Maigret : critique d'une autopsie de Gérard Depardieu

Salim Belghache | 15 novembre 2022 - MAJ : 16/11/2022 09:20
Salim Belghache | 15 novembre 2022 - MAJ : 16/11/2022 09:20

Adapté du roman Maigret et la jeune morte de Georges Simenon, Maigret offre à Gérard Depardieu l'occasion de s'emparer du costume du commissaire fumeur de pipe, qui tente ici de comprendre les raisons du meurtre d'une jeune fille. Le physique bourru du comédien correspond tout à fait à l'image que nous nous faisons du célèbre policier de la littérature française, mais qu'en est-il également du retour de Patrice Leconte (Viens chez moi j'habite chez une copine, La fille sur le pont) derrière la caméra après huit ans d'absence ?

Le passé de l’épure

Avec ce titre, le ton de cette nouvelle adaptation de Maigret est déjà donné. Sommairement appelé Maigret, le retour du policier inventé par l’auteur belge Georges Simenon sera investi par la sobriété et la discrétion. Ce nom iconique de l’histoire du roman policier (mais également du cinéma français puisque le flic du 36 quai des Orfèvres a connu de nombreux interprètes de grande qualité, notamment Michel Simon et Jean Gabin), peut paraître une figure surannée et datée dans notre monde enclin à repenser notre police et sa représentation sur le grand écran.

Ce retour surprenant de cette police à l’ancienne est le projet de Patrice Leconte, cinéaste connu d’abord pour ses comédies accompagnées de la troupe du Splendid. Le style de ce dernier récompensé d’un César du meilleur réalisateur pour Ridicule en 1996 est assez difficile à identifier en partie à cause d’une filmographie large et diversifiée par des genres et thèmes différents.

 

Maigret : photo"Bon alors le style de Leconte comment on l'explique ?"

 

Assez inclassable dans le paysage cinématographique français, Patrice Leconte opte dans le cas de Maigret pour une économie des grands déploiements d’axes narratifs et d’un cachet visuel proche des polars français des années 50 ou 60 avec les têtes d’affiche Lino Ventura ou encore Jean Gabin (justement).

Maigret enquête donc ici sur la mort d’une jeune fille au nom inconnu. Au cours de cette investigation, le commissaire va faire la rencontre d’une jeune fille aux traits similaires qui va également rappeler un drame personnel. En fin de compte, si ce synopsis paraît percutant, l’ensemble ne trouve pas son équilibre dans ce cadre narratif.

 

Maigret : photo, Clara AntoonsMystère et boule de gomme

 

Enquête sur des non-dits

Ainsi, le drame personnel, à savoir la mort de la fille de Maigret, est peu exploité et sert surtout d’appui pour d’abord comprendre la psychologie du brigadier. Avec intelligence, Patrice Leconte évite la surexplication de son intrigue pour plutôt jouer la carte des non-dits. Comme un policier, c’est à nous en tant que spectateur de repérer au mieux les indices glissés par les acteurs eux-mêmes, mais également par la mise en scène.

Grâce à un dialogue lunaire entre Maigret et un certain Kaplan interprété par le regretté André Wilms (disparu le 9 février 2022), nous comprenons que ce qui lie ces deux personnages est le décès d’un enfant. Et c’est d’autant plus fort que l’émotion vient du partenaire de Depardieu qui, par sa voix presque cassée, parvient à nous éclaircir sur les véritables motivations de Maigret. Autre point à noter, la sortie de ce second rôle étonnant s’effectue par un travelling arrière de bon goût manifestant certes sa disparition progressive du centre l’image, mais aussi (et malheureusement) désormais celle d’André Wilms.

 

Maigret : Photo Gérard DepardieuUn Depardieu ressuscité

 

Néanmoins, ce souci de ne jamais divulguer toutes les composantes de l’intrigue par les dialogues participe à quelques écueils au niveau du rythme et de la narration. L’enquête a peu d’intérêt en elle-même puisque les interrogations sur le ou les coupables sont rapidement évidentes et élucidées. Ce dépassement des enjeux narratifs du film d’enquête ne pose pas problème en soi, mais quand il est servi par certains seconds rôles bien trop archétypaux c’est une autre paire de manches.

Heureusement, le fait que l’intrigue soit résolue rapidement cache une tout autre ambition : celle de cartographier son acteur principal, Gérard Depardieu, en sachant que Patrice Leconte a lui-même cadré son film.

 

Maigret : photo, Gérard DepardieuOui Gérard on parle de toi !

 

La dolce Depardieu

L’ouverture du long-métrage présente par son montage un avant-goût de l’ambition réelle de Patrice Leconte. Les premières images montrent des plans très courts de parties du corps sans dévoiler le moindre visage. Il ne nous aura pas échappé pour autant la présence massive de Gérard Depardieu, montré de manière vulnérable dans une consultation médicale.

Tel un médecin méticuleux, Leconte associe son regard à celui du praticien et ne cessera durant la majeure partie du film à scruter son acteur jusqu’à obtenir la moindre fêlure ou détail rendant compte de sa photogénie. Rien que de voir marcher Depardieu est une belle poésie en soi. De la même manière qu’avec un formidable Johnny Hallyday dans le très réussi L’homme du train, Patrice Leconte ne cherche pas à représenter la toute-puissance masculine de son acteur iconique.

 

Maigret : photo, Gérard Depardieu"Je veux bien jouer le cadavre pour l'identification."

 

Au contraire, la mise en scène est destinée à rendre compte de la sensibilité voire la timidité de Depardieu. Dans cette même idée, Leconte décrit un Maigret à l’écoute, cloué par ce qu’il voit et plus largement, c’est l’empathie de Maigret que le cinéaste tente de représenter. Et en utilisant le langage cinématographique dans ce qu’il a de plus beau, le cinéaste parvient à travers un simple raccord à mettre en évidence la capacité d’identification de son protagoniste.

Maigret est ausculté par le médecin alors que la jeune fille assassinée essaie une robe dans un magasin. Leconte cadre le haut du dos mince et lisse de la comédienne Clara Antoons et le raccorde au montage avec un plan tout à fait similaire du dos de Gérard Depardieu juste après. Toute cette humanité que nous découvrirons de notre commissaire est ainsi matérialisée par ce jeu de montage malin qui fait comprendre que la victime et Maigret sont de même niveau et qu'il conviendra donc de voir notre policier s’investir corps et âme pour éclaircir ce meurtre.

À la différence de certains réalisateurs qui ne forcent pas l’acteur à incarner un personnage, mais d’être seulement Depardieu, Leconte offre le costume d'enquêteur à Depardieu pour qu’il compose un véritable personnage. On retrouve un phrasé plus doux, presque des murmures, proche du jeu que l'acteur adoptait quand il était dirigé par François Truffaut ou Maurice Pialat. Et c’est en grande partie grâce à cette sensibilité saisissante que Gérard Depardieu offre ici l’une de ses meilleures prestations depuis longtemps.

 

MAIGRET : Affiche officielle

Résumé

Maigret est ressuscité avec soin par Patrice Leconte dans ce polar franchement réussi, où le réalisateur prend aussi la pleine mesure d'un Gérard Depardieu imposant pour incarner le célèbre commissaire.

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commentaires
Tristan
07/11/2023 à 13:49

Ce Maigret est vraiment décevant Depardieu n'en a rien à faire il apparait comme un légume sans jeu d'acteur rien . Recite son texte comme un acteur amateur . C'est d'un ennuie pas possible . Allez plutot revoir Gabin ou Cremer .

Cidjay
16/11/2022 à 11:04

Petite faute dans l'article concernant Depardieu "Le physique bourru"...
C'est plutôt bourré !

Hasgarn
08/05/2022 à 13:18

Vu hier, en compagnie de Patrice Leconte lui-même. Un homme charmant, drôle et très accessible.

Je l'ai remercié pour son film.
1/ c'est un film court, ramassé et imposant, rythmé et sans longueur.
2/ 0% esbroufe, pas d'effet spéciaux, pas de truc. On a un cinéma simple, humble et de grande facture
3/ Ça fait plaisir de revoir Depardieu comme ça. En forme, imposant, blessé. Il est admirablement accompagné par un casting de haute volé avec des vieux briscards mais aussi par les jeunes et prometteuses Jade Labeste et Clara Antoons. Mélanie Bernier n'est pas en reste.

Je me suis reconnecté à un cinéma plus artisanal, plus vrai, plus clair grâce à ce film.

Encore une fois, Merci Patrice Leconte :)

serge34 bis
06/03/2022 à 18:46

je voulais dire on soupconne rapidement les coupables mais on ne devine pas le pourquoi et le comment si on a jamais lu le roman de simenon

serge34
06/03/2022 à 18:43

Malgre la lenteur on entre dans l intrigue, on soupconne rapidement les coupables mais on ne devine pas si on ne souvient pas du roman! Depardieu fait un maigret un peu depressif mais tres humain, pas d image de synthese d un paris des annees 50 OUF! Bruno cremer l incarnait sur un registre plus interessant

Chris11
06/03/2022 à 13:33

C'est clairement pas terrible, l'enquête n'a pas beaucoup d'intérêt, les persos sont mal joués, les dialogues moyens. MAIS Depardieu est Depardieu et très bien accompagné par deux personnages féminins : Anne Loiret sa femme dans le film, étonnante de discrétion, et Jade Labeste, parfaite dans son rôle ambigu. Et au final, le film reste agréable (et court, ça fait du bien).

Kuma
01/03/2022 à 17:10

La critique est très intéressante, j'ai un peu un avis similaire, l'enquête manque d'intérêt mais elle sert au perso de Depardieu/Maigret à vagabonder, se débarrasser de sa peine qui est reflèté dans l'atmosphère sombre de l'époque et dans le vide des lieux qu'il fréquente. Je trouve que la fin est super belle et assez inattendue. Mon seul problème c'est les micro zoom intempestif dans les champs contre champs qui sont inutiles et déplaisant à voir (c'est peut être un reflet du dérangement du commissaire mais si c'est le cas c'est trop fréquent et perso ça me sort du film).

Marc
28/02/2022 à 17:49

@kyle Reese

Il y a beaucoup mieux que Maigret le Cinéma de papa ;) sur l'article sur Raised by wolves la saison 2 je suis le seul à en parler ! Tu peux voir sur YouTube Tvs Clips un aperçu des 5 épisodes et c'est encore plus dingue de la bonne SF on reconnaît la pâte de Ridley Scott.

Kyle Reese
26/02/2022 à 19:40

Tient et l’amitié Depardieu / Poutine ... on en parle ?

Taillo
26/02/2022 à 19:25

Et Bruno Cremer ? Il compte pour du beurre ?

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