Evangelion 3.0+1.01 Thrice Upon a Time critique d'une histoire sans fin sur Amazon

JL Techer | 13 août 2021 - MAJ : 19/08/2021 11:40
JL Techer | 13 août 2021 - MAJ : 19/08/2021 11:40

Un quart de siècle après la diffusion de la série télé Neon Genesis Evangelion, et surtout après le traumatisme causé à son public par sa fin totalement cryptique, la saga apparemment sans fin de Hideaki Anno semble enfin arriver à son terme. Quatrième volet tant attendu de la série de films Rebuild of Evangelion, qui reprend, revoit et corrige la trame de la série originale, Evangelion 3.0+1.01 : Thrice Upon a Time a la lourde (impossible ?) tâche d'offrir à ce monument de la japanimation un adieu digne de ce nom.

LE commencement de la fin

En 1995, Shinseiki Evangelion, Neon Genesis Evangelion, arrive sur les écrans japonais et dynamite les codes de l’anime. Sous couvert d’une production TV « robot anime » destinée en apparence aux adolescents et jeunes adultes, Hideaki Anno créé une série désespérée, au contenu presque psychanalytique. Malgré ses multiples échelles de lectures, et son sous-texte renvoyant à une adolescence japonaise pétrie d’angoisses, le réalisateur parvient à fédérer un grand nombre de fans.

La série parvient à atteindre un statut quasi instantanément culte, et ce malgré des débuts assez difficiles sur TV Tokyo. Ceux qui s’attendait à voir une redite de Nadia & le Secret de l'Eau Bleue ou de Top wo Nerae ! Gunbuster), les deux premières œuvres de Anno au sein du studio Gainax, sont déboussolés, voire perdus. Cependant, Neon Genesis Evangelion conquiert les critiques et le cœur des otaku. Les fans s’identifient au héros anxieux Shinji, et la série rassemble presque toute une génération de jeunes japonais, jusqu’à ses deux épisodes finaux, cryptiques au possible, qui laissent les fans quasi traumatisés. Un climax narratif que rien ne laissait présager, et certainement pas son pitch de départ, assez classique sur le papier.

 

misatoComme un ouragan

 

Une catastrophe appelée "Second Impact" a dévasté la planète en l'an 2000. Deux milliards d'êtres humains ont péri à cause de celle-ci, et s'en est suivie une élévation du niveau de la mer, jusqu'à recouvrir une grande partie des territoires habités. En 2015, des créatures d'origine inconnue nommées "Anges" font leur apparition et semblent vouloir conquérir la Terre. L'ultime rempart contre ces entités destructrices, la NERV est une organisation située dans la ville blockhaus de Tokyo-3 à la tête de laquelle se trouve le mystérieux et froid Gendo Ikari. 

La NERV est parvenue à construire des machines de combat humanoïdes gigantesques, baptisées EVA. Seuls moyens de défense contre les Anges, ces EVA ne peuvent être pilotées que par de rares élus. Shinji Ikari est de ceux-là. Fils de Gendo, il n'a pas vu son père depuis une dizaine d'années. Croyant à des retrouvailles familiales, il a été en fait choisi par son propre père pour piloter l'EVA-01 lors d'un affrontement réel contre un Ange...

Nous n'entrerons pas plus dans les détails de la série, déjà largement disséquée dans le dossier que nous lui avons dédié. Il est cependant important de rappeler que les deux derniers épisodes de la série, dignes de courts métrages expérimentaux, avaient traumatisé toute une génération d'otaku. Une fin inouïe, qui avait provoqué un tollé auprès du public. Le scandale fut tel qu’Anno a dû fournir deux longs-métrages Death and Rebirth  et The End of Evangelion pour conclure l'affaire une fois pour toutes. 

 

photoY'a-t-il un pilote dans l'EVA ?

  

Mais cela n'a satisfait personne (et surtout pas le réalisateur), et tel Wagner voilà donc qu’Anno a mis en chantier sa tétralogie, baptisée Rebuild of Evangelion. Une version ultime de la saga, revisitée et augmentée, qui poserait un point final à toute cette histoire. Les trois premiers films se sont étalés entre 2007 et 2012, puis silence radio, jusqu'à la sortie le 8 mars 2021 au Japon du quatrième volet : Evangelion 3.0+1.01 : Thrice Upon a Time.

S'il est utile de le préciser, 3.0+1.0 sera quasi inaccessible à celles et ceux qui n'auraient pas visionné les trois épisodes précédents, ou du moins qui n'auraient pas a minima regardé la série d'origine. Le casting de la saga y est réuni au grand complet, Shinji, Rei et Asuka, de même que Mari, la nouvelle venue intronisée par la tétralogie Rebuild.

Le film prend place après le Fourth Impact survenu au Japon. Dès les premières secondes, 3.0+1.01 tranche avec les précédents, puisqu'il prend ses distances avec Tokyo-3 pour partir vers Paris. Il donne la vedette à Mari, dans un combat extrêmement violent au cours duquel la tour Eiffel trouvera une utilité inédite... Dès les premières secondes, le ton est donné, Anno n'est pas là pour caresser les spectateurs dans le sens du poil. 

 

photoIci c'est Paris !

 

Le scénario, d'une densité et d'une complexité rare, se concentre sur l'opposition entre la WILLE (organisation dirigée par Misato Katsuragi) et la NERV (sous le commandement de Gendo Ikari). Bien entendu, il ne s'agit que d'un point de départ, et révéler les tenants et aboutissants de l'histoire serait gâcher l'expérience que constitue 3.0+1.01. Un récit aux multiples ramifications, dont l'écriture est une fois encore de très haute volée.

Les dialogues n'ont jamais été aussi bien écrits (les échanges entre Rei et Shinji sont d'une justesse bouleversante) et Anno démontre une nouvelle fois son savoir-faire en termes de narration. Les rebondissements s'enchaînent à un rythme parfait, jusqu'à un climax final d'une maestria absolue qui, bien que prévisible, ne décevra pas les fans. Sur le fond, difficile de trouver grand-chose à redire concernant cette conclusion à la tétralogie Rebuild. Pour ce qui est de la forme, les choses sont plus complexes. 

  

coucher de soleilImpression soleil couchant

 

boys don't cry

L'une des plus grandes forces d'Anno a toujours été sa science du montage. Il l'a démontrée de nombreuses fois au cours de la série TV Evangelion. De sa maitrise des ellipses aux prises de risques sur les plans fixes (le fameux plan de l'ascenseur de l'épisode 22), le réalisateur a souvent été accusé d'avoir recours à des artifices pour jongler avec des contraintes budgétaires. 

Avec 3.0+1.01, il prouve une ultime fois à ses critiques que cela n'a jamais été du bricolage, mais bel et bien une maitrise du média anime. Il sait mettre la forme au service du fond : en quelques secondes, Anno parvient à transmettre une multitude de sentiments complexes via ses personnages. Pour exemple, citons un gros plan sur le regard de Shinji, qui passe de l'abattement à la détermination en quelques secondes, avec un simple froncement de sourcils, et un changement de couleur d'iris. 

 

shinjiIl a les yeux revolver

 

Qui plus est, 3.0+1.01 est d'une beauté formelle exceptionnelle. L'animation est d'une fluidité sans faille, le trait est précis, et le chara-design de Yoshiyuki Sadamoto, même s'il a peu évolué depuis 1995, reste très moderne. Les designs des EVA et des Anges sont très convaincants, voire dérangeants pour certains (EVA Mark.4444C). La 3D est loin d'être un gadget, et apporte un vrai plus au film, renforçant l'aspect cyclopéen de certains décors et méchas.

Hideaki Anno s'est fait plaisir sur l'aspect graphique et les expérimentations visuelles. Dès l'introduction parisienne, les décors en camaïeu de rouge renforcent le sentiment d'angoisse, jusqu'à la libération où Paris retrouve ses couleurs. L'auteur joue avec la colorimétrie jusqu'à la saturation, entre autres pour souligner la complexité de ses héros. Lors d'un de ses accès de rage d'Asuka par exemple, la colorimétrie explose, donnant presque l'impression d'être face à un tableau animé de Klimt. Ces expérimentations diviseront sûrement le public, mais elles ne sont en aucun cas gratuites, et viennent soutenir le fond grâce à la forme.

 

asukaSuper saiyen !

 

Pour en finir avec la forme, soulignons les superbes musiques de Shiro Sagisu, aux commandes depuis les débuts de la série historique. Il livre ici des compositions splendides, tantôt grandiloquentes (l'attaque du Wunder), tantôt intimistes (le village-03), et signe sans doute son meilleur travail depuis Berserk, l'âge d'or. Le casting vocal n'est pas en reste, et les seiyu chargés du doublage habitent littéralement les personnages

Les acteurs sont restés les mêmes depuis 1995. Megumi Obata (Sailor Uranus dans Sailor Moon), voix de Shinji Ikari, parvient à transpercer le coeur par ses chuchotements, autant que par ses hurlements. Yuko Miyamura (Toyama dans Détective Conan) et Kotono Mitsuishi (Usagi dans Pretty Guardian Sailor Moon Eternal), respectivement doubleuses de Asuka Langley et Misato Katsuragi, confèrent aussi une densité rare à leurs personnages de celluloïd. 

 

larmesLes fans à la fin de 3.0+1.01

 

merci dr. freud

Il est de notoriété publique que Hideaki Anno a injecté toutes ses angoisses et ses pulsions destructrices dans Neon Genesis EvangelionEt alors que 3.0+1.01 démarre dans le bruit et la fureur, reflet de l'aspect nihiliste de la série, le film parvient à ménager des passages inhabituellement calmes. Ces moments (le village japonais en particulier) rappellent presque la poésie du Takeshi Kitano de Hana-Bi ou de L'Été de Kikujiro. Des pauses poétiques qui permettent des réflexions émouvantes impliquant le trio de pilotes de mecha Shinji, Asuka et Rei.

Ces trois personnages sont en fait les moteurs du film. L'auteur construit le long-métrage autour de leurs évolutions respectives : Shinji sombre dans la dépression après un événement tragique ; Rei qui (re)découvre les rapports humains et le monde ; Asuka qui doit accepter sa bestialité et ses envies (sexuelles). Alors que Shinji est pris dans une spirale descendante, Rei s'élève, et Asuka doit contenir ses pulsions. Trois destinées qui sont autant de facettes de la vie de chaque être humain. Anno réussit ainsi à donner une portée quasi universelle à ce qu'on peut d'ores et déjà considérer comme son oeuvre somme.

  

reiRei, waifu de toute une génération

 

Oeuvre somme qui concentre sa substance dans la dernière ligne droite du film, véritable résumé de ce quart de siècle passé à attendre cette fin qui ne semblait jamais vouloir venir. Lors d'une ultime confrontation au sommet dont on taira les protagonistes, le duel débute par un déluge de métal s'entrechoquant (rappelant la réaction du public face à la fin de la série TV), pour aboutir à un long dialogue introspectif (comme si le recul nécessaire pour conclure dignement cette épopée était enfin atteint). 

Tout au long de cette séquence, les décors changent, et se succèdent comme autant de souvenirs qui se bousculent dans l'esprit d'un héros, et d'un fan tout à la fois. Du décor de la série d'origine, où Shinji voit l'EVA-01 pour la première fois, à une séquence dans le train, gimmick incontournable de la série, une fois encore Anno brille par sa maitrise de la mise en scène et joue avec son public, au-delà de l'écran. 

 

shinji 3Éternel ado ?


Cependant, il ne s'agit pas d'un jeu qui n'amuserait que lui. Il s'agit plutôt d'une pièce de théâtre, où les spectateurs sont presque acteurs de ce qui se passe sur scène. Et après une scène finale débordante d'émotions, laissant derrière elle toute trace du passé, ce n'est pas le très attendu "The End" qui apparait à l'écran, mais le mot japonais "Shougeki", qui désigne la fin d'une représentation théâtrale et qu'on peut traduire par "impacter". Un terme que les fans apprécieront.

Si Evangelion 3.0+1.01 Thrice Upon a Time n'est pas parfait, certains passages restant si cryptiques et hallucinés qu'on se croirait devant La Montagne sacrée, il offre cependant une fin logique, incontestable et totalement satisfaisante à la saga Evangelion. Un film essentiel pour tout fan de la licence, mais aussi pour quiconque s'intéresse à la japanimation, même si le prix à payer pour en profiter est de visionner l'intégralité de la tétralogie Rebuild.

Evangelion 3.0+1.01 Thrice Upon a Time est disponible sur Amazon Prime Video depuis le 13 août 2021 en France

 

photo

Résumé

Evangelion 3.0+1.01 est audacieux, éblouissant, introspectif et halluciné tout à la fois. Il est la fin parfaite non seulement pour la série de films Rebuild, mais aussi pour l'histoire d'Evangelion dans son ensemble.

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Lecteurs

(4.1)

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commentaires
Aymick
12/09/2022 à 02:22

Critique très bien construite. En tant que lecteur elle permet de prendre un peu de hauteur sur l'œuvre (enfin si cela est possible) surtout à la suite de la baffe de la projection.
Well done !

Noct
15/08/2021 à 20:13

Evangelion est à Anno ce que Twin Peaks est à David Lynch. Expérimentateurs, réalisateurs ambitieux d'une œuvre somme ésotérique, Shin Evangelion est la Twin Peaks : The Return du réalisateur japonais, un dernier coup d'éclat grandiose concluant non pas la tétralogie mais bien 25 ans d'Evangelion, de la série originale à cette continuité sous forme de reboot désarçonnant les fans de la première heure, eux-mêmes déjà chamboulés par The End of Evangelion..Anno n'est plus le même qu'en 95, l'eau a coulé sous les ponts, devenu adulte et mûr, son discours a évolué et le nihilisme laisse place à l'espoir. L'ado ou le post-ado dépressif est devenu parent et fait tourner cette fois toute son œuvre autour de Gendo Ikari, contre toute attente. Un père dans l'erreur qui finit par accepter son fils à travers lequel vit la mère, et le fils accepte le père.

Cryptique ? Oui, et heureusement. Hideaki Anno n'a jamais trahi ni travesti son style pour le rendre commercial ou plus accessible, mais ne sombre pas non plus dans le dadaïsme snobe. Ses séquences hallucinantes et hallucinatoires ne sont pas sans rappeler (surtout) Jodorowsky, Bergman, Lynch ou Cocteau et font partie de l'ADN intégrante du style Anno.

Une conclusion de lore et méta à la hauteur, un film d'animation de haute volée qui restera dans les mémoires tant il brille par sa technique et son écriture. Il était trois fois, le passage à l'âge adulte.

Robeucop
14/08/2021 à 13:18

BrutalWillem, ta déception est compréhensible, en même temps, qu’elle est la fin ultime / meilleure fin pour le destin de Shinij et les autres. Il est difficile de trouver une fin qui contentera tout le le monde. Ce qu’on peut dire, c’est que le sentiment de chacun de nous sera différent selon quand on a découvert Evangelion, et dans quelle circonstances. J’ai accepté la fin de la série avec mon expérience d’adolescent, j’ai accepté la fin alternative car Shinji avait tjr pas trouver les raisons qui lui permettent de faire un choix, et j’accepte la fin de RoE car je suis adulte et père, Shinji a compris et accepté de faire un choix, le père a admis être dans l’erreur et ce malgré un amour indéfectible pour sa femme. Le père et le fils se sont enfin acceptés. C’est pour toutes ces Raisons que j’accepte le message d’Anno, avec ces qualités et ces défauts

Gwadalolo
14/08/2021 à 11:37

... mais, pourquoi pas 5 étoiles ?
A mon sens, ça serait mérité.

BrutalWillem
14/08/2021 à 09:19

Mouais, après 2 visionnages même constat,ont n'apprend rien de neuf c juste une compilation des 3 autres fins déjà évoquées dans les autres opus ! Pour ce qui est de l ost j te la laisse robeucop . Peut être que ma déception est due au fait que j attendais le c métrage comme l animé ultime !

Robeucop
14/08/2021 à 08:20

La scène où la 3D est digne d’une PS2 est un effet volontaire pour accentuer le faite que le décore soit factice comme si on été dans un studio de cinéma, d’ailleurs on peut remarquer que les bâtiments se comporte comme des carton, le CGI de la tête de Rei est également accentuée volontairement par provocation, en ce plus de de la fin du film en mode IRL pour faire eco à The End Of Evangelion.
De plus toutes les thématiques abordées sont très claire et on a enfin des réponses à de nombreuses questions : Kaiji est bien mort et pourquoi il est mort, ont sais qu’elles sont les démons qui rongent Asuka (autre que le thème de l’abondons) quelle est vraiment que le plan de complémentarité de l’homme ainsi que son détournement par Guendo, pourquoi Guendo agit ainsi ….. etc. Bien que dans certain passage la musique sonne pop, les reste des compo est sublime (je vous encourage à écouter l’ost à condition d’avoir visionner le film deux fois pour se l’approprier).

Malandrin
14/08/2021 à 02:51

Alors que les thématiques abordés par le film comme par la série sont magnifiquement traitées, Anno a encore une fois à mon sens du mal à raconter son histoire tellement l'intrigue est boursouflée. Même quelqu'un qui aurait tout vu depuis le premier épisode de la série d'époque, doit quand même au moins une fois passer sur wikipédia.

Brutalwillem
14/08/2021 à 01:04

Les 40 premières minutes sont vraiment cool...le reste est imbitable, inioble visuellement (cte 3d digne d une ps2) , scènes d actions nul ,bon la musique j en parle pas sa n'a jamais été le point fort de la saga...non quoi ,9 ans merde...ben j vais rester sur the end of evangelion pour une fin satisfaisante, j le préférais déprimé le père hanno...

Kyle Reese
13/08/2021 à 23:49

Je n’ai jamais accroché à la série même si j’ai été intrigué par les designs des EVA et le mystère des anges ainsi que la poésie et le rythme lent. Est ce que regarder les 3 films sans la série vaut le coup ?
Sinon je me dis qu.une adaptation ciné fidèle vaudrait sûrement le détour.
Il y aurai tellement de belle chose à adapter aux ciné dans les série oav japonaises.
Pour les plus vieux, Goldorak, Albator, Capitaine Flam, Cobra, toujours pas adapté ….mais pourquoi ?

Robeucop
13/08/2021 à 20:52

Étant fan de la série, ainsi que de la fin originale, je considère l’intégralité des éléments evangelion sont une sorte de patchwork, c’est à nous de prendre ce qui il y’a à prendre et de nous faire notre propre histoire. Pour ma part, cette fin est à la hauteur de mes espérances, après 14 ans d’attente

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