrage réussit à nous parler d'une industrie devenue folle, parmi les plus polluantes et déshumanisées à être encore en exercice, dont le simple maintien ou la croissance demeurent des doigts d'honneur à l'intelligence, en l'abordant toujours par le prisme de l'humain.

 

Rien à foutre : photo, Adèle ExarchopoulosExtension du domaine de la cuite

 

C'est la grande force de l'ensemble : ne jamais perdre la chair, notamment grâce au discret, mais remarquable travail du chef opérateur Olivier Boonjing, dont on se dit ici et là qu'il parvient par son seul travail sur la netteté ou sur les carnations, à rendre palpable un propos que le scénario de Lecoustre, Marre et Mariette Désert n'aurait pas suffi à expliciter. Quand il s'attarde sur la mine déconfite de notre héroïne, il lui permet d'incarner des questionnements contemporains puissants, comme le ressenti, vertigineux, non pas de la perte de sens, mais de la permanence de son absence.

Ainsi, les sinistres "5 euros par passager" qu'on martelait à Cassandre deviennent la signature d'un monde déjà largement contaminé, où la logique marchande paraît inéluctable, tant elle règne en maître. Mais demeurent de rares fissures, quelques échappées. Leurs conclusions, presque systématiquement amères, n'enlèvent étonnamment rien à leur force.

Emmenée par Adèle Exarchopoulos, tantôt motrice de l'intrigue, qu'elle semble capable de remettre en branle par le seul tranchant de son regard, tantôt fétu de paille balayé par son environnement, Cassandre traverse son époque, l'incarne et finit par nous abandonner en l'air, sans que nous sachions s'il s'agit d'un envol prometteur, ou d'un crash terminal.

 

affiche officielle française

Résumé

Le parcours, entre apesanteur et carambolages, d'une hôtesse de l'air sans parachute est chaotique, parfois inégal, mais porté par une énergie remarquable, une comédienne exceptionnelle, et un mordant salvateur.

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commentaires
Aadra
28/03/2022 à 23:45

La prouesse de ce film ne tient pas au narratif ni à des rebondissements spectaculaires cherchant à nous dirvertir... pour la simple raison qu il n' y en a point!
Nous sommes transportés dans les moindres recoins du psychisme du personnage central, entre sa vie fantasmée et la froide réalité de son quotidien, une vie qui cherche à se reconstruire suite à un accident tragique....
Adèle Exarchopoulos crève littéralement l écran !!

Caribou
07/03/2022 à 17:35

Même avis sur les longueurs et certains dialogues on reste jusqu,à la fin pour savoir quand elle en aura "rien à foutre" et tout bazarder et il ne se passe rien (même pour la partie se reliant à l,accident de sa mère) En fait le titre se rapporte au rapport du réalisateur avec les spectateurs.......

Moka
04/03/2022 à 17:41

Film ennuyeux avec beaucoup de temps morts, de passages et des longueurs qui ne servent à rien qui n'apportent rien, en fait inutiles. On se demande quel est le but de ce film inintéressant à souhait.

The insider38
03/03/2022 à 21:26

Vu ce jour . On dit 3 h de The Batman c est long . Aller vous taper 1h55 de ce truc abominable tant sur le fond que la forme , dans le genre soporifique c est gagné

pith
03/03/2022 à 08:17

Ahah oui Simon Riaux a oublié un zéro dans ses pieds !

MC
03/03/2022 à 05:57

En fait, à 3000 pieds (tel que vous écrivez), ce sont surtout les montagnes qui menacent!

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