Spencer : critique d'un cauchemar royal sur Amazon
Après Neruda et Jackie, le réalisateur chilien Pablo Larraín continue à explorer le genre du biopic en s'intéressant cette fois à la figure de Lady Diana dans Spencer. Passé par la Mostra de Venise 2021 dont il est revenu tristement bredouille, le long-métrage mené par une Kristen Stewart à son meilleur débarque sur Amazon Prime Video en France.
PORTRAIT D'UNE PRINCESSE EN PLEURS
"Where the fuck am I ?" sont les premiers mots de la Lady Diana de Kristen Stewart. Perdue dans les plaines britanniques au bord de sa Porsche, Diana Spencer cherche sa route pour retrouver le château dans lequel elle doit passer Noël aux côtés de la famille royale. Et sa première phrase en dit déjà long sur ce que Spencer racontera sur la célèbre princesse. Alors qu'elle est littéralement en train de chercher le bon chemin, le spectateur comprend qu'il va s'engouffrer dans les abimes d'une princesse qui ne sait plus où elle est.
Enfin, non, Lady Diana a parfaitement conscience de là où elle se trouve physiquement lorsqu'elle débarque au château de Sandringham. Cependant, elle a le sentiment de ne pas savoir ce qu'elle y fait, de ne pas savoir pourquoi elle y est, et finalement, de ne plus savoir qui elle est elle-même, de ne plus savoir qu'elle est sa place dans la famille royale, dans le monde. Elle qui est véritablement perdue dans la campagne anglaise dans les premières minutes du film est surtout complètement égarée mentalement.
Cette errance existentielle, Pablo Larrain va en faire son point central. Car le Chilien sait pertinemment qu'il ne peut pas vraiment raconter quelque chose de nouveau sur la princesse Diana, elle qui a été au coeur de tant de documentaires, de reportages, d'oeuvres littéraires, fictions télévisées... Loin de lui l'idée de faire de Spencer un énième biopic donc, mais plutôt d'en réaliser "une fable inspirée d'une véritable tragédie" comme l'annonce le panneau d'ouverture.
Espérer être au volant de son propre destin
THE HAUNTING OF ILL DIANA
Ainsi, Spencer raconte le faux conte de fées de Diana. Le fameux rêve de princesse d'une petite fille s'est peu à peu transformé en cauchemar. Cette fable où le prince charmant n'est pas tant un sauveur qu'un oppresseur, où la solennité des lieux est si froide qu'elle en devient invivable, où le poids des traditions devient impossible à porter et où le moindre espoir de liberté est réduit à néant par le contrôle permanent (cette ambiance militaire jusqu'aux cuisines).
Au milieu de cette rigueur, se trouve donc Diana, enfermée, brisée. À l'image de Jackie avec le personnage de Jackie Kennedy, le réalisateur (grâce au scénario de Steven Knight) va revenir sur le destin tragique d'une figure historique (et toujours féminine après Jackie et Ema) écrasée par le fardeau d'une légende la dépassant. En faisant de Lady Diana le centre de presque tous ses plans, le long-métrage immerge le spectateur dans l'âme en détresse de Diana (entre troubles du comportement alimentaire et dépression) et l'oblige presque à faire corps avec son esprit.
Le moyen de subir aux côtés de la princesse son mal-être permanent, elle qui ne semble trouver une once de bonheur qu'à travers le regard de ses deux enfants (et de sa confidente incarnée par la délicate Sally Hawkins). Mais le cinéaste va prendre des routes plus sinueuses encore. Car en plus d'être un véritable thriller psychologique, Spencer va très vite explorer d'autres contrées.
Dans un délire surréaliste, Spencer prend des airs de pur film d'épouvante, voire d'horreur radicale. Nombre de séquences ne sont pas sans rappeler la démence de Jack Torrance dans l'Overlook Hotel de Shining. Les couloirs semblent se refermer sur eux-mêmes, les balades nocturnes dissimulent des ombres curieuses et la brume prend peu à peu possession des lieux, étouffant un peu plus l'atmosphère déjà glaçante. Difficile même de distinguer le vrai du faux dans ce huis clos oppressant.
De cette apparition d'une Anne Boleyn fantasmée à celle de l'étrange écuyer Gregory dans une chambre froide en passant par cette famille royale quasi-absente, de multiples fantômes semblent peupler les lieux (ce panneau remarquable dans la cuisine où l'on nous indique "qu'ils nous entendent"). Indiscutablement, irréel et réel ne font presque qu'un dans Spencer, éclipsant les frontières de l'ordinaire pour se muer en oeuvre hors du commun.
Derrière la vie fortunée, des rêves ruinés
SHINING STEWART
Avec une maestria technique impressionnante, bien aidé par le travail incroyable de la chef opératrice française Claire Mathon et la musique spectrale tantôt stridente, tantôt jazzy de Jonny Greenwood (un des meilleurs compositeurs du moment), Pablo Larrain dépeint ainsi les craintes et le malheur de son héroïne incomprise. Et pour être honnête, la froideur de son dispositif, aussi grave que l'atmosphère royale, aura de quoi décontenancer. Pour certains, le long-métrage pourra même paraître lourd, sursignifiant. Il faut avouer que le Chilien a un amour démesuré pour les métaphores et allégories.
Entre un épouvantail symbole d'une âme à l'arrêt, une maison en ruine symbole d'un passé perdu, des rideaux cousus symbole d'une perte de liberté ou inversement, une escapade finale en voiture comme symbole d'une liberté retrouvée... tout est allégorique dans le film de Pablo Larrain. Alors évidemment, beaucoup pourront y voir un exercice de style un peu futil, possiblement grandiloquent, agaçant, voire ennuyeux.
Pourtant, Spencer est tout le contraire à partir du moment où l'on accepte de s'y plonger avec le même désarroi envahissant Lady Diana. Car derrière cette foison de métaphores surréalistes, il se cache une immersion presque cathartique dans l'esprit torturé d'une figure aussi célèbre que ses névroses ont été mises de côté par l'Histoire. Une descente cauchemardesque aux sous-textes aussi multiples que les fantômes déjouant les perceptions de cette Lady Di, qui attendait seulement qu'un miracle se produise pour enfin s'envoler vers une autre destinée. Une Diana d'ailleurs sublimement incarnée par Kristen Stewart.
L'actrice parvient, avec un talent dévastateur, à s'emparer de ses mimiques jusque dans ses derniers retranchements. Entre un quasi-surjeu volontaire dans les scènes avec le monde extérieur pour appuyer le rôle que jouait elle-même la princesse devant le public ou les paparazzis et une délicatesse naturelle lors de ses parenthèses enchantées avec ses fils (les plus belles scènes du film), Kristen Stewart y trouve le rôle le plus marquant de sa carrière. Mieux encore, elle porte indiscutablement le souvenir de la princesse décédée réussissant à ressusciter autant sa fragilité que ses impossibles désirs de liberté. Déchirant.
Spencer est disponible sur Amazon Prime Video en France depuis le 17 janvier 2021
Lecteurs
(2.9)29/06/2022 à 09:23
J'ai tenté 45 minutes, mais non c'est vraiment pas pour moi... Dommage !
31/01/2022 à 22:56
trop nul, ennuyant
20/01/2022 à 21:31
Je trouve le film plutôt inutile. La détresse de la bourgeoisie en CHANEL… MY GOD !
19/01/2022 à 23:43
Je confirme, si on accepte que cette lenteur est nécessaire, qu'on se laisse enfermer avec Lady Di dans ce château, à guetter une fenêtre ouverte, une bouffe d'oxygène, on ne peut pas ressortir de ce film sans une once d'admiration pour la cohérence du tout. Quel film. Quelle actrice. J'espère que son état de grâce la portera vers les rôles qu'elle mérite. Incandescente, fragile, rêveuse, perdue, effondrée puis radieuse, waow. Je suis soufflé.
18/01/2022 à 20:54
J'ai trooop trop aimé, je m'attendais pas du tout à retrouver du Shining et du Haunting of Hill House dedans, mais c'était pour le mieux ! Kristen Stewart, captivante et incroyable du début à la fin.
18/01/2022 à 11:05
Bonjour,
"Quelle bande son en prime."
C'est un peu normal pour Amazon...Prime... ;-)
18/01/2022 à 09:28
Magnifique film. Certainement le plus beau hommage donnée à Diana. Quelle bande son en prime.
18/01/2022 à 08:36
Très Shilling, en effet. Très maison hantée. Très inattendu et à la fois, sans doute très juste dans la psyché. d'une tristesse absolue, aussi, comme les meilleures histoires de maisons hantées.
18/01/2022 à 00:49
J’ai été traumatisé par Jackie que j’ai vu en lendemain de cuite. Ce fut un véritable calvaire tant c’était chiant, est ce que Spencer ressemble à Jackie dans le style ?
17/01/2022 à 22:57
ah bon ? je croyais qu' amazon ne ferait que des daubes ( the expanse ) bien ca alors