Candyman : critique avec du miel et des abeilles (et un crochet)

Simon Riaux | 29 septembre 2021 - MAJ : 29/09/2021 11:21
Simon Riaux | 29 septembre 2021 - MAJ : 29/09/2021 11:21

Depuis Get OutJordan Peele s’est imposé, comme metteur en scène, puis producteur, en tant que figure de proue d’une horreur américaine ancrée dans les tensions raciales et les conflits sociaux qui traversent le pays. On ne s’étonnera donc pas de le voir s’emparer du personnage de Candyman pour en confier un nouveau chapitre à la réalisatrice et scénariste Nia DaCosta

DE LA SUITE DANS LE CROCHET 

Alors qu’Hollywood explore le moindre fond de tiroir en quête de licence digne de remake ou de prolongation, l’approche de ce Candyman sauce 2021 fait plaisir à voir. On se demandait, suite à l’annonce du projet et au visionnage de ses bandes-annonces, si l’annonce de cette suite ne masquait pas une volonté de reboot aux petits pieds, plutôt qu’une extension sincère de la mythologie imaginée par Clive Barker en littérature et portée à l’écran en 1992 par Bernard Rose. Il n’en est rien, tant le désir de retourner aux sources apparaît manifeste. 

 

 

Le premier volet s’achevait sur la confrontation entre le Candyman et Helen Lyle (Virginia Madsen), venue enquêter sur une légende urbaine accompagnant les bouffées de violence du ghetto de Cabrini-Green, à Chicago. Faussement victorieuse, la journaliste ressortait de cet affrontement brûlée vive, avant de devenir la nouvelle incarnation d’un folklore urbain fait de violence et de terreur. Trente ans plus tard, les tours ont pour l’essentiel été rasées, remplacées par de superbes bâtiments gentrifiés, synonymes d’autant de commerces bio et d’une classe moyenne à la mémoire aussi courte que le portefeuille est profond. 

C’est dans ce contexte, et dans le véritable Cabrini-Green, que prend place ce nouvel épisode, alors qu’un jeune artiste décide de mettre en image avec opportunisme le passé sanglant de son nouveau quartier. Et à son tour, il réalisera qu’une idée, un concept, quand il encapsule la colère et la douleur des hommes, ne demande qu’à s’incarner en eux pour mieux dévoiler leurs blessures. 

 

photoTiens, ça a changé le centre Pompidou

 

LE FIEL ET LES ABEILLES 

On se gardera bien de dire en quoi, mais les scénaristes Jordan Peele, Win Rosenfeld et Nia DaCosta ont veillé non seulement à inscrire leur intrigue dans la continuité du récit originel, mais aussi à s’arrimer organiquement à sa mythologie, pour permettre à son sens de s’épanouir avec un sens nouveau, également aiguisé. En conjuguant le principe du film de Bernard Rose non pas à un quartier défavorisé, mais bien à une zone en plein embourgeoisement, l’histoire déploie un commentaire plus vicieux qu’attendu sur la violence sociale. 

Ce n’est plus seulement l’oppression d’un état malmenant ses minorités, la violence policière ou un racisme plus ou moins dissimulé, qui permettent ici l’avènement du redoutable Candyman, c’est bien un déni de mémoire et un aveuglement provenant pour partie des intéressés eux-mêmes. Certes, la brutalité des forces de l’ordre encadre le film, participant de sa mythologie avec une symbolique forte, mais les deux séquences où surgissent matraques et gyrophares ne s’avèrent pas déréalisées par hasard. 

 

photo, Yahya Abdul-Mateen IINe pas s'emmêler les pinceaux

 

Le motif de la violence policière a ici rejoint le substrat mythologique, à la manière d’une toile de fond, qui ne constitue plus la focale du long-métrage, et ne fonde pas son déferlement de violence. La nouvelle obscénité qui permet l’avènement de Candyman se joue ailleurs, dans l’autosatisfaction recuite de transferts de classe qui croient pouvoir simultanément s'affranchir d'un héritage culturel, et le manipuler pour en tirer profit. Une attaque frontale et retorse, qui fait voler en éclat l'essentiel des griefs essentialistes souvent adressés à la "Black horror", alors qu'un personnage de critique cynique en diable pulvérise au détour d'une réplique la démarche du héros interprété par Yahya Abdul-Mateen II.

 

photoUne scène qui se moque cruellement d'un certain art contemporain et de son rapport à la politique... ou à la finance

 

KILL SWEETBACK'S BADASSSS SONG

Reprenant et amplifiant l'équation du film originel, le présent opus fonde toujours son horreur sur le verbe, pour mieux suivre son surgissement dans le réel. Ici, c'est une légende urbaine qui prend corps, là une accusation de violence sociale qui se traduit en plaie, plus loin, le luxueux appartement d'une plumitive qui prend des airs de dédale carcéral. C'est enfin quand la compagne d'Anthony McCoy croit s'émanciper, s'accomplir, que le plan le plus simple du monde - une image fixe dans laquelle Nia DaCosta zoome inexorablement jusqu'à enfermer Brihanna et sa nouvelle employeuse dans une composition vicieuse - lui dévoile que malgré ses oripeaux de conviction, l'oppression comme la facticité sont désormais de son côté.

Et à ce jeu, le métrage se révèle souvent d'une belle inventivité, surtout quand il est question d'embrasser l'âme du mythe pour mieux la réinventer. Puisqu'ici, chaque génération engendre son horreur non-pensée, sa nouvelle incarnation de Candyman, les symboles qui le fondent sont sans cesse à réinventer. Autrefois des accessoires horrifiques malins, mais peu porteurs de sens, ils deviennent l'incarnation de la foule violente (ou qui s'aveugle sciemment), dont chaque coup ou bassesse frappe avec l'entêtante multiplicité d'un essaim d'abeilles. Ces idées qui mêlent poétique et politique, le récit en regorge, comme en témoigne le découpage extrêmement soigné de la cinéaste.

 

photo, Yahya Abdul-Mateen IILe blanc, c'est salissant

 

Devant sa caméra, Cabrini-Green existe, se métamorphose, d'espace aseptisé à abstraction ultra-violente, les appartements se muent en installations d'art moderne stériles que des litres de sang attendent de souiller. Malheureusement, cette sophistication tient la mise en scène trop éloignée de la trivialité qui va de pair avec la notion de croquemitaine, comme la tonalité de tout proto-slasher qui se respecte. Faire l'économie de la violence grand-guignolesque est regrettable, car Candyman y perd une partie de sa dimension grotesque, donc de son ambiguïté, et par conséquent de son impact. 

On regrettera ainsi que le film ait bien trop fréquemment recours au hors-champ, ou à des dispositifs un poil trop élégants pour traduire l'abomination des chairs suppliciées, ou l'adrénaline de la pulsion de mort qui parcourt ses veines. Son respect, sa compréhension et sa réinterprétation du mythe lui permettent de supplanter sans mal le deuxième chapitre produit en 1995, mais donnent par endroit l'impression que le film confond intelligence et sophistication.

 

affiche

Résumé

Nia DaCosta s'inscrit avec fidélité et perversion dans la mythologie établie par le premier film, tout en étendant puis déclinant son discours sociétal avec une hargne étonnante. Porté par une mise en scène élégante et joliment inquiétante, le film n'assume toutefois pas assez la trivialité de son monstre, ainsi que la violence ambivalente et spectaculaire que son concept appelle.

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(2.4)

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commentaires
Thorfinn
11/10/2021 à 21:47

Film avec de bonnes idées de mise en scène qui accrochent l'œil, et le Candyman dégage une belle aura sinistre et effrayante. J'ai bien aimé cet aspect là du film, mais beaucoup moins sa soif de "casser du blanc" à tout prix ( les victimes sont toutes blanches, et pour reprendre un commentaire que j'ai lu ailleurs, on dirait George Floyd zombie revenu se venger...).
Bref, ajouté à cela un final bien foiré, le film remporte pas mon adhésion. J'aurais pu faire fi du discours politique qui me gonfle, mais ce dernier acte limite nanar, là non je peux pas... Dommage, car le film a de bonnes idées sous le coude.

Jaws250
30/09/2021 à 16:41

3,5 pour cette catastrophe? Cette suite n'arrive pas à la cheville de l'original et même de sa suite, c'est un film communautaire progressiste complètement raté, il ne reste rien, les acteurs sont mauvais, le nouveau candyman n'a aucun charisme, la musique de Philip Glass manque énormément, la réalisation est fade, bref ne vous infligez pas ça si vous êtes fan de Candyman, carton rouge pour Écran Large là de mettre en avant cette production insipide, un film de 1h20 qui semble en durer 4, au secours.

Kyle Reese
30/09/2021 à 09:44

Autres détails qui m’ont perturbé:
L’artiste ne va pas se faire hospitaliser
malgré l’état limite en décomposition de sa main et qui commence à remonter au bras. Il repart de l’hosto avec un simple bandage comme ça !? Pas d’intervention d’un spécialiste pas de questionnement.
Et il n’est pas entendu par les enquêteurs de police ni après le premier crime où il a exposé ni ensuite alors qu’il aurait eu de quoi.
D’ailleurs cela aurait pu peut être permettre d’intégrer un perso extérieur intéressant qui essaye de comprendre et aurai. Ajoute un contre point.
On peut faire des films ou série politique progressiste là n’est pas le problème (ex la superbe série Watchmen) mais tout dépend de quelle manière. Et il y a des tas de choses dans ce film qui font qu’on ne s’attache pas aux persos.

romu
30/09/2021 à 07:53

alors la totalement d accord ,ceux qui n ont pas apprécier seront ceux qui n aiment pas le cote politique du film . le clin cameo de todd puissant enfin une critique pleine de bon sens

Kyle Reese
30/09/2021 à 00:39

Le film dure 1h30 mais en parait bien plus. C'est très bien mis en scène quoiqu'un peu trop lisse. Bon casting, bon jeu d'acteur. Mais même si les idées de scénarios sont plutôt bonnes ça manque énormément d'émotions, de frayeur (rien de neuf à ce niveau par rapport au premier) de subtilité car je je trouve que c'est beaucoup trop démonstratif, bavard et du coup trop lourd et trop politique. J'ai totalement décroché à la fin dés lors que le policier tire sans sommations, tellement j'ai trouvé ça too much même si il y a une logique de cycle vicieux de l'histoire de cet endroit maudit, qui fait aussi référence aux innombrables bavures et crimes policiers racistes à travers l'histoire du pays (on avait bien compris). Dommage car ce moment aurait dû être un pic émotionnel. Je trouve en fait qu'il y a une certaine artificialité dans la mise en place de toute cette histoire et la mécanique devient trop visible sur la fin.
De plus j'ai eu bcq de mal avec les discutions qui tournent autour de l'art avec ses situations et personnages assez clichés, tellement ennuyeuse dans la vrai vie déjà. Du coup la phrase de la critique "le film confond intelligence et sophistication." me parait totalement juste. Pas un mauvais film mais, peut être qu'il se prend bcq trop au sérieux et du coup ça donne un résultat décevant. Malin mais moyen quoi !.
Bref allez, Candyman candyman candy yop quoi ! lol

Pfff
29/09/2021 à 23:30

Franchement déçu 30 min après je dormais ne vaut pas le 1er candyman

Xbad
29/09/2021 à 21:10

J'aime beaucoup le candyman de 92, les suites beaucoup moins. Dans l'esprit celui là s'en rapproche énormément et se regarde avec plaisir, mais reste inférieur pour moi. Moins subtil et le message délivré qui diverge. Me manque également la BO de l'original qui reste un chef-d'œuvre dans les thèmes horrifiques. Quelques beaux plans à noter et les acteurs, s'en parvenir au charisme du casting du premier, s'en sortent plutôt bien.

Ray Peterson
29/09/2021 à 20:28

Je suis assez d'accord (et surpris) par cette critique et la qualité du film en général.

Je rajouterais juste que la BO du film s'en sort bien tout en s'écartant du score de Glass notamment avec des imperfections mélodiques ici ou là qui donnent un sentiment d'instabilité.

Aussi en terme de mise en scène, tout les jeux d'effets de miroirs/reflets, certes pas originaux et vu maintes fois dans le cinéma d'horreur (mais pas que) sont plutôt bien pensés.

Et puis ben moi je suis preneur de la prestation de Virginia Madsen ou Tony Todd même si ce n'est que pour entendre leur voix ou leur visage.

Alco
29/09/2021 à 15:56

Bha moi j'ai vraiment pas aimé. J'avais pourtant adoré le vieux film. J'ai essayé de le regardé une première fois où je me suis endormi au bout d'un quart d'heure alors j'ai restés et j'ai été carrément saoulé au bout d'une demi heure et j'ai éteint le film. Je l'ai trouvé vraiment nulle et ennuyeux donc ça me rassure de m'apercevoir que je ne suis loin d'être le seul dans ce cas.

lul69
29/09/2021 à 15:47

Après tant d'autres victimes, d'Alien en Predator, de Jason en Freddy, de souffrance et d'infamie, les mêmes criminels viennent de violer le petit Candyman. Pauv' gosse.
De vrais bêtes sauvage. Ils l'on trainé derrière une ruche et on commencé par le dépouiller de tout ce qu'il possédait: un scénario subtile, une ambiance tellement particulière et sa BO envoutante, des acteurs impliqués, le charisme, la peur, le malaise, le désenchantement, la violence... Tout y est passé... Oui. Tout.
Le petit criait! Criait fort... mais personne n'est intervenu. Tous ou presque préférant minorer l'horreur de ce viol opportuniste conjoncturel.
Le petit Candyman à été retrouvé agonisant et placé en réanimation à coté d'Alex Murphy, un jeune policier placé en coma artificiel 20 ans auparavant, lui aussi victime des mêmes bourreaux...
Il se dit que ces criminels s'apprêteraient à récidiver une énième fois en s'attaquant au représentant syndical des clous et du cuir, alimentant le sentiment de laxisme cinématographique ambiant.
"Nul n'est à l'abri" nous confiait avec effroi récemment le survivaliste complotiste John Matrix: "Même cachés, ils finiront par nous trouver".
Oui, ça fait froid dans le dos....

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