Mourir peut attendre : critique du dernier James Bond de Daniel Craig

Geoffrey Crété | 16 septembre 2022 - MAJ : 19/09/2022 15:27
Geoffrey Crété | 16 septembre 2022 - MAJ : 19/09/2022 15:27

Après Casino Royale, Quantum of SolaceSkyfall et Spectre, Daniel Craig quitte le costume de James Bond dans Mourir peut attendre. Un 25ème épisode né dans la douleur, entre le départ du réalisateur Danny Boyle, puis la sortie repoussée d'un an et demi à cause de la pandémie. Attendu depuis avril 2020, No Time to Die de Cary Fukunaga, avec aussi Léa Seydoux, a finalement réussi à sortir. L'heure du verdict est arrivée.

LE NOM NE SUFFIT PAS

Le chapitre Daniel Craig de la saga James Bond aura été aussi reposant que des montagnes russes. Le chaotique et bancal Quantum of Solace a abîmé l'héritage de Casino Royale, célébré comme une renaissance aussi flamboyante que GoldenEye en son temps, quand le succès monstrueux de Skyfall a rendu la déception de Spectre inévitable. Arrivé à bon port après une tempête qui semblait sans fin (du départ de Danny Boyle jusqu'à la pandémie qui l'a repoussé de 18 mois), Mourir peut attendre avait donc une mission : boucler dignement la boucle Craig en ravivant la plus belle des flammes.

 

 

Plus que jamais, le cycle de ce 007 moderne aura été un feuilleton, suivi en pointillé depuis le trauma Vesper Lynd (Eva Green), dont le spectre plane jusqu'ici. Mourir peut attendre en rajoute une couche avec le retour de Madeleine Swann (Léa Seydoux) et Blofeld (Christoph Waltz), après Spectre. James Bond n'est plus simplement là pour rire avec ses gadgets, ses potiches et ses décors en mousse : il est là pour saigner et souffrir, et pour ça, il faut du temps. À la suite des précédents volets, ce 25ème épisode le prend, et dans tous les sens du terme puisque Mourir peut attendre dure plus de 2h40, soit le plus long de toute la franchise.

 

 

En quasiment 60 ans et six interprètes différents, James Bond a traversé les âges, et pris le pouls de son époque. Mourir peut attendre est encore une fois un épisode tiraillé entre le passé et le futur, comme en attestent les scénaristes : Neal Purvis et Robert Wade (en service depuis Le Monde ne suffit pas) sont épaulés par le réalisateur Cary Fukunaga (True Detective) et Phoebe Waller-Bridge (Fleabag). Mais pour la première fois de son histoire, James Bond affronte sa propre réalité, son propre mythe. Et la saga ose enfin quelque chose.

 

photo, Daniel CraigJames bondit

 

LES AMANTS SONT ÉTERNELS

Plus que tout autre épisode, Mourir peut attendre mérite la totale discrétion sur son intrigue, qui tourne autour d'un mystérieux homme incarné par Rami Malek. Dès l'intro, où il est filmé comme un cousin de Michael Myers version Courchevel, cet énième sociopathe bondesque s'impose par ses yeux sans visage. Le symbole est plus fort que l'homme, et c'est à la fois la force et la faiblesse de cet antagoniste. Sans surprise, l'acteur de Mr. Robot apporte une inquiétante étrangeté à ce Lyutsifer Safin, dont la puissance ne se révèlera que dans la dernière ligne droite.

En toile de fond, il y a aussi la fameuse organisation SPECTRE, centrale dans la saga et remise sur le devant de la scène dans le précédent opus. Mais le vrai ennemi est bien le passé des personnages. Ce même passé qui est justement le grand croquemitaine de l'ère Daniel Craig, comme l'avaient montrés Silva dans Skyfall et Blofeld dans Spectre, faux frères et vrais ennemis intimement liés à James Bond. Mourir peut attendre ne déroge pas à la règle, et creuse encore plus le sillon de la filiation, réelle et symbolique. De quoi achever l'édifice de cette époque Craig.

 

photo, Rami MalekHalloween : 60 ans après

 

Mais comme Casino Royale, c'est aussi voire surtout une histoire d'amour et de mort. Lorsque le générique (l'un des plus sobres et beaux de l'histoire récente) est lancé sur la mélodie de Billie Eilish et Finneas O'Connell, ce James Bond est indubitalement placé sous le signe de l'émotion, et c'est elle qui portera le film jusqu'à la toute dernière minute.

A ce jeu, Mourir peut attendre réussit ce que Spectre avait royalement raté avec le personnage de Léa Seydoux. Ecrite comme une godiche de luxe dans le précédent épisode, où elle tombait éperdument amoureuse du héros en 25 minutes chrono, Madeleine Swann existe ici comme un vrai amour de James Bond. L'ellipse rend leur histoire mille fois plus intéressante et solide, et Léa Seydoux a de vraies scènes à défendre. Souvent filmée comme un fantôme impossible à saisir, l'actrice porte sur ses épaules quelques unes des scènes les plus importantes du film. Et dans l'ombre de la Vesper Lynd d'Eva Green, elle incarne une autre facette jusque là inédite des dénommées James Bond girls.

 

photo, Léa Seydoux"What's in the box ?"

 

dors un autre jour

Mais pendant que James Bond aime, James Bond ronfle. Mourir peut attendre souffre d'un problème de rythme déjà vu dans Spectre, avec un ventre mou où les héros se réunissent à Londres pour les habituelles étapes de l'enquête. C'est d'autant plus flagrant que le film démarre sur les chapeaux de roue, avec une double introduction particulièrement sensationnelle, entre les glaces de la Norvège et le soleil de l'Italie.

Là, Cary Fukunaga semble en pleine maîtrise du cahier des charges d'un tel blockbuster, et joue aussi bien des silences et du suspense, que des explosions et des cascades attendues. Le réalisateur retrouve un peu de cette énergie dans le grand final, aidé par un décor renvoyant aux grandes heures de la saga, et quelques savoureux effets de mise en scène - d'un long plan d'ascension-baston, à un clin d'œil malin à la mythique séquence de gun barrel de la franchise.

 

photo, Daniel CraigLe Pont des espions

 

Mais entre les deux, pas grand chose à se mettre sous la dent, avec des fusillades et affrontements très mécaniques et fonctionnels. Ce n'est d'ailleurs pas anodin si l'autre grand moment du film est moins une scène d'action qu'une parenthèse où tout se joue sur l'atmosphère presque cauchemardesque d'une forêt embrumée. Cary Fukunaga semble plus intéressé par ces moments hors du temps, quand un monstre masqué poursuit sa victime sur une lac gelé perdu dans un désert blanc, quand un vieil ennemi réapparaît au bout d'un couloir comme un Hannibal Lecter de l'extrême, ou quand James Bond se réfugie dans les sous-bois tandis que grondent au loin les rugissements d'ennemis invisibles.

La photographie de Linus Sandgren (La La Land, First Man) et la musique de Hans Zimmer (première incursion de ce géant dans la saga James Bond) jouent pour beaucoup dans cette réussite. Mais dès que le spectacle recommence à cocher des cases (les apparitions de Q, Ana de Armas en James Bond girl de passage, Lashana Lynch en co-équipière féroce), Mourir peut attendre revient dans les clous. Jamais au point de sombrer dans la médiocrité, mais régulièrement en laissant un arrière-goût de facilité.

 

photo, Ana de ArmasAna de Armas s'arma

 

MOURIR ET LAISSER VIVRE

Mourir peut attendre, peut-être, mais le business James Bond, non. Même sans Daniel Craig. Avec son titre en reflet direct de Meurs un autre jour, dernier tour de piste de Pierce Brosnan, ce 25ème épisode devait négocier un nouveau virage ; une étape d'autant plus importante que le géant Amazon a récupéré la franchise en rachetant le studio MGM, et que l'identité unique de cette increvable saga semble de plus en plus folle face aux méga-franchises qui dominent le marché moderne.

Mourir peut attendre affronte cette situation dans un mélange de folie furieuse et d'extrême simplicité. Les quinze dernières minutes ne ressemblent à aucun autre film James Bond, délaissant la pyrotechnie pour mettre en avant de pures émotions, qu'elles soient noires ou lumineuses. L'occasion pour Daniel Craig d'aller jusqu'au bout de cette version super-humaine de James Bond, qu'il aura portée avec force et férocité depuis Casino Royale. En l'espace d'une quinzaine d'années, les films ont raconté le passage du temps sur le corps et l'esprit du personnage, mais également son interprète, qui semble avoir cramé tout son carburant bondesque jusqu'à cette cinquième et dernière aventure.

 

photo, Rami MalekBohemian rabougri

 

Ce bouquet final emporte tout comme une vague, avec une déflagration qui écrase les défauts du film. Et il y en a, notamment dans l'écriture parfois très grossière, et une sensation d'avoir vu défiler un épisode trop long et pas toujours harmonieux.

Nul doute que Mourir peut attendre fera jaser comme jamais, avec quelques questions croustillantes lorsque le générique de fin arrive (et se termine). Mais après 59 ans, 25 films, 6 interprètes, plus de 2 milliards au box-office et bien plus encore dans son business global, c'est certainement la meilleure preuve que le héros de Ian Fleming a encore un peu de sens dans ce monde.

 

Affiche fr, Mourir peut attendre

Résumé

Mourir peut attendre traîne des défauts classiques (seconds rôles insipides, méchant fonctionnel, rythme décousu), mais brûle une page de la saga avec une ambition et une émotions inédites. Après quasiment 60 ans et 25 films, James Bond ose enfin, et rien que pour ça, c'est beau.

Autre avis Simon Riaux
Mourir peut attendre restera comme l'épisode des expérimentations, des audaces, celui d'une explosion élégiaque et quasi-méta. Mais également comme un des 007 les plus mal écrits et construits, d'une longueur absurde, en dépit de laquelle il ne parvient jamais à développer ses plaisants seconds rôles.
Autre avis Mathieu Jaborska
Un film d'action assez timoré, embarrassé de ses gimmicks, malgré quelques fulgurances et une Ana de Armas honteusement sous-exploitée, mais sauvé de l'oubli par un dernier acte qui ose enfin faire sauter le canevas de la saga pour offrir une très belle conclusion à l'ère Craig.
Autre avis Alexandre Janowiak
Derrière la mise en scène percutante de Fukunaga et ses scènes d'action spectaculaires, Mourir peut attendre vient graver dans le marbre le nouvel héritage de James Bond, et tout le poids de sa propre malédiction. Intime, émouvant et tragique à un niveau jamais atteint dans la franchise.
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Lecteurs

(2.5)

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commentaires
william c
22/09/2022 à 13:55

Revu trois fois. depuis ..et toujours autant mitigé...film inégal se scindant en deux parties , la première jusqu'à Cuba (assez bondienne) ,; la deuxième à partir Norvège (trop trop romantique) .

La longueur un gros problème...2 heures 43 .

Le scénario patine entre le méchant Safin dont personne ne sait encore le projet veut-il vendre son virus (scène de la base à la fin) ? ou faire un envoi sur une population mondiale ciblée (projet du scientifique russe) ? . La nouvelle 007 inutile...M en mode dépression chronique...Q en mode cuisine...Bond découpeur de pomme...comment Blofeld a pu agir depuis sa prison (aucune réponse dans le film) ? mais le pire la mort de Blofeld expédié en 1 minute 30 (alors que c'est LE méchant de James Bond par excellence) , Logan Ash hyper poussif . Qui comment ? pourquoi M a fait l'arme biologique ? aucune réponse non plus . Bond au bord de la route limite faisant de l'auto-stop...la scène de la prison trop longue . Les vacances de Bond (l'intervalle de 5 ans) ? alors qu'il a été attaqué au début du film ? aucune recherche de l'origine de l'attaque ? il va à la pêche ? . La scène du MI6 de l'arrivé de bond au mi6 limite comique...(Phoebe est-ce vous ? l'idée ? ) .

Ana de Armas (parfaite qui ajoute de la dynamique) Laschana Lynch ( imparfaite) Léa Seydoux (bof bof ) , Fiennes fatigué (pourtant c'est un bon acteur) Q (transparent) , Rami Malek ( trop lisse )

Images et son Zimmer en dessous , pas de grand thème ; Images parfaites par contre lumière etc ça va Matera , la scène post générique .

La Fin : scène du doudou

Générique bof bof (où sont les girls ? et les figures féminines ?) par contre l'ADN se transformant en PPK j'aime bien l'effet .

La FIN : si il fallait une FIN à 007 qu'elle soit flamboyante or elle ne l'est pas , le MI6 envoie des missiles sur son meilleur agent...sacrifice ou balle dans la tête total ? j'hésite vraiment
le verre en hommage...? . Bref la fin c'est pas du tout ça à mon goût .

Il va falloir beaucoup de travail pour faire revenir Bond LE Bond , voitures, gadgets , girls ,grand méchant . Trop de sentimentalisme a tué Bond dans ce film .

Kay1
18/09/2022 à 21:33

@Oliviou Pire que ça , ça a tué la mythologie Bond. On aimait ce côté surnaturel chez Bond. J’ai jamais voulu voir comment Bond allait mourir, je voulais voir comment Bond allait survivre. Là, même la saga Craig est à part, je n’arrête pas de me dire que c’est le James Bond des 24 films précédents. Et tout ça pour satisfaire l’ego de Craig, qui voulait absolument que son personnage meurt. Sauf qu’en faisant, il a littéralement tué le personnage de Bond.
D’ailleurs ça confirme bien que Danny Boyle est parti parce qu’il était en désaccord avec cette décision.

Oliviou
17/09/2022 à 21:49

Comme vous, je trouve que ce film malgré un début prometteur, est surtout long, ennuyeux et mécanique. Le plus gros échec étant (ça va, on peut spoiler deux ans après ?) que pour la première fois en 60 ans James Bond meurt (réellement, et sans l'ombre d'un doute) et que tout le monde s'en fout. C'est juste une péripétie de plus, on sait qu'il y aura un autre Bond. Si strictement personne n'a parlé de la mort de Bond, ce n'est pas par respect du public, c'est que tout le monde sait que la logique du business annule la soi-disant audace du scénario. Et c'est un vrai problème.

jimmy
17/09/2022 à 17:45

Cher pour un résultat bidon

Matrix R
17/09/2022 à 15:24

Il me faut réduire le film, mais m'avait donné une bonne impression au premier visionnaire.
Sauf que le générique de Skyfall est de très loin le meilleur de toute la saga derrière celui de Goldfinger

Myst
17/09/2022 à 10:57

Je cherche toujours a comprendre les motivations du méchant et pourquoi il se suicide en 1v1 contre James Bond...

Pulsion73
17/09/2022 à 10:52

Alors par contre, celui de Spectre je le trouve très moyen, mielleux, gnan gnan, bref, un de ceux que j'apprécie le moins et quel que soit l'interprète.

Kyle Reese
17/09/2022 à 10:31

@pulsion73

Je mettrais le générique de Skyfall à égalité avec celui de Spectre qui est magnifique.
Celui la est franchement le moins réussi graphiquement. La chanson n’est pas si mal.

Néanmoins bravo à la production pour avoir réalisé une saga sur 5 films qui se tient de bout en bout. C’est la plus grande réussite de cet ère Craig.

Pulsion73
17/09/2022 à 10:21

le générique de Skyfall est le meilleur de l'ère Craig. Pas celui-là.

Kyle Reese
17/09/2022 à 10:19

Toujours partagé par ce dernier opus pourtant très généreux après plusieurs visions.
J’aimerai pourtant beaucoup l’aimer de part son histoire tragique et touchante mais comme dit ici trop long, problème de rythme et d’écriture. Je préfère encore Spectre pour le moment.

Mais la toute fin est très belle et puissante:

« Je vais te raconter une histoire. Celle d’un homme. Il s’appelait Bond. James Bond »

Et puis cette phrase de Jack London qui résume parfaitement le personnage:

« La fonction de l’homme est de vivre, non d’exister. Je ne gâcherai pas mes jours à tenter de prolonger ma vie, je veux brûler tout mon temps »

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