Tick, Tick… Boom ! : critique qui explose le musical sur Netflix

Antoine Desrues | 19 novembre 2021
Antoine Desrues | 19 novembre 2021

S'il est aujourd'hui connu dans le monde entier pour son travail de parolier chez Disney (Vaiana, Encanto), Lin-Manuel Miranda est avant tout un phénomène aux États-Unis, notamment grâce à sa comédie musicale multi-récompensée Hamilton. Pour la première fois, l'auteur passe derrière la caméra pour adapter un autre musical : Tick, Tick… Boom ! sur Netflix. Et la rencontre entre l'artiste et Jonathan Larson ne pouvait être plus logique.

Larson sans larsen

"Je manque de temps". Cette phrase, prononcée par Jonathan Larson dans une scène primordiale de Tick, Tick... Boom !, est peut-être la clé de voûte pour comprendre le premier passage à la réalisation de Lin-Manuel Miranda.

Le golden-boy de Broadway a justement utilisé cette même assertion comme ritournelle de sa comédie musicale Hamilton. Derrière sa relecture de l'histoire des fondateurs de l'Amérique, Miranda a toujours semblé obsédé par des personnages combattant les aiguilles de l'horloge, tels des Icare auxquels on a brûlé les ailes trop tôt.

Dès lors, l'artiste ne pouvait pas trouver meilleure chaussure à son pied qu'en adaptant la comédie musicale semi-autobiographique d'une de ses idoles : Jonathan Larson. Si Miranda a toujours assumé la filiation de son style avec celui de l'auteur du méga-succès Rent, l'histoire tragique de ce dernier s'accorde bien vite avec les thèmes chéris par le désormais cinéaste.

 

photo, Andrew GarfieldAndrew Garfield au sommet

 

À vrai dire, Tick, Tick... Boom ! est passionnant à plus d'un titre. Certes, on fait en premier lieu face à une comédie musicale moderne, inventive et bourrée d'envies, qu'il est aisé d'appréhender sans rien connaître de son contexte. Mais d'un autre côté, il est aussi possible de voir le film à rebours, telle une origin story déguisée d'un artiste qui éclot enfin du côté du septième art.

Comme le protagoniste l'évoque dans l'introduction du long-métrage, Tick, Tick, Boom ! est une œuvre hantée par la mort, par la Faucheuse qui emporte tout sur son passage, à commencer par les rêves inassouvis. Dans la peau de Jonathan Larson, Andrew Garfield transcrit à merveille cette nervosité qui frappe son personnage à l'approche de ses trente ans. L'acteur se donne complètement à ce désespoir, à cette course éperdue contre le temps, en particulier dans des séquences musicales où la sensibilité de Miranda rencontre celle de son modèle.

 

photo, Robin de JesusUn casting parfait

 

Si l'auteur d'Hamilton nous a habitués à une rythmique soutenue, notamment en piochant dans le hip-hop, il aborde les chansons de Larson avec la même énergie, profitant du découpage et de mouvements de caméra virtuoses pour éclater l'espace-temps dans un seul et même élan lyrique. On en veut pour preuve cette séquence entre rêve et réalité dans un appartement de luxe, où le montage parallèle relie les dimensions comme par magie.

Il y a d'ailleurs un équilibre touchant dans Tick, Tick... Boom !, qui adapte la minutie de sa mise en scène à un style parfois plus brut et improvisé. Un peu à la manière de La La Land, Miranda est à la recherche de l'accident, de ces moments d'authenticité en accord avec cette vie de Bohème défendue par Larson dans l'entièreté de son œuvre. Rent était une comédie musicale où l'amitié et la question de la précarité se mêlaient, avec pour toile de fond la crise du sida. Le réalisateur assume donc de revenir à la source de ce même sujet, mais avec la notion d'inspiration comme épée de Damoclès.

 

photo, Andrew Garfield"Everyone has AIDS !"

 

Rent l'argent

Le film ne nous le cache pas : à 35 ans, la veille de la première représentation de Rent, qui connaîtra un succès mondial, Jonathan Larson est mort d'un anévrisme de l'aorte. Ce couperet injuste est pour sûr au cœur de la démarche de Lin-Manuel Miranda. En réalité, on peut même y voir l'auto-analyse d'un artiste en plein état de culpabilité, tel un héritier qui se rend compte qu'il a eu plus de chance que son mentor.

Or, c'est là que le cinéaste impose sur l’œuvre de Larson un regard unique, parsemé des mêmes doutes que ceux de son personnage principal. En bref, Tick, Tick... Boom ! est un film qui a l'intelligence de poser des questions, plutôt que de leur chercher des réponses toutes faites. Tout en s'attardant de manière déchirante sur la quête de sens de l'artiste et de sa création, Miranda n'oublie jamais que la comédie musicale est avant tout un moyen merveilleux de croquer, par l'image et la musique, des êtres possédant des regards différents sur la vie. C'est d'ailleurs tout le parcours de Larson que de sortir de sa bulle romantique pour mieux comprendre ceux qui l'entourent.

 

photo, Andrew GarfieldNous après avoir vu le film

 

Ainsi, Tick, Tick... Boom ! aborde cette zone grise par la force d'un univers semi-éveillé et cotonneux, magnifié par l'utilisation de lentilles anamorphiques qui distordent les bords de l'écran, et engendrent de magnifiques nappes de lumière. Le rêve et le retour à la réalité ont-ils vraiment besoin d'apparaître dans cet ordre ? Peut-être pas, et c'est justement ce qui fait toute la beauté de ce film inspirant, où le point de vue passionné de Miranda lui permet de tirer le meilleur de ses comédiens (mention spéciale à Robin de Jesús et Vanessa Hudgens).

Mais surtout, là où l'adaptation filmique de Rent par Chris Columbus tombait dans la platitude extrême, le cinéaste parvient à pleinement embrasser et rendre justice au style si unique de Jonathan Larson. Plus qu'un hommage émouvant, Tick, Tick... Boom ! déploie une rythmique à la fois envoûtante et terrifiante, qui semble matérialiser cette peur de la mort par les va-et-vient permanents d'un montage qui ausculte nos regrets.

Alors que le film sous-tend la naissance d'un réalisateur à suivre, Lin-Manuel Miranda y trouve le moyen de transmettre au spectateur une certaine paix intérieure. Oui, il manquera toujours de temps, mais il pourra toujours utiliser au maximum celui qu'il possède. À ce sujet, si un projet d'adaptation d'Hamilton doit être ramené sur la table, on a maintenant la preuve que son auteur ne sera jamais mieux servi que par lui-même...

Tick, Tick... Boom ! est disponible sur Netflix depuis le 19 novembre 2021

 

affiche

Résumé

Beau à en pleurer et porté par l'interprétation sans faille d'Andrew Garfield, Tick, Tick... Boom ! est une grande réussite, qui confirme Lin-Manuel Miranda en artiste complet.

Autre avis Alexandre Janowiak
Tick, Tick... Boom ! trouve toute sa puissance au sein même de son chaos apparent, Lin Manuel Miranda plongeant dans l'esprit tumultueux et bouillant de Jonathan Larson pour mieux livrer une lettre d'amour passionnée sur l'art, l'obsession et la créativité. Un très grand premier film bouleversant, porté par un Andrew Garfield en état de grâce.
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Lecteurs

(3.7)

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commentaires
Jesse Pinkman
23/11/2021 à 18:11

Cela aurait été étonnant pour moi que le film soit mauvais (le grand Lin Manuel Miranda derrière). Avec Andrew Garfield (Hacksaw Ridge, Silence, Under The Silver Lake), qui est pour moi l'un des meilleurs acteurs de sa génération. Et dont la carrière Post Spider-Man lui a fait un GRAND bien.
Mais je dois dire que je ne m'attendais pas à être aussi toucher par cette œuvre.

C'est une véritable lettre d'amour aux fans de théâtre/Musical (ce dont je suis). Mais qui raconte aussi une passion dévorante, jusqu'au sacrifice de soi (les rapports avec sa petite amie prennent cher, financièrement c'est tendu, etc).

Pour réaliser notre passion, certains/e se plonge corps et âme, et c'est là que le destin tragique de Jonathan Larson bouleverse. Le film est donc tout ça à la fois, mais aussi un regard sur une époque (avoir 30 ans dans les années 90's). Même si là-dessus, je suis partiellement d'accord, pour moi les doutes et les peurs du personnage sont bien réels et vrais pour TOUTE personne qui va sur cette tranche d'âge, et plus.

C'est justement vers 30 ans qu'on commence à faire les tours de... Beaucoup de questions sur ce qu'on a pu accomplir où fera. Bien entendu, le fait d'être dans les 90's permet notamment d'aborder avec pertinence la crise sur le SIDA. Certes ce n'est pas le sujet, mais il est bel et bien présent.

L'auteur a su décrire cette crise que traverser non seulement c'est ami, mais aussi toutes cette génération. Et c'est là que brille le savoir-faire de Lin Manuel Miranda, exposé tout cela, sans jamais perdre une once d'énergie et de positivité (même si le film est vraiment poignant sur bien des scènes, dont une scène finale qui nous hante bien après).

Les chorégraphies sont superbes, les textes magnifiques, la mise en scène explose l'inventivité du personnage. Mais tout cela ne serait rien sans un casting au diapason. Il faut le dire, Andrew Garfield trouve clairement l'un de ces meilleurs rôles au cinéma (sa perf que je préfère, et celui qui la donner au théâtre avec "Angels In America" de Tony Kushner, avec l'immense Nathan Lane. Tous deux gagnants d'un Tony Awards).

L'acteur donne tout, aussi bien musicalement (surprenant), que physiquement. Il devient vraiment Jonathan Larson (gestes, mimiques, positions), et quelle énergie. On ressent tout ce qu'il peut traverser, notamment la frustration, que beaucoup d'auteur vive encore (que ça soit pour monter un petit ou un gros spectacle).

Le reste du casting est tout aussi fabuleux, à commencer par Robin de Jesús (Camp, The Boys in The Band) acteur des planches pour lequel je veux voir bien plus souvent sur nos écrans. Une lumière qui irradie le film a chaque scène (dont 2 séquences les plus bouleversantes du long métrage).

Ou encore Vanessa Hudgens, Judith Light ou les apparitions de Bradley Whitford qui rentre dans la peau d'un des plus grands de Broadway (un Dieu ^^).
Mais j’ai été surtout surpris par l'actrice Alexandra Shipp (Love, Simon, X-Men Apocalypse/Dark Phoenix). Qui dévoile une véritable force dans son personnage, mais c'est sa douceur et sa compréhension qui l'emporte.

Donc oui, en résumé c'est un GRAND film, Musical oui, mais pas que. Et c'est surtout là l'une des plus grandes forces du métrage. Un tel mélange de genre, mis en scène avec générosité et jouer avec la même intensité.

Clairement mon film favoris de l'année, a ma grande surprise. Mais il a réussi à me toucher et m'émouvoir sur bien des choses. Et le fait que personnellement, certaines choses soient à ce point proche de ma vie doit aussi y être pour quelque chose. Bref un film à voir et revoir, pour moi c'est un classique instantané.

Une œuvre qui avait était écrit avec passion servie par des gens passionnés. Cela donne forcément quelque chose d'unique, de touchant. Qui va non seulement au-delà de son genre, mais parle finalement aussi bien aux initiés qu'au néophyte. Car l'horloge de la vie, Tick, tick, tick... nous l'entendons tous approcher à grands pas.

5/5

ps : Essayer de voir Angels in America, l'une des œuvres les plus importantes qui a été faite sur la crise du SIDA (depuis 3 décennie). Plus réussi que la version d'HBO (déjà superbe) avec un cast divin, notamment Nathan Lane et Andrew Garfield.

Ahtssé
22/11/2021 à 07:12

Tombé dessus par accident (ou curiosité) je ne connaissais rien de cet artiste. Musicalement, on sent l'influence qu'il a pu avoir sur les décennies suivantes. Aujourd'hui ça ne fait pas le même effet. Il y a un côté comédie musicale réchauffé.
Il y a des moments musicaux captivants, bien que trop rare. Ça tire en longueur. L'impression de voir la même chose se développer sur 2h (c'est le cas d'ailleurs).
Le casting est honnête, Garfield en fait beaucoup (rire et pleure exagéré) trop mais on dirait bien que le personnage était plein de vie et exubérant.
C'était plus facile de décrocher que de suivre la création de la pièce.
Je ne le conseillerais pas forcément même si ce n'est pas désagréable face aux horreurs qui sortent chaque semaine.

Kelso
19/11/2021 à 23:58

Bon film, voire très bon, mais j'ai quand même eu du mal à ressentir de l'émotion, pourtant j'ai la larme facile devant des comédies dramatiques par exemple, mais ici je suis resté un peu en dehors malgré que j'ai beaucoup aimé le film. Sinon pas mal de bonnes chansons je trouve et la réalisation est plutôt bonne. Pour rebondir sur le com précédent sur Lalaland, je n'ai jamais compris le succès de ce film, pour moi tous les morceaux se ressemblaient et je n'ai pas du tout accroché à l'histoire, je n'ai même pas fini le film, pour moi Tick tick boom est meilleur dans le genre, comme quoi tout est dans le ressenti de la personne qui visionne un film et on aura toujours des avis complètement différents.

Leozelast
19/11/2021 à 23:25

Dommage que la partition musicale soit aussi pauvre. Dommage que les acteurs et actrices soient quasiment toutes et tous en totale roue libre… Revoyez plutôt Lalaland c’est autrement plus virtuose. Damien Chazelle peut dormir tranquille, cette crétinerie d’une niaiserie confondante loupant tous ses enchaînements par la faute d’un montage sans génie devrait rapidement sombrer dans l’oubli.

GTB
19/11/2021 à 16:38

Numberz> Il n'y avait pas matière à vous sentir offensé -l'intention était juste la note d'humour-. Ne tombez pas dans les réponses pathétiques.

Numberz
19/11/2021 à 15:45

La vache, on voit les types qui ont le temps de regarder Netflix toute la journée et qui répondent d'une manière bien pédante.

Merci les pat'ons

Cinégood
19/11/2021 à 15:31

Pour ajouter à GTB, il y a même la possibilité de mettre dans sa liste les films et séries à venir pour ne pas les louper lors de leur arrivée sur Netflix.
Je sais, c'est dingue !

GTB
19/11/2021 à 15:07

Numberz> et la catégorie "bons films" serait une catégorie bons films...selon qui? Si c'est selon la presse et les awards, il y a déjà :).
Sinon, pro tips: il y a une option inédite et bien cachée qui permet d'ajouter films/séries/docu à une sorte de liste (que s'appelerio Ma Liste) à laquelle on peut accéder quand on veut. Ça permet, par exemple, d'y mettre un bon film qu'on a pas le temps de voir maintenant mais qu'on souhaite mater plus tard. On peut y mettre 500 unités (une série de 9 saison = 1 unité)
Ne me remerciez pas, c'est cadeau!

Bon, heureux de constater que ce Tick Tick Boom tient ses promesses! Je mate ça ce soir. Beaucoup de bonnes choses en cette fin d'année pour le N rouge.

Numberz
19/11/2021 à 14:06

Il devrait y avoir une catégorie sur Netflix "nos vrais bons films sont ici". Parce que quand tu n'as pas le temps de regarder une oeuvre telle qu'ici, tu oublies que c'est sur Netflix. Et donc tu oublies l'œuvre. C'est juste dommage de passer à côté de ça.

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