Marché noir : critique d'une boucherie

Antoine Desrues | 3 janvier 2022 - MAJ : 03/01/2022 10:56
Antoine Desrues | 3 janvier 2022 - MAJ : 03/01/2022 10:56

Aux côtés de La Loi de TéhéranMarché noir a été l'autre grande surprise du dernier festival du Film Policier de Reims. Lauréat du Prix du jury, le troisième long-métrage d'Abbas Amini a semblé confirmer un renouveau du cinéma iranien, capable d'aborder des sujets de société fondamentaux au travers de thrillers âpres et rugueux. A voir en salles dès le 5 janvier.

Le mystère de la chambre froide

Koshtargah. L'abattoir. Avec son titre original, Marché noir se focalise sur l'un de ses décors majeurs, théâtre d'une introduction tendue et virtuose. Le vieux gardien Abed (Hassan Pourshirazi) appelle paniqué son fils, Amir (Amirhossein Fathi). Il vient de trouver dans l'une des chambres froides de son lieu de travail plusieurs cadavres qui y sont restés coincés. Persuadé que la faute va lui retomber dessus, Abed réussit à convaincre son fils de cacher les corps, au prix d'une culpabilité qui va les ronger tous les deux.

Avec ce début sur les chapeaux de roue, Abbas Amini a la bonne idée de suivre tout le processus qui mène les protagonistes à prendre leur décision. Le réalisateur exploite la profondeur de champ intense de ses couloirs froids pour y filmer les va-et-vient, les doutes et les tourments de personnages contraints de faire des choix hâtifs. Cette mise en bouche est non seulement un moyen solide de caractériser ses anti-héros, mais aussi de mettre en place un postulat centré sur la réaction à des dilemmes cornéliens.

 

photoC'est une véritable boucherie

 

De la même manière que La Loi de Téhéran a fait petit à petit vriller son point de vue vers celui du criminel, Marché noir choisit de filmer avec empathie des êtres piégés par leur saut dans l'illégalité. Les morts cachés par Amir ne sont que le début de sa descente aux enfers, qui va l'amener progressivement dans le trafic de devises étrangères, et plus particulièrement le dollar. S'ensuit un polar sec et haletant, qui se structure intelligemment autour d'une violence enfouie ; une violence qui ne demande qu'à exploser.

A vrai dire, la grande force de ce nouveau cinéma iranien est de se concentrer sur l'individu pour construire une toile de fond pertinente sur la société actuelle du pays. Concerné par la question du déterminisme social, Abbas Amini dépeint des personnages tragiques, prêts à tout pour sortir de la pauvreté ou pour éviter de la subir à nouveau.

 

photoAmir (Amirhossein Fathi)

 

Pour une poignée de dollars

Pour cela, le réalisateur s'octroie une photographie désaturée (un peu facile mais efficace) et des décors soigneusement choisis pour le vide qu'ils évoquent. Alors qu'une grande partie du métrage se déroule dans l'exploitation d'Abed, celle-ci est judicieusement utilisée par Amini, qui la filme comme une forteresse sans couleur, dont les quatre murs ne protègent rien d'autre que les terribles secrets de la famille. Et petit à petit, sans jamais perdre de vue le visage concerné de ses protagonistes, la caméra du cinéaste recule, pour révéler tout un monde caché, celui d'un marché noir où baigne une foule désespérée.

C'est dans ces moments, captés par des plongées qui observent consciencieusement les flux des hommes et de l'argent, que le long-métrage éclot pleinement. Marché noir s'attaque non seulement à l'ombre d'un capitalisme carnassier, mais aussi à la religion, dont la moralité devient une épée de Damoclès au-dessus de la tête de la population iranienne. L'image de l'abattoir revient alors en force comme la métaphore d'un couperet prêt à tomber sur n'importe qui.

 

photoTrafic de chiites

 

Si cette image n'est pas la plus subtile, elle est néanmoins révélatrice de l'efficacité globale du récit du cinéaste (co-scénariste avec Hossein Farokhzadeh), qui nous tient chevillé à lui par son découpage immersif, et le jeu impeccable de ses comédiens.

Néanmoins, malgré sa fabrication très propre, il manque au film un petit plus, cet élan de grâce et de folie stylistique qui a fait de La Loi de Téhéran l'un des chefs d’œuvre de 2021. La comparaison n'est sans doute pas très juste, mais Marché noir se rattrape amplement avec sa seconde partie, qui amène la parcours d'Amir dans une nouvelle direction bienvenue, et ce jusqu'à un final tétanisant, magnifié entre autres par un ultime plan au hors-champ ravageur.

 

affiche française

Résumé

Marché noir prouve que le cinéma iranien connaît actuellement un état de grâce à travers le polar. Le film d'Abbas Amini est un labyrinthe cauchemardesque prenant, peut-être imparfait, mais bourré d'envies.

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commentaires
Fox
05/01/2022 à 14:23

Ca va être très compliqué de le voir : la distribution pour ce film est complètement inexistante !
Rien qu'à Paris, seuls 3 cinés le diffusent (et uniquement 1 à 2 séances par jour).
Dur...

Xprocessor
03/01/2022 à 21:19

La loi de Téhéran était véritablement saisissant... Il m'a quelque peu rappelé l'émotion qui suintait du film "le Caire confidentiel".... Hâte de découvrir plus avant le cinéma iranien...

andarioch1
03/01/2022 à 14:53

Trafic de Chiites, l'année commence fort ;)

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