Les Voisins de mes voisins sont mes voisins : critique de l'anti-Disney à la française

Elliot Amor | 2 février 2022
Elliot Amor | 2 février 2022

Cette année, le cinéma français nous propose Les Voisins de mes voisins sont mes voisins, un drôle d'objet filmique non identifié (OFNI). Le duo composé de Léo Marchand et Anne-Laure Daffis signe son premier long métrage, une œuvre entre animation et prise de vue réelle. Attention, légers spoilers !

Prise de vue animée

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins se divise en quatre intrigues. Il y a tout d'abord les mésaventures du magicien Popolo qui cherche un emploi pour pouvoir chérir sa princesse/assistante Amabilé, à qui il a coupé les jambes. Les trois autres histoires se déroulent principalement dans un immeuble occupé par des personnages... excentriques. Parmi eux, un certain François Truducou est coincé dans l'ascenseur avec son chien (pendant tout le film, oui), Monsieur Demy le retraité rencontre et tombe amoureux des jambes d'Amabilé (pourquoi pas ?), et enfin, un homme très poilu, que nous appellerons « l'Ogre », cherche à recevoir des soins dentaires dans le but de manger des enfants tranquillement.

Vous l'aurez compris, le film de Daffis et Marchand est absurde et il ne s'en cache pas. Mais derrière cet aspect absurde et burlesque, on trouve une forme de poésie qui nous fait réfléchir. Prenons par exemple l'Ogre mangeur d'enfants, n'y a-t-il pas chez lui une forme de fascination pour les bambins, un désir de retour à l'enfance ? Cette théorie peut se prouver quand le personnage pose ses dents sous son oreiller dans l'espoir d'avoir des pièces (et ça fonctionne). L'Ogre tombe d'ailleurs amoureux d'une feuille de sa voisine qui est maman.

 

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins : photoDu coulis de framboise, en veux-tu en voilà

 

Monsieur Demy, le voisin qui tombe amoureux des jambes d'Amabilé, a sans doute l'histoire la plus touchante. D'abord effrayé par cette paire de jambes sans corps ni tête, le personnage est vite fasciné par ce phénomène hors du commun, leur relation fait étrangement penser à Elliott et E.T., mais la source d'inspiration doit se trouver plus globalement dans les contes de fées.

On remarque très vite que l'absurdité de ce film n'a rien d'anormal aux yeux des personnages. Le fait de se faire trancher les jambes est évidemment très contrariant pour Amabilé, mais ça n'a pas l'air d'être une raison suffisante pour... aller à l'hôpital ? La perte de ses jambes représente plutôt la perte de sa liberté due à la nullité de Popolo en tant que magicien. Ce dernier ne pense pas à mal, mais sa trop grande confiance en lui, doublée d'un manque de talent, a fini par tirer sa compagne vers le bas (ça reste tout de même beaucoup plus sombre dans Nightmare Alley).

 

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins : photoAppelez la Popolice

 

Dans le même genre de situation absurde, le personnage de François Truducou (qui est, pour le coup, vraiment un trou du cul) se retrouve coincé dans l'ascenseur pendant 48 heures ou plus. L'homme et son chien semblent plus agacés qu'autre chose, alors que le commun des mortels perdrait la raison au bout d'une heure (et on aimerait savoir où ils stockent leur caca). Cette sous-intrigue veut probablement critiquer la non-action des institutions et entreprises quand les gens demandent de l'aide. Mais on va peut-être arrêter de vouloir trouver un sens à ce que raconte le film, n'oublions pas que le chien parle et ça ne dérange personne.

Hormis le fait que la plupart des personnages se trouvent vaguement au même endroit à la fin du film, on regrette de ne pas voir plus d'interactions entre eux. À quoi aurait ressemblé une conversation entre Popolo et l'Ogre, qui ont tous deux des accents italien et belge très prononcés ? Mais il est vrai que les actions de certains personnages ont eu des incidences sur le destin des autres, donc on va dire que ça passe.

 

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins : photoScooby-dooby-doo !

 

Je vois des gens qui sont moches

Peut-on dire que l'animation du film soit fluide et détaillée ? Non. Peut-on affirmer que les dessins plairont à beaucoup de monde ? Certainement pas. Tout simplement, peut-on considérer que Les Voisins de mes voisins sont mes voisins est visuellement beau ? Cela dépend vraiment de vos goûts. Le point positif, c'est que l'existence de ce film prouve qu'on peut faire de l'animation sans savoir dessiner.

Plus sérieusement, Daffis et Marchand se sont très ouvertement inspirés de Short Cuts, un film choral du légendaire Robert Altman, le personnage de Popolo est un hommage au Roberto Benigni de Down by law, on repère également des références aux univers de Jacques Tati ou de Jacques Demy. Il est donc clair que Daffis et Marchand font du cinéma d'animation sans vraiment se soucier de ce que le monde de l'animation propose à côté. Et mis à part ses gags cartoonesques et quelques images piquées à Disney, on ne ressent pas vraiment la présence d'univers animés.

 

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins : photoSaucisse (désolé, on ne savait quoi écrire d'autre).

 

Le film n'a pas peur de mélanger de la prise de vue réelle à de la 2D, ou des images d'archives à de la modélisation 3D, ou les quatre en même temps. Bref, Les Voisins de mes voisins sont mes voisins (on commence à en avoir marre d'écrire ce titre) est un exercice de style riche en étrangeté qui ose un peu tout. Ses dialogues plutôt bien écrits, très drôles et bien interprétés sont ce qui nous donne envie de voir le film jusqu'au bout.

On a très rarement l'occasion de se délecter de la voix de François Morel dans un film d'animation. La dernière fois, c'était dans Josep, film d'ailleurs comparable à Les Voisins de mes voisins sont mes voisins sous certains aspects, même si les intentions et techniques n'ont rien à voir. La relation de l'Ogre (François Morel, donc) avec le personnage d'Arielle Dombasle, qui a une voix calme et apaisante, crée un contraste intéressant. Mais, on le répète, ça aurait été vraiment drôle d'entendre un dialogue entre Popolo et l'Ogre.

Une autre belle surprise que le film a à proposer est la voix revigorante de Valérie Mairesse (Amabilé) qu'on aurait aimé entendre un peu et qu'on espère entendre, à l'avenir, dans d'autres projets d'animation. Si jamais une personne représentant un studio d'animation français fait partie des douze personnes ayant lu l'article jusqu'ici, vous savez quoi faire.

 

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins : photoQui veut sauver Roger Rabbit

 

Au fait, on vous a dit que l'univers du film n'avait aucun sens ? Les personnages évoluent dans un monde où la campagne électorale d'Emmanuel Macron a lieu à la même époque que l'accident de Lady Diana et d'autres événements qui n'ont aucun rapport. Ça prouve à quel point les auteurs n'ont que faire de la diégèse et que l'histoire qu'ils racontent aurait pu se dérouler à n'importe quelle époque. Enfin, pas « n'importe quelle » époque, dans la mesure où un personnage comme Popolo symbolise un temps révolu, qui n'a plus sa place dans le monde moderne.

Si Les Voisins de mes voisins sont mes voisins ne vous paraît pas forcément très alléchant au premier abord, il mérite tout de même que vous lui laissiez une chance, ne serait-ce que pour son humour. Mais aussi parce que, à une époque où un géant du cinéma d'animation européen comme Aardman (Chicken RunWallace & Gromit) va se réfugier chez Netflix, il faut accepter ce que le vieux continent a à proposer sur le marché. Et cela implique de s'ouvrir aux OFNIs qui débarquent dans nos salles.

 

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins : Affiche officielle

Résumé

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins n'est autre qu'une satire burlesque de notre époque. Le film se trouve près d'une bordure peu explorée de la galaxie de l'animation et ses auteurs cherchent simplement à s'éloigner des conventions du genre.

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Lecteurs

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commentaires
Birdy sans nom
03/02/2022 à 12:16

Ça c'est du titre !

#diez
03/02/2022 à 11:04

Tellement mal distribué... À côté les cinémas semblent préférer l'insipide Vaillante sans sa 3D sans âme.

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