CODA : critique oscarisée du remake de La Famille Bélier sur Apple TV+

Maeva Antoni | 28 mars 2022 - MAJ : 28/03/2022 12:14
Maeva Antoni | 28 mars 2022 - MAJ : 28/03/2022 12:14

Les Américains sont une fois de plus venus chercher l’inspiration du côté du cinéma français. Le grand succès populaire qu’a été La Famille Bélier se voit donc offrir une version made in Hollywood avec CODA, écrit et réalisé par Sian Heder, et mené par Emilia Jones et le duo d'acteurs sourds : Marlee MatlinTroy Kotsur et Daniel Durant. On prend les mêmes et on recommence, alors est-ce que l’adaptation récompensée au festival de Sundance et racheté par Apple TV+ était vraiment nécessaire ?

La mélodie du silence 

Après Intouchables ou LOL (laughing out loud) ®, c’est sur La Famille Bélier qu’Hollywood a jeté son dévolu. Friande de grands succès populaires, l’usine à rêve américaine réhabilite les gros cartons du box-office français. Avec le film d’Eric Lartigau, Hollywood mettait la main sur un récit social touchant et familial, le bon cocktail pour un carton. Le film a offert le César du meilleur espoir féminin à Louane Emera et a été nommé dans cinq autres catégories. Et avec plus de 65 millions au box-office mondial, La Famille Bélier avait tout pour attirer l’œil des Américains.  

C’est ainsi qu’est né CODA, acronyme de Child of Deaf Adult (enfant de parent sourd en français) réalisé par Sian Heder et qui reprend quasiment point par point le récit du métrage français. Et comme le film de Lartigau, CODA est une autoroute pour les prix. Il a en effet déjà conquis le Festival de Sundance 2021 en repartant avec le Grand prix du jury et le Prix du public. Une même trajectoire à ceci près que la famille Rossi fait ici dans la pêche. Mais surtout, la version américaine a choisi de caster des acteurs sourds pour le rôle de la famille Rossi.  

 

photoSoirée Tinder en famille

 

Avec les talentueux Marlee Matlin et Troy Kotsur pour reprendre les rôles de Karin Viard et François Damiens et épaulé par Daniel Durant dans le rôle du grand frère, CODA se donne à voir avec plus de réalisme dans la gestuelle de la langue des signes et offre ainsi un jeu d’acteur plus subtil. Les mimiques caricaturales et autres grognements qui pouvaient transparaitre dans le jeu des acteurs français faisant “semblant” d’être sourds disparaissent ici au profit du simple talent d’acteurs réellement sourds dans la vie.

Ce choix de casting donne une portée bien plus profonde au film et plus de poids aux silences qui viennent le ponctuer et rythmer. CODA se dévoile entre musique et silences, car si la bande-son jazzy porte surtout le personnage de Ruby, campée par la phénoménale Emilia Jones, les moments de silences viennent comme des coups de poing. La musique est ici une cacophonie libératrice là où le vide audio laisse place à des émotions crues. Les grandes séquences, les grandes révélations et les grands déchirements du film se déroulent dans un silence que la réalisatrice parvient à rendre assourdissant d’émotion.

La juste utilisation de la bande-son offre une entrée profonde dans un monde silencieux. En changeant constamment de point de vue, entre celui de Ruby et celui du reste de sa famille, Sian Heder met en scène une rythmique savamment désaccordée entre un monde de bruit et un monde de silence qui se donne particulièrement à voir dans la scène du spectacle. CODA par un casting pointu, une direction d’acteur naturelle et une bande-son maitrisée expose alors avec brio un monde rarement représenté et souvent laissé pour compte.  

 

photo, Emilia JonesJe t'aime en langue des signes (ou c'est une fan de Spider-Man)

 

Un cri dans l’oreille d’un sourd 

Toutefois, si CODA a une histoire forte entre les mains, de bons comédiens pour lui donner vie et une bande-son percutante, le film de Heder est très largement desservi par sa mise en scène autant que par sa luminosité et son montage. Avec une caméra trop branlante et une focale qui ne sait pas sur qui se caler, l’émotion se trouve parfois perdue dans le flou et les mouvements parasites. Certains moments se trouvent plongés dans une lumière disgracieuse parasitée par un montage parfois psychotique avec trop de changements d’angles en une seule scène pour le bien du spectateur.  

CODA n’est que le second long-métrage de la réalisatrice après Tallulah, et on sent qu’elle n’est pas encore en pleine possession de son art. Tous les défauts du film se percutent lors de la première répétition entre Ruby et Miles, le non moins talentueux Ferdia Walsh-Peelo, qui poussait déjà la chansonnette dans le sympathique Sing Street. Une scène qui tente de retranscrire les émois adolescents, mais qui est seulement délavée et chaotique. Ces tares viennent alors briser le charme de CODA dont la portée émotionnelle se noie au milieu d’une technique mal maitrisée.   

 

photo, Ferdia Walsh-Peelo, Emilia JonesLa bûche de l'amour

 

Si la cinéaste ne sait pas toujours comment filmer ses personnages, elle ne sait pas toujours non plus quoi faire d’eux. Les Rossi sont un minimum creusé, mais les personnages plus secondaires ne sont que des figures passantes. Pourtant, ils sont d’une importance capitale pour le récit et la métamorphose de Ruby, notamment le professeur de musique M. Villalobos ou bien Miles, l’élément romantique du film. Il en va de même pour Gertie (Amy Forsyth) ou les means girls du lycée dont les actions sonnent creux, faute de présentations plus approfondies.  

En copiant quasiment à la virgule près La Famille Bélier, Heder s’éloigne de son style plus engagé après Tallulah ou Orange is the New Black et reste à la surface des choses. On aurait pu espérer que cette version américaine plus indépendante tranche dans le vif en apportant d’autres challenges que celui d’offrir une jolie histoire.  

 

photoUne famille charismatique

 

Le chant du signe 

Car en ne cherchant pas à s’approprier le récit, mais en se contentant de le reproduire, CODA possède alors les mêmes défauts. Un sujet sérieux qui se force à rester une épopée guillerette et ainsi rate de belles opportunités de profondeur. Par peur de tomber dans le drame, CODA devient frivole. Il manque à l’émancipation de Ruby quelque chose de plus viscéral. Le film aurait gagné à se détacher de la douceur de La Famille Bélier afin de donner encore plus de force à son héroïne.  

En voulant à tout prix plaire à tout le monde, le film de Sian Heder laisse de côté tout le potentiel dramatique de son récit pour verser dans un humour potache parfois à la limite d’une mauvaise sitcom. Entre le M. Villalobos campé par un Eugenio Derbez cabotinant (qui souffre de la comparaison avec Eric Elmosnino et son interprétation nuancée et limite dépressive), le rendez-vous chez le médecin très gênant, les blagues scatophiles ou encore une scène de sexe assez hallucinante entre les parents de Ruby, CODA s’enlise dans sa volonté de faire rire.  

 

photo, Eugenio DerbezBerrrnarrrdo Villalobos

 

La contrepartie ? Si on se plonge entièrement dans cette superficialité et qu’on laisse de côté les occasions manquées, CODA est un joli conte. Un optimisme chevillé au corps et un amour familial inconditionnel (qui est limite de la co-dépendance, mais adorable tout de même). Là où le film manque d’originalité, il le compense par des sentiments sincères. L’alchimie entre les acteurs permet de passer un bon moment. De plus, en plaçant cette famille pas ordinaire dans un écrin de déjà-vu et de normalité, CODA n’expose pas la surdité comme un élément extraordinaire.  

CODA prend le parti d’être une belle histoire qui rassemble et si on peut regretter son manque de courage, on ne peut que constater que le film réussit son pari de la douceur. Le métrage ne cherche même pas à essayer d’être réaliste à l’image de Sound of metal. On peut ne pas être client de films sucrés, mais il faut dire qu’une petite parenthèse musicale fait parfois du bien dans ce monde de brutes.

CODA est disponible sur Apple TV+ en France depuis le 13 août 2021

 

Affiche US

Résumé

Une adaptation qui ne tranche pas plus dans le vif que le film français, et ce, malgré son étiquette de film indépendant présageant d'un film au récit plus profond et viscéral. Sian Heder s’en sort avec les honneurs avec CODA, une parenthèse musicale superficielle et classique, mais bien interprétée et enjouée.

Autre avis Alexandre Janowiak
Incontestablement porté par son trio d'acteurs sourds, lui conférant une authenticité que n'atteignait jamais La Famille Bélier, CODA reste un petit film familial et feel good sans éclat.
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Lecteurs

(4.1)

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commentaires
Chris11
17/07/2022 à 11:13

Superbe film, j'avais pourtant de gros à priori sur le côté remake mais force est de constater que Coda ne joue pas dans la même catégorie que La famille bélier.
Les acteurs sont incroyables, Ruby, ses parents, son frère, son amie, son copain, son prof, tous ont leur partition à jouer, parfaitement dosée et parfaitement jouée. La mise en scène et la photo sont belles, sans fioritures, sans génie mais c'est bien fait et ça suffit 100 fois. Le montage aurait pu être mieux mais je n'ai rien noté pendant le film. Humour potache et lourd? J'ai trouvé ça plutôt marrant, réaliste et dédramatisant, et si je n'ai pas de sourds autour de moi, ça ressemble à des blagues que les sourds pourraient faire, pas à des blagues imaginées par des entendants pour des sourds dans le cadre d'un film. Et ceci vaut pour tous les aspects du film, CODA m'a semblé de façon hyper réaliste être un film de sourds, littéralement. Ce qu'il n'est pas, mais c'est l'impression que j'en ai et ça donne un 10/10 pour moi.

Eddie Felson
28/03/2022 à 21:57

Et dire que le remake de la famille Bélier a foutu un coup de corne à la nouvelle adaptation de West Side Story de Spielberg qui est l’un des monuments de sa filmo… c’est assez symptomatique d’une époque qui juge désormais moins les qualités cinématographiques intrinsèques de l’oeuvre que sa résonance avec notre temps, la représentation et la défense des minorités qu’elle peut véhiculer… et c’était pourtant le coeur du dernier chef d’oeuvre de Spielberg! Comprends pas!

Ozymandias
06/10/2021 à 22:26

Totalement d'accord avec vous ! La technique ne suit pas c'est dommage..

BimBamBoum
23/08/2021 à 23:30

Ce remake n'est peut être pas parfait ; mais je l'ai trouvé supérieur à son modèle français.
Techniquement (ça ne fait pas téléfilm) et les acteurs sont bien meilleurs (et pourtant, je suis un fan de Karine Viard et François Damiens).
Par contre, je suis d'accord concernant le personnage homologue d'Eric Elmosnino qui est plutôt agaçant.
Pour moi, un petit 4/5

KULEM
14/08/2021 à 09:36

Mias mDR votre conclusion
On en conclu que la version francaise est meilleure ?
C'est comme si vous disiez que "True Lies" n'a rien apporté a "la totale"
A part que la totale etait realisé par un vrai réalisateur , pas comme la famille Bélier qui meme si ca se regarde , est un vrai film francais , avec prise de son pourri , casting , coment dire , pas tres homogene...

La c'est ricain , c'est bien filmé , le son est excellent , ils savent faire de l emotion par ex en embauchant de vrais acteurs sourds et pas les copains du copain du copain si vous voyez ce que je veux dire....

Numberz
13/08/2021 à 21:35

"dites a mes amis que je m'en vais...."

Comprends pas...
13/08/2021 à 19:20

Ben c'est qui qui fait les paroles des chansons ?
C'est plus du Sardou??

Pifpaf
13/08/2021 à 13:42

Excellent actrice emilia Jones, j espère la revoir dans autre chose que locke and key

Pifpaf
13/08/2021 à 13:40

Emilia Jones joue vraiment très bien , elle mérite de faire carrière

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