Les Éternels : critique des nouveaux Avengers de Marvel

Geoffrey Crété | 30 septembre 2022 - MAJ : 14/12/2023 14:12
Geoffrey Crété | 30 septembre 2022 - MAJ : 14/12/2023 14:12

Marvel accueille une nouvelle équipe de super-héros et surtout super-héroïnes : Les Éternels, qui devraient rivaliser avec les Avengers vu la somme de leurs pouvoirs cosmiques. Après Black Widow et Shang-Chi et la légende des Dix Anneaux, sans oublier les séries WandaVision, Falcon et le Soldat de l'Hiver et Loki, c'est une nouvelle grande porte ouverte par le MCU, pour sa Phase 4 post-Avengers : Infinity War et Endgame. Et avec la réalisatrice oscarisée Chloé Zhao (Nomadland, The Rider), et un casting inattendu (Gemma Chan, Salma Hayek, Angelina Jolie, Richard Madden, Brian Tyree Henry), Les Éternels avait de quoi frapper fort. Et c'est presque le cas.

Retrouvez le classement de tous les Marvel, du pire au meilleur.

marvel PHASE 4.5

La Phase 4 a peut-être commencé dans les faits, mais en réalité, c'est du quasi-surplace depuis la fin de la saga de l'Infini (le nom officiel donné aux trois premières Phases). Les séries WandaVision, Falcon et le Soldat de l'hiver et Loki ont exploré des personnages connus, et raccroché les wagons pour teaser les films Doctor Strange 2, Captain America 4 et Ant-Man 3. Au cinéma, Black Widow a rouvert une porte magnifiquement inutile sur le passé du MCU. Seul Shang-Chi a fait figure de pas en avant avec un nouveau personnage, dont le caractère très terrien pouvait sembler bien futile après la bataille galactique de Thanos.

 

 

Les Éternels avait donc tout d'un vrai redémarrage pour la galaxie Marvel. C'est le premier film depuis Les Gardiens de la galaxie à présenter une flopée de nouveaux personnages d'un coup, avec ici dix visages sortis des étoiles. C'est le premier également à se passer de liens directs avec les Avengers et compagnie, puisque le maillon Thanos n'a plus à être rattaché. Après la guerre cosmique contre le Titan fou, c'était aussi la promesse d'une histoire aux dimensions spectaculaires, dans le temps comme dans l'espace, puisque les Éternels sont une espèce venue d'ailleurs, immortelle et surpuissante.

 

photoEternals : Assemble

 

Dernière raison d'y croire : le choix de Chloe Zhao pour diriger le navire à 200 millions de dollars. Marvel avait déjà pioché dans le cinéma indépendant ou les auteurs (Shane Black, Jon Watts, Ryan Coogler, James Gunn, Taiki Waititi), mais jamais avec un nom si remarqué et inattendu. D'autant plus que c'est seulement la deuxième fois, après Black Widow, qu'une réalisatrice gère en solo un blockbuster Marvel (Captain Marvel a été co-réalisé par Anna Boden et Ryan Fleck). Que la réalisatrice ait décroché deux oscars pour Nomadland, avant la sortie des Éternels puisque la pandémie l'a repoussé, a été le clou du spectacle.

Les étoiles semblaient alignées, et Les Éternels parvient à avoir une couleur particulière, malgré l'énorme machinerie Disney. La formule Marvel est là, que ce soit dans le groupe de personnages (rassembler une énième famille dysfonctionnelle), l'intrigue (sauver la Terre, avec quelques surprises) ou le teasing programmé (les néophytes devront aller enquêter sur Google à la fin du film). Mais le film a un petit quelque chose de presque inédit chez Marvel : l'émotion, et l'ambition.

 

photoCréatures célestes (littéralement)

 

les Éternels de la galaxie

Inutile d'espérer que ces Eternels réinventent la formule Marvel désormais gravée dans les tables de la loi hollywoodienne. Ici comme à peu près partout, il sera question de réunir la clique, accepter les différences des uns et des autres, comprendre la menace, découvrir ce qui se cache réellement derrière, réciter quelques lourdes leçons de vie, se rappeler le sens de l'amour (platonique, mais pas que), et entendre quelques machins en CGI plus ou moins laids teaser la prochaine aventure. Quiconque a vu quelques films/épisodes du MCU sera en terrain très familier. Et à ce stade, exiger autre chose d'un Marvel relève d'un degré de candide cinéphilie quasi psychiatrique.

Mais Les Éternels trouve sa force dans son plus gros pari, précisément inédit jusque là : dix nouveaux personnages d'un coup. Le scénario co-écrit par Chloé Zhao, Patrick Burleigh, Kaz Firpo et Ryan Firpo (quatre plumes non familières du MCU) donne instantanément vie à cette bande de mercenaires cosmiques, chose qui semble presque miraculeuse vu comme Marvel a régulièrement eu du mal à gérer quelques personnages. L'intrigue est certes centrée sur Sersi et Ikaris, mais tout le monde trouve un rayon de lumière au fil de l'aventure, grâce à un équilibre assumé : les personnages sont écrits par petites touches, le plus souvent dans de courts dialogues, ou des silences lourds de sens.

 

Photo Kumail Nanjiani, Lia McHugh, Gemma Chan, Richard Madden, Angelina Jolie, Ma Dong-SeokBande à part

 

Dans les meilleurs moments, il y a un peu de la magie des Gardiens de la galaxie, où James Gunn caractérisait ses personnages secondaires en quelques touches. Il suffit parfois d'un silence, d'un regard, d'une plaisanterie, d'une crise de foi ou de larmes, pour que ces Éternels prennent vie. Presque tous et toutes ont une trajectoire claire, un conflit interne et une bataille à mener, et même si le cahier des charges pose vite des limites, il y a suffisamment de détails pour que cette bande existe à l'écran. Comparé à Avengers (centré sur six personnages dont la moitié avait eu droit à des films solos) ou les problèmes de Justice League (peu importe la version), c'est une réussite remarquable.

Le choix des acteurs et actrices y est évidemment pour beaucoup, et permet de rééquilibrer ce rush narratif obligatoire. Née pour incarner une déesse, Angelina Jolie en impose même dans un coin sombre et silencieux de l'image. Dans la bataille des montagnes de charisme, Richard Madden rivalise avec elle, avec la même férocité silencieuse. Et Lauren Ridloff, Barry Keoghan et Gemma Chan sortent eux aussi du lot.

  Photo Angelina JolieEt Dieu créa Angelina Jolie

 

horizons lointains

Le sujet de la liberté réelle des cinéastes chez Marvel a de quoi remettre en question l'héritage d'Isaac Newton. Mais même si Les Éternels est inexorablement bloqué dans une case, il y a une lumière spéciale. C'est certainement la première fois qu'une aventure Marvel filme autant d'extérieurs et d'horizons dégagés, avec une soif de matières brutes (des roches, du sable, de l'eau, du bois). Il y a bien quelques étapes classiques, notamment à Londres, mais le film s'échappe aussitôt pour respirer dans des espaces ouverts.

Que ces décors soient réels ou incrustés n'est même pas la question, d'autant que le rendu à l'image est plus que réussi. Après des années de béton et verre, de centres-villes banals et d'intérieurs dignes de mauvaises sitcoms, Chloé Zhao ouvre en grand les portes du monde. Pour la première fois, la planète Terre existe, dans ses grandes dimensions, à travers le temps et l'espace - le scénario passe par la Mésopotamie et Babylone, les forêts et les déserts, et le climax ne se déroule pas dans une métropole, alléluia. Entre les paysages urbains surexploités par Marvel et l'imaginaire galactique 100% CGI, il y a donc Les Éternels, qui occupe une autre place.

 

photo, Gemma Chan, Richard MaddenMésopoplus-trop-amis

 

Malgré la présence d'un directeur de la photographie qui fait partie des meubles chez Marvel (Ben Davis, déjà sur Avengers : L'Ere d'Ultron, Les Gardiens de la Galaxie, Doctor Strange et Captain Marvel), Chloé Zhao s'accroche tant bien que mal à son cinéma. Dans les moments les plus superficiels, c'est avec un rayon de soleil qui dessine les silhouettes des personnages, ou un flashback digne d'une publicité de sous-Terrence Malick. Dans les moments plus forts, c'est dans sa manière de longuement et simplement filmer le visage des acteurs, et s'attarder sur leurs silences et larmes.

Autre miracle à l'échelle du MCU : les scènes d'action sont claires et limpides. Pas de surdécoupage, de caméra tremblotante et de mouvements artificiellement gonflés par 15 cut à la seconde. Le film a parfois du mal à véritablement exploiter et harmoniser les pouvoirs des personnages (notamment entre Gilgamesh, Thena et Kingo), mais les affrontements sont suffisamment variés, autant dans les décors que les enjeux, pour remplir la mission. Sans génie, mais sans fausse note - ce qui relève d'une joie évidente après des trucs comme Black Widow, Captain Marvel ou Ant-Man et la Guêpe. Et jamais Chloé Zhao n'oublie d'inscrire ces entités surpuissantes dans l'immensité du monde, grâce à des paysages captivants.

 

Photo, Richard MaddenStark-killer

 

éternelmarvel

Le vrai ennemi des Éternels est finalement son propre reflet, parfois déformé entre les obligations contractuelles d'un univers étendu archi-codé, et les ambitions artistiques. C'est d'autant plus évident que le film s'étire entre les grandes sphères cosmiques et les soubresauts intimes des personnages, créant parfois une tension extrême, dans le mauvais sens.

La réalisatrice traîne ainsi derrière elle une semi-remorque d'obligations. La première et la pire : l'humour, globalement affreux. Regarder des demi-dieux sortir des blagues entre deux discours sur le cosmos est en soi une vaste blague, et le film souffre de cette obligation d'humaniser les super-héros avec l'humour de tonton Jacky. Mention spéciale au personnage de Kingo, incarné par Kumail Nanjiani, qui est un énorme ratage à tous les niveaux, et amène avec lui un des pires seconds rôles du MCU. Quand un des personnages se prend un pain dans la tronche qui met fin à son grand et abominable discours digne de Fast & Furious, difficile de ne pas se dire que c'est lourd de sens.

Même chose du côté du teasing puissance 12, avec un épilogue en trois actes qui prépare de prochains chapitres majeurs du MCU. L'effet est désormais trop familier pour retrouver la magie d'hier, et le rendu plus que douteux de certaines choses à l'écran achève d'en faire une conclusion moyennement satisfaisante.

 

photo, Kumail NanjianiSuper-pouvoir de tête à claques

 

Les Éternels tente pourtant des choses. Chloé Zhao et ses co-scénaristes essayent de dynamiser la formule, notamment avec une construction autour de flashbacks, et quelques événements moins gentillets que dans le MCU jusque là. À défaut de reprendre la folie arc-en-ciel de Jack Kirby, qui a créé ces personnages, le film installe la mythologie cosmique des héros dans des effets dorés, avec quelques images bien plus kitsch (et donc, intéressantes) que la moyenne du genre.

Avec sa première scène de "sexe", son premier super-héros gay, sa première super-héroïne sourde, et son casting diversifié, Les Éternels sera inévitablement un aimant à commentaire-connerie, avec un triple bingo pour ceux qui placeront wokisme, benetton et quotas. Alors que le film est plus simple et pur : la diversité des corps et visages des Éternels est une évidence pour cette équipe d'immortels chargée de protéger la Terre, qui se doit de ressembler à un échantillon de l'humanité.

 

 

Chloé Zhao les filme ainsi, et les meilleures scènes sont celles où elle resserre le scope sur des duos (Sersi et Irakis, Druig et Makkari, Thena et Gilgamesh, Ajak et Ikaris). C'est dans ces moments terre-à-terre que la magie cosmique des Éternels fonctionne. Et rappelle que la machine de guerre Marvel n'est jamais aussi fabuleuse que lorsqu'elle ne néglige pas le plus important : des histoires, des personnages, voire quelques larmes.

 

Affiche

Résumé

Les Éternels ne réinvente pas la formule Marvel, mais en tire certainement le meilleur à ce stade : une nouvelle page ambitieuse et excitante, grâce à quelques paris risqués (la dimension cosmique, beaucoup de nouveaux personnages), et des élans émotionnels. Avec en plus la sensation d'un univers qui arrête de tourner en rond, en ouvrant véritablement de nouvelles portes.

Autre avis Simon Riaux
Le cinéma faussement aride de Zhao se transforme ici en véritable désert, aussi déprimant lors de ses (rares) empoignades désaturées que lors de ses interminables dialogues désincarnés. Malgré de cosmiques ambitions, le récit s'évapore, la faute à une absence d'enjeu et de maîtrise qui exsude de chaque scène, jusqu'à un final au goût de cendres.
Autre avis Antoine Desrues
Les Éternels est un film tristement bicéphale, où les ambitions de Chloé Zhao se prennent en permanence le mur du cahier des charges Marvel. A l'instar de sa mise en scène épurée mais piégée par un montage trop sec, le film ne décolle jamais, entre une dimension cosmique timide, et un intimisme jamais pleinement approfondi. Une petite déception.
Autre avis Arnold Petit
Malgré ses ambitions cosmiques et une émotion sincère, que Chloé Zhao parvient à capturer par petites touches, Eternals se retrouve incapable de conserver la richesse de la mythologie de Jack Kirby ou de simplement raconter une histoire, écrasé par le blockbuster marvellien dans lequel il s'inscrit.
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Lecteurs

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commentaires
Nicolas20
16/02/2024 à 08:18

Totalement d’accord avec ton analyse Geoffrey .Depuis la sortie du film en 2022, je continue de le regarder régulièrement et continue de le décortiquer. Et j’écris ce commentaire en février 2024. L’attente de la suite est un supplice . Aucun autre film Marvel ne me plaît depuis. Enfin je continue de regarder la bande annonce du film , oui oui , dont la musique et l’esthétique que l’on retrouve dans le film m’avait complètement embarqué et ferré au fer rouge . Vite la suite !

Samtu
05/03/2023 à 14:26

Succession d'incohérences scénaristiques, explications ad hoc pour justifier un scénario sans surprises, des monstres avec des grandes dents (très original), des personnages peu travaillés (pas le temps, il faut de l'action), des invraisemblances dépassant largement le cadre d'un film de super-héros, une image lisse et sans saveur...
Mouaif. Du Marvel un peu insipide.
Notons au passage une espèce de resucée d'un superman au rabais et un Flash version femme... Marvel a plus souvent puisé son inspiration chez DC Comics que l'inverse, et le démontre une fois encore ici.

J'ai attendu qu'il se passe un truc intéressant, puis finalement c'était déjà la fin du film. Sûrement très plaisant pour les adolescents.
Un jour, peut-être, Marvel remontera dans mon estime. Enfin autant que Disney le permettra...

Tom’s
03/10/2022 à 10:13

Lauren Ridloff a un charisme de dingue ! Envi de voir un film dont elle sera le perso principal. Un film dont le scénario un truc à suspense utiliserait sa surdité Comme un atout.. ça ou autre chose. Si j’étais scénariste .. lol c’est juste un feeling .

raconte
02/10/2022 à 07:41

Super réalisation avec des empoignades farouches des dialogues incarnés. Le récit nous transporte avec ses ambitions cosmiques. Quelle matrise ! jusqu'à la fin !

Aiden R
02/10/2022 à 07:32

Eh bien je n'ai rien d'autre à dire que je suis d'accord avec cette critique sur tous les points. Très belle façon de capturer en mots l'intérêt pour ce film, ses qualités et sa distinction. Une perle.

Flash
01/10/2022 à 10:43

Très bien ces éternels et puis un film qui commence avec en bande son du Pink Floyd et ce termine avec du Foreigner ne peut pas être mauvais.

Hey wah
01/10/2022 à 01:20

+ 1
un des meilleurs Marvel, de très loin.
Quelques défauts, mais une véritable ampleur mythologique.
Au ciné, l'apparition du visage du Céleste faisait vraiment se sentir tout petit.

j en prendrais pour 1 d
01/10/2022 à 00:37

Un des meilleurs Marvel, une bombe!

Kyle Reese
30/09/2022 à 21:02

Un des meilleurs Marvel à ma grande surprise.
C'est d'abord très beau, les persos sont intéressants et les acteurs vraiment concernés. L'humour est bien dosé. Mais surtout l'histoire est d'une grande ampleur avec de gros enjeux et un manichéisme dans son ensemble mis au placard. Avec une vrai émotions et un climax absolument magnifique, j'ai kiffé. Je ne m'attendais pas à ça, Angelina Joli joue très bien, j'aurai aimé découvrir le film au ciné.

Ash77
12/02/2022 à 21:39

Étonné par ce film. Les premières minutes m'ont plutôt refroidi, puis petit à petit je me suis pris au jeu et finalement j'ai beaucoup apprécié. Certes le film cumule plusieurs défauts (les coupures entre présent et passé ne sont pas bien agencées, les monstres sont terriblement moches digne d'un jeu vidéo...) mais j'ai apprécié les personnages et l'histoire plus complexe qu'il y paraît. Un bon cru pour Marvel.

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