La Main de Dieu : critique napolitaine sur Netflix

Alexandre Janowiak | 15 décembre 2021 - MAJ : 15/12/2021 14:43
Alexandre Janowiak | 15 décembre 2021 - MAJ : 15/12/2021 14:43

Netflix ne cesse de grandir dans le paysage cinématographique avec de plus en plus de longs-métrages prestigieux à son actif. Parmi eux, le nouveau long-métrage du cinéaste italien Paolo Sorrentino : La Main de DieuRécompensé du Grand Prix du jury et du prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir pour Filippo Scotti à la Mostra de Venise 2021, le film est une oeuvre plus personnelle pour le réalisateur et peut-être sa plus réussie.

ONCE UPON A TIME... IN NAPOLI

À première vue, La Main de Dieu ressemble à n'importe quel film de Paolo Sorrentino. Passé le plan d'ouverture aérien sublime contemplant la ville de Naples, le spectateur est plongé dans un imaginaire baroque et mystérieux, où la splendide Patrizia rencontre dans une vieille bâtisse le fameux Monaciello (petit moine nain du folklore napolitain). La séquence est magnifique bien qu'étrangement dérangeante aussi, et ouvre surtout les portes d'une belle comédie italienne, au coeur d'une famille plus vraie que nature.

Autour d'un diner très théâtral, le long-métrage dévoile alors une famille haute en couleur : les Schisa. Une famille menée par les parents de l'adolescent Fabietto, avec le père Saverio, boute-en-train infidèle, mais aimant (le génial Toni Servillo), et la mère Maria, incapable de ne pas organiser des canulars à longueur de temps (la douce Teresa Saponangelo). Autour d'eux s'anime une galerie de personnages truculents, entre un oncle lié à la mafia, une grand-mère haineuse, une tante à tomber par terre (la fameuse Patrizia) ou encore un boiteux sympathique, mais ennuyeux qui ne peut parler qu'avec un electrolarynx.

 

La Main de Dieu : photoLa comedia d'elle bon vivant

 

Autant dire que Paolo Sorrentino s'en donne à coeur joie dans la première heure de La Main de Dieu. Les interactions entre les personnages s'enchainent, les rires éclatent devant les facéties des uns et des autres, les regards dévorent les formes des jolies femmes et les rêves de gloire grandissent dans les yeux de Fabietto (Filippo Scotti donc), son frère et son père quand Diego Maradona est annoncé pour rejoindre le club de Naples. On est en 1984, et la vie est aussi chaleureuse qu'une journée d'été sous le soleil italien.

Avec enthousiasme et exaltation, Paolo Sorrentino filme ses personnages comme autant de rêves, d'espoirs, au milieu de décors luxueux, de paysages merveilleux et d'ambiances divines. Sorrentino fait du Sorrentino quoi, dans une ambiance toujours aussi rêveuse, avec un regard sur les femmes toujours aussi ambigu (certes) et au coeur de situations excentriques toujours aussi felliniennes (ce casting costumé complètement lunaire).

 

La Main de Dieu : Photo Filippo Scotti, Teresa Saponangelo, Marlon Joubert, Toni ServilloUn canular que tout le monde va payer avec le sourire

 

la grande balada

Puis finalement, La Main de Dieu bascule soudainement. Paolo Sorrentio délaisse ses drôleries habituelles pour littéralement plonger dans une tragédie sombre, infiniment triste. Adieu les images clinquantes, adieu l'ironie si caractéristique de son cinéma... le cinéaste italien s'adonne au drame, duquel Fabietto a été sauvé de manière divine par Maradona. S'en suit alors le portrait bouleversant du jeune Fabietto, un portrait in fine de Paolo Sorrentino lui-même.

Le moyen pour le cinéaste de livrer alors son film le plus personnel, racontant avec introspection, les souvenirs déchirants le hantant chaque nuit, dans les ruelles calmes et apaisantes de Naples. Une errance presque sans but, où il va cumuler les rencontres salvatrices, les soutiens impérissables et les émois déchus ou inattendus, et explorer le sentiment de perte, de solitude, de désir.

 

La Main de Dieu : Photo Filippo ScottiL'humour laisse place à une belle mélancolie

 

D'une manière plus délicate, plus sage, plus contemplative, Paolo Sorrentino dévoile alors la naissance d'un amour en particulier : celui pour le cinéma. Comme il le cite dans son métrage, le légendaire Federico Fellini disait apparemment que "le cinéma ne sert à rien, mais ça distrait de la réalité, car la réalité est minable". Et il y a évidemment de ça derrière la vocation de Sorrentino, cette envie de couper au réel à travers le prisme du 7e art. Indiscutablement, le cinéma a été une échappatoire pour lui et une manière de trouver une liberté.

Et si La Main de Dieu est si singulier dans la carrière de Sorrentino et probablement l'un de ses plus beaux films (malgré son rythme flottant), c'est justement parce qu'il revisite avec pudeur et une étincelante beauté sa plus belle histoire : la sienne.

La Main de Dieu est disponible sur Netflix depuis le 15 décembre 2021 en France

 

La Main de Dieu : Affiche française

Résumé

Même si ses choix sont parfois déconcertants, Paolo Sorrentino touche avec La Main de Dieu en racontant avec poésie et une vraie maestria, la dramédie de la vie et comment le cinéma lui (nous) permet d'affronter un peu mieux la dure réalité entre amour, deuil et désir.

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Lecteurs

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commentaires
Ozymandias
16/07/2022 à 23:39

En accord avec votre critique, un joli film que j'ai bien apprécié. Merci encore pour la recommandation ;-).

GTB
16/12/2021 à 12:07

Un film d'une beauté formelle absolument sidérante, porté par une galerie de personnages haute en couleurs et le regard nostalgique de Sorrentino sur sa naissance en tant que cinéaste à Naples et ce qui l'a construit -notamment sur son rapport au féminin-. Rarement le réal aura été si efficace à magnifier les émotions.
Contrairement à ce que prétendent certains discours, Netflix offre une fois encore une très belle œuvre.

MystereK
15/12/2021 à 21:09

Un film magnifique que j'ai pu découvrir sur grand écran et que je me réjouis de revois dans quelques mois sur le petit. Etant originaire de la région, ce film me rappelle, dans un contexte plus pauvre et moins bourgeois, mes vacances en Campanie.

Lou
15/12/2021 à 15:21

Magnifique balade poétique dans la mémoire d'un grand cinéaste. L'Amarcord de Sorrentino. Après sa magnifique "Dolce Vita" qu'était La Grande Bellezza (son chef-d'oeuvre) le grand Paolo poursuit avec autant de virtuosité que de nostalgie son parcours Fellinien. Une première vision ne suffit pas à épuiser toutes les richesses de ce métrage. Je le reverrai assez rapidement. C'est la marque des oeuvres qui comptent et resteront. Après Roma, Mank, The Irishman, Beasts of No Nation, The Disciple ou Malcolm & Marie, Netflix, productrice, dispose déjà de très grands films à son catalogue.

GTB
15/12/2021 à 13:37

Tellement de le visionner celui-là! Je suis déjà plutôt client du cinéma de Sorrentino mais les trailers de Hand of God me l'ont particulièrement vendu. Ça semble beau à en crever, et suffisamment personnel dans les thématiques pour qu'il ait donné le meilleur de lui-même.

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