The Lost Daughter : critique de mère contre-nature sur Netflix

Pauline Knaff | 4 janvier 2022
Pauline Knaff | 4 janvier 2022

Après trente ans à jouer devant la caméra, Maggie Gyllenhaal a décidé de changer de casquette pour réaliser The Lost Daughter, adaptation du roman Poupée volée signé Elena Ferrante. Le résultat bouleverse et secoue sur Netflix, tant la cinéaste calque une réalité si peu évoquée : celle de la maternité "contre-nature".

Un climat TENDU, sur le fil

Sur le sable d'une île grecque (le tournage s'est déroulé à Spetses), Maggie Gyllenhaal plante un décor loin de notre imagination qui s'apparenterait aux lieux. Il lui suffit de quelques instants pour nous embarquer dans une enveloppe qui s'empare de notre aisance. Armé du compositeur Dickon Hinchliffe qui laisse planer une musique menaçante, un quelque chose de troublant s'impose. Tout comme un certain sentiment de doute et d'inquiétude. Quelque chose ne tourne pas rond et la réalisatrice ne cherche pas à nous le cacher. 

C'est ici, en pleine Méditerranée, que Leda (Olivia Colman), une professeure de littérature d'une quarantaine d'années, vient passer ses vacances. Cherchant le repos et la tranquillité, elle loue une maison pour l'occasion. Peu bavarde, elle semble pensive et n'hésite pas à instaurer un premier contact pesant avec ceux qui l'accueillent sur l'île. Mais sans grande surprise, son besoin de calme va être perturbé par la venue d'une famille, originaire du coin depuis des centaines d'années, quelque peu sauvage et bruyante. 

 

The Lost Daughter : photo, Olivia ColmanDes vacances tranquilles ? 

 

Et une femme, au milieu de cette grande bande, attire son attention : Nina (Dakota Johnson), une sublime jeune mère, qui ne cesse de se faire corriger par sa soeur Callie quant aux besoins de sa fille Elena. Cette intervention semble troubler Leda. Commence alors son étrange obsession pour Nina, qui lui rappelle sa propre maternité, faite de choix douloureux, de dureté et de culpabilité.

Cette obsession, Maggie Gyllenhaal va divinement la cadrer, offrant des plans fixes sur les visages de ses actrices, honorant un jeu qui passe par autre chose qu'un scénario superficiel. Les dialogues à gogo qui débordent ne semblent pas intéresser la cinéaste. Elle joue avec une mise en scène minimaliste certes, mais d'une grande profondeur et laisse Colman et Johnson se chercher du regard. Ce duo de mères qui se croisent fonctionne et nous touche.

Mais la rencontre entre les deux femmes ne promet rien de sain. Alors que Nina fait preuve d'inattention le temps de quelques minutes sur la plage, elle perd sa fille. Tout le monde se met à la chercher et c'est Leda qui va très vite retrouver Elena, perdue à quelques pas de ses parents, cherchant sa poupée. Jusque là, le geste du personnage d'Olivia Colman apparaît humain et noble. Mais après avoir remercié Leda, cela va de soi, Nina ne se doute pas un instant que la poupée de la petite est entre les mains de celle qui vient de lui ramener sa fille saine et sauve.

 

The Lost Daughter : photo, Dakota JohnsonUne mère dans sa plus grande vulnérabilité

 

Le spectateur se prend une gifle de culpabilité, témoin de ce vol qui empêche une enfant de faire ses nuits et vient perturber la sérénité de Nina, qui reçoit peu d'attention de son époux. Un noeud serre à la gorge, et on ne sait plus si l'attitude de Leda relève de la folie pure ou plutôt d'un geste désespéré... Mais ce mélange est aussi fou que divin.

Et c'est là qu'une psychose, parfaitement maitrisée par la caméra de la réalisatrice, nous embarque. Pourquoi ce geste qui, à première vue, semble perturbé ? Pourquoi un acte si cruel de la part d'une femme qui est elle-même mère ? C'est à ces questions que le film va répondre, en toute transparence. Au fil des minutes, Gyllenhaal dépeint le portrait de Leda, qui tente de mêler sa vie de mère, d'épouse et de future professeure de faculté. Un mélange qui ne semble guère lui convenir. Mais c'est avec beaucoup de patience et au compte-goutte que le film va finir par révéler le portrait d'une mère qui sort des sentiers battus.

 

The Lost Daughter : photo, Dakota JohnsonComplicité timide et confidences troublantes, de femme à femme

 

MAL DE MÈres, mal de femmes

Ce n'est que depuis peu que les femmes aux histoires qu'on laisse habituellement au placard ont droit à quelques oeuvres leur faisant honneur. On pense notamment à Pieces of a Woman, sorti également sur Netflix l'année dernière. À croire qu'il semble si difficile de proposer une image de la maternité autre que l'idéal imposé si grossièrement depuis des décennies. Mais jusque là, il a été rare de voir dans un rôle-titre une mère se revendiquant elle-même "contre-nature".

Dans The Lost Daughter, les portraits singuliers mais voisins de Nina et Leda se croisent, avec une grande habileté. De vraies problématiques sont posées, tout en finesse : celle de la responsabilité des mères, mais aussi celle des pères qui rouvre certains débats. Leda a elle-même quitté le foyer durant trois ans, laissant ses deux filles, à l'époque âgées de 5 et 7 ans, entre les mains de leur père.

Mais l'existence d'un malaise de société s'impose à nous, spectateurs. Il nous paraît monstrueux de voir une mère abandonner ses enfants. Pourtant de nombreux films ont su dépeindre des familles brisées par la fuite de la figure paternelle. Mais ce scénario semble si courant qu'il ne choque plus, ou presque.  

 

The Lost Daughter : photo, Jessie BuckleyJessie Buckley incarne Leda, lorsqu'elle était une jeune mère

 

Le long-métrage, qui a par ailleurs reçu il y a quelques mois le Prix du scénario à la Mostra de Venise, brise les tabous que l'on ose à peine traiter dans les discussions courantes, sans s'excuser, mais avec une grande délicatesse. L'abandon, l'adultère, la colère face aux enfants. Un vrai mille-feuille des interdits. Leda, qui nous semble en premier lieu tout bonnement perturbée, finit par nous toucher, car elle évoque une mère imparfaite, pourtant si humaine, bien que peu courante.

Avec de la bienveillance et des personnages d'une complexité mystérieuse, Maggie Gyllenhaal parvient à embarquer ses deux actrices dans une histoire d'une grande profondeur, sans la moindre fioriture et avec brio pour ses débuts derrière la caméra. 

The Lost Daughter est disponible sur Netflix depuis le 31 décembre 2021

 

The Lost Daughter : Affiche française

Résumé

Sur une île qui aurait tout d'un pur paradis, c'est finalement l'angoisse, le doute et une atmosphère pesante - le tout parfaitement quantifié par une Maggie Gyllenhaal en pleine maîtrise de son sujet - qui prennent le dessus. The Lost Daughter est un drame psychologique qui bouscule sans faute les codes de la maternité, nous offrant une Olivia Colman toujours impeccable et une Dakota Johnson épatante.

Autre avis Alexandre Janowiak
Olivia Colman est formidable dans The Lost Daughter, tout comme Jessie Buckley (la version plus jeune de son personnage), en mère débordée et perdue. Dommage cependant que Maggie Gyllenhaal n'arrive pas à tenir l'ensemble jusqu'au bout, son récit finissant par s'éterniser, voire ennuyer, après une première heure remarquable.
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commentaires
GTB
05/01/2022 à 19:22

@Ben01> Vous pouvez enchainer sur The Hand of God et Tick Tick Boom qui sont également excellents. Ou The Passing aussi. Beau dernier trimestre pour Netflix effectivement.

Sinon bien qu'imparfaite, cette première réalisation de Maggie Gyllenhaal vaut le détour. Sujet peu traité et casting à la hauteur de la tâche.

les troupes à Lilith
05/01/2022 à 17:16

mais qui vous dit que ce sont bien des femmes et des histoires de femmes dans le film?
l'audience va être rachitique independamment de la qualité du metrage vu le public visé ou convoité...

Jayjay
05/01/2022 à 13:10

Bon début mais le film ne tient pas la distance et je n'ai pas aimé la fausse piste... Sinon Olivia Colman est excellente oui.

Ben01
05/01/2022 à 11:46

Sublime film qu'on ne comprend que si l'on a des enfants. Les miens ont l'age des filles qu'elle abandonne.... donc autant dire que l'identification est totale!
Grande justesse du jeu d'actrice et d'acteur, Ed Harris est formidable.
J'ai enchainé, Power of the Dog, don't look up et celui-ci... netflix paraît bien redressée la barre!

Nounou
05/01/2022 à 11:26

Olivia Colman est touchante même si son geste est horrible .Personne ne parle de Ed Harris ,pourtant sublime ,et dont le rôle aurait mérité d’être étoffé , ce qui aurait enlevé certaines longueurs au film. Par contre même si j’ai adoré le film et Jessie Buckley dans le rôle d’Olivia jeune ,le sujet m’a profondément interpellé.je me rends compte que je ne supporte pas qu’une mère choisisse d’abandonner ses enfants

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