Illusions perdues : critique d'une passionnante désillusion

Gaël Delachapelle | 21 février 2023 - MAJ : 22/02/2023 10:03
Gaël Delachapelle | 21 février 2023 - MAJ : 22/02/2023 10:03

Après Quand J'étais Chanteur et À l'Origine, le cinéaste Xavier Giannoli s’attaque à un exercice périlleux : adapter Illusions perdues, roman-monstre d’Honoré de Balzac qui s’inscrit dans Études de mœurs de sa Comédie Humaine. Un projet de longue date pour le réalisateur de L'Apparition, qui devient à l’écran une fresque historique dense et ambitieuse, reposant sur les frêles épaules du jeune et talentueux Benjamin Voisin, entouré d’un casting cinq étoiles prestigieux. Un contrat Honoré ?

Quand J’étais Journaliste

C’est à l’âge de 20 ans, lorsqu’il est étudiant en lettres sur les bancs de la Sorbonne à Paris, que Xavier Giannoli découvre le célèbre roman d’Honoré de Balzac, dont il envisage déjà l’adaptation au cinéma, tant l’écriture de l’auteur lui paraît déjà hautement cinématographique dans la précision chirurgicale de sa description du Paris du XIXe siècle. Mais le cinéaste ne veut pas se contenter de transposer l’œuvre de manière brute à l’écran. Il décide alors de se concentrer uniquement sur la deuxième partie du roman, relatant l’ascension de Lucien de Rubempré, jeune poète qui quitte sa province natale pour monter à la capitale française avec de grandes espérances.

Autant dire qu’en s’attelant à l’adaptation d’un pavé littéraire aussi imposant, Xavier Giannoli se lançait dans un défi colossal qui justifie largement son choix de se concentrer sur la période parisienne de son personnage principal. Et de ce point de vue, autant dire que la promesse est plus que tenue.

 

Photo Benjamin VoisinLe baptême de la cruauté 

 

Affichant plus de 2h30 à son compteur, Illusions perdues impressionne de par sa densité narrative admirablement bien gérée, portée par la mise en scène fluide et tout en mouvement du cinéaste, rythmée au son des morceaux de musiques classiques qui viennent ponctuer et ancrer le récit dans son époque, entre le concerto pour 4 pianos de Bach et le Rondeau des Indes Galantes de Rameau. 

Giannoli construit alors sa mise en scène comme celle d’un opéra en mouvement, suivant les pas de son jeune poète qui erre dans l’envers du décor du Paris de la Restauration, magnifié par un travail de reconstitution qui relève tout simplement de l’orfèvrerie. Un Paris qui nous émerveille, le cinéaste épousant le regard naïf de son héros, avant de se transformer en un terrifiant théâtre des cruautés, servi par un parterre de comédiens de haute volée.

 

photo, Salomé DewaelsAh Paris !

 

Génération Désenchantée

Tout d’abord, il est difficile d’évoquer le casting d'Illusions perdues sans s’attarder sur la performance de son comédien principal, Benjamin Voisin, révélé notamment dans La Dernière Vie de Simon, mais surtout dans Été 85 de François Ozon, en 2020. Et il ne fait aucun doute que le jeune acteur trouve ici son premier grand rôle, dont le choix de casting résonnait comme "une évidence de cinéma", selon les propos du réalisateur.

Omniprésent dans chaque plan du long-métrage qui relate à la fois l’ascension et la chute de son personnage, Benjamin Voisin incarne un Rubempré moderne, dont la candeur et l’innocence rendent son personnage tantôt attachant, tantôt agaçant, ce qui sied parfaitement à l’évolution du jeune poète vers son statut d’anti-héros. Le fait que Giannoli cite Le Loup de Wall Street comme l’une de ses références est, à ce titre, assez révélateur, tant l’égarement de Rubempré dans l’opulence du capitalisme que dénonce le cinéaste (à partir des mots de Balzac) n’est pas sans rappeler le personnage incarné par Leonardo DiCaprio dans le film de Martin Scorsese.

Par ailleurs, le genre du film de gangsters n’est jamais très loin, à l’image de l’amitié entre Rubempré et Etienne Lousteau (incarné par un Vincent Lacoste délicieusement diabolique), figure de mentor qui lui sert d’abord de guide dans l’enfer des coulisses de ce monde qui ne jure que par le profit et les faux-semblants, avant de presque devenir l’antagoniste du métrage. Si le duo avec Lacoste fonctionne parfaitement à l’écran, oscillant entre l’humour et la trahison, l’acteur principal partage une alchimie évidente avec à peu près chaque comédien de cette distribution de grands noms.

 

photo, Benjamin Voisin, Vincent LacosteUne amitié n'est pas toujours faite pour durer 

 

Et ce que ce soit dans le triangle amoureux entre Cécile de France et Salomé Dewaels, qui donne au long-métrage tout son romantisme, ou dans ses échanges passionnés avec un monstre comme Gérard Depardieu, qui semble être né pour incarner l’éditeur Dauriat (on n’avait pas vu l’acteur aussi inspiré depuis bien longtemps). Le plus bel ajout de Giannoli, dans son travail d’adaptation, est sans aucun doute le personnage fictif de l’écrivain Nathan d’Anastazio, incarné par l’excellent Xavier Dolan.

Condensant deux personnages du roman en un, à savoir le journaliste Raoul Nathan et l’écrivain Daniel d’Arthez (ce dernier étant volontairement absent de l’adaptation), le personnage incarne à la fois la vertu et la conscience de Rubempré, servant également de narrateur omniscient au récit, par le biais d’une voix-off omniprésente dans le long-métrage. Une qualité qui se retourne parfois contre cette adaptation aussi ambitieuse qu'imparfaite.

 

photo, Xavier DolanUn Xavier Dolan impérial (et sans accent)

 

La fin d’une illusion

Car non, Illusions perdues n’est pas une adaptation sans défauts du roman de Balzac, parce qu'il était tout simplement impossible de faire mieux que la fresque populaire et ambitieuse qui en résulte. Le pari relevait du suicide sur le papier, au point que le cinéaste était bien obligé de prendre certaines libertés pour y parvenir.

 

Illusions perdues : photo, Benjamin Voisin, Cécile de FranceL'amour est dans l'herbe

 

Et si on ne peut être qu’admiratif face à la densité narrative du long-métrage, on sent bien que le texte de Balzac, aussi visionnaire et actuel soit-il dans son portrait du journalisme et de ses dérives capitalistes, encombre parfois la mise en scène de Giannoli.

Aussi soignée soit-elle, elle est parfois un peu figée, voire désincarnée, paradoxalement à sa propreté académique. Rien qui n’empêche toutefois le cinéaste de livrer avec Illusions perdues l'un de ses films les plus aboutis, à travers une fresque historique et populaire à l’ambition démesurée, devant laquelle le récent Eiffel de Martin Bourboulon fait franchement pâle figure.

 

Affiche française

Résumé

En adaptant avec brio le roman-fleuve d’Honoré de Balzac, Xavier Giannoli signe avec Illusions perdues une fresque ambitieuse et populaire qui résonne comme l’un de ses films les plus aboutis. Un théâtre de faux-semblants aussi cruel que jouissif, porté par une pléthore d'excellents comédiens, autour d'un éblouissant Benjamin Voisin.

Autre avis Alexandre Janowiak
Xavier Giannoli livre une prodigieuse tragédie, résonant à merveille avec le monde d'aujourd'hui, avec son Illusions Perdues, sorte de Barry Lyndon français avec son jeune poète dont l'ambition l'aveuglera des désillusions qui l'attendent.
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Lecteurs

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commentaires
Flo
21/12/2023 à 16:40

L’élégiaque Xavier Giannoli adapte ce Balzac au bon moment…
Celui où le cinéma français est en demande de grosses productions patrimoniales pour rivaliser avec Hollywood et les plateformes, mais sans le côté empesé. En somme, des gus en costumes mais qui ont la tchatche vigoureuse, un peu comme le « Ridicule » de Patrice Leconte (carton à l’époque).
Avec aussi un heureux mélange d’acteurs, entre les vieux de la vieille, les confirmés venus d’horizons divers, les jeunes confirmés (Vincent Lacoste encore en intronisateur désabusé après « Première année »), et les tous nouveaux (Benjamin Voisin et Salomé Dewaels). Sans compter les surprises, intégrées d’une façon fluide – Xavier Dolan profite qu’il soit un peu extérieur au cinéma français, pour son rôle de témoin soucieux.
Succès évident, même en période de pass sanitaire – voir sur grand écran un fourmillements de corps partout, dans de belles couleurs chaudes, ça a aussi porté chance à « Babylon » (sauf dans son pays, les USA).
Succès critique aussi pour son classicisme sans académisme, et pour son propos intemporel sur l’argent, grand maître du journalisme d’opinion. Et la façon dont on peut vendre gloire et esprit, les dénaturer pour grappiller du vent – de toute façon, le titre résume tout, puis le film fait la démonstration implacable.

Adan
22/02/2023 à 08:50

En tentant d adapter le roman-fleuve d’Honoré de Balzac, Xavier Giannoli signe avec Illusions perdues un téléfilm populaire qui méprise son sujet et devient l’un de ses telefilms les plus bâclé. Tout sonne faux des costumes aux dialogues.

Gaëtane
22/02/2023 à 07:17

C'est mal joué, on s'ennuie à mourir.
Barry Lindon est passionnant mais illusions perdues est raté.

Buh
22/02/2023 à 04:56

Je crois que je suis une des seule à vraiment pas voir aimé ce film....
Bon on peu pas aimé tout!

rientintinchti2
20/09/2022 à 21:56

Chef d'oeuvre absolu. ça fait tellement de bien. ça redonne espoir dans le cinéma

Bravo
02/06/2022 à 23:15

Quel excellent film ça faisait longtemps que le cinéma français n’arrivait pas à tirer parti de l’incroyable patrimoine culturel du pays avec un tel talent et une telle verve

Neige
16/11/2021 à 14:14

Mon film culte était Barry Lindon ; Illusions perdues est à la hauteur. Je connaissais bien le roman de Balzac et je n'ai pas le moins du monde été déçu. D'ailleurs est-il utile de comparer ? Ce film est pour moi un chef d'oeuvre. Je ne me suis pas ennuyé une seule minute et la perfection du jeu des acteurs, la beauté sublime des images m'ont impressionné.

Cloclo
09/11/2021 à 22:43

Très bon film qui donne envie de lire le livre !

Mima
05/11/2021 à 20:29

Très bon film , un peu long

RichardParis
24/10/2021 à 16:30

Nul besoin de lire les romans, le film se suffit à lui même. Le début est poussif mais la suite est somptueuse et profondément noire.

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