Bonne mère : critique en majesté

Simon Riaux | 22 juillet 2021
Simon Riaux | 22 juillet 2021

Après avoir exploré la quête de l'amour et de la chair dans Tu mérites un amour, son premier long-métrage remarqué, Hafsia Herzi est de retour à la mise en scène de Bonne mère, présenté à Cannes en 2021 dans la prestigieuse sélection Un Certain Regard. Et c'est précisément de regard qu'il est question dans ce récit lumineux et accompli.

MATER GLORIOSA

Avec Tu mérites un amour, Hafsia Herzi avait créé la surprise. Tournant un premier long-métrage dans des conditions proches de la piraterie, elle développait un récit lumineux, sensuel, capable de voguer du côté de l’auto-fiction en passant par le naturalisme, pour finalement imposer un style singulier. Geste frappant, dans la continuité des cinémas auxquels elle participa comme comédienne (Kechiche et Guiraudie en premiers), son premier film trouve ici une prolongation qui en pérennise toutes les trouvailles et confirme les réussites. 

L’autrice, comédienne et réalisatrice passe désormais tout à fait derrière la caméra pour narrer le quotidien de Nora, mère et grand-mère consacrant l’essentiel de son existence à maintenir denses les liens qui réunissent ceux qui vivent sous son toit. Une famille élargie bien au-delà de sa définition nucléaire, qui fait d’elle la cheville ouvrière, la matrone... et la sainte laïque. C’est d’ailleurs ce qui frappe en premier lieu dans le deuxième film de Herzi. La permanence d’une grâce qui s’immisce dans chaque plan, au détour de la moindre réplique, au sein des innombrables jeux de regards qui émaillent les longues séquences qui composent le portrait de Nora.

 

photo, Sabrina BenhamedEntre rap et réseau

 

Si ferveur il y a, c’est d’abord celle des photos, produits du soleil de la cité phocéenne ou des néons de l’aéroport de la Timone, où travaille le personnage. La réalisatrice compose ses cadres à la perfection, collabore formidablement avec son directeur de la photographie Jérémie Attard (qui a oeuvré sur l'éblouissant Mektoub My Love, excusez du peu). Tous deux parviennent avec une évidence confondante à faire cohabiter l'âpreté d'une ville qui menace de s'écrouler à chaque instant sous son propre poids, avec la légèreté qu'appellent ses couleurs, la chaleur qui l'envahit sitôt le jour éveillé.

Marseille ne manque pas d'éclats dans de nombreuses productions hexagonales contemporaines, mais Hafsia Herzi paraît en intercepter de nouvelles nuances au fur et à mesure que progresse Bonne Mère. Précisément parce qu'elle n'en reste jamais à la surface des choses, parce qu'elle réussit à enregistrer quelque chose de la lumière des lieux, sans jamais oublier que ce sont ses personnages qui en demeurent le vecteur premier.

 

photo, Halima BenhamedUn récit en bord de mère

 

LE GOÛT DES AUTRES

À l'heure où le film "de banlieue" est un motif présent dans la production française, quelques semaines après la sortie du remarqué Gagarine, la réalisatrice promène sur les barres de bétons et leurs habitants un regard bien spécifique, qui marie idéalement la bienveillance, la proximité et une captation sans fard des enjeux qui habitent ses personnages. De prime abord, on demeure rivé aux pas de Nora (stupéfiante Halima Benhamed), ses rituels quotidiens, ses travaux et ses interactions sociales, portées par une douceur et une endurance sans borne. En majesté, sainte laïque, elle n'est finalement pas ici pour être portée aux nues, mais bien colorer les yeux du spectateur, et l'amener à appréhender à sa manière les faits et gestes qui l'environnent.

Que son dévouement soit reçu avec gratitude, inconséquence voire défiance, elle nous donne à saisir comment dans chaque situation se niche une humanité qui aura été inexorablement rapiécée par la parole publique et des assauts d'imagerie médiatique complaisante, ou franchement à charge. Parce qu'elle embrasse, son (ses) sujet(s) Hafsia Herzi peut en explorer les zones d'ombres, sans jamais verser dans le misérabilisme ou la condescendance.

 

photo, Halima BenhamedLa force (in)tranquille de Nora

 

Un positionnement qui ouvre des zones inattendues, au carrefour du "cinéma-vérité" de l'exploration sociologique et de la comédie, comme quand deux complices se retrouvent plus ou moins dépassées par les évènements à rejoindre un réseau de prestation BDSM, ou qu'une mère tente par des biais pas exclusivement légaux d'accompagner un fils en prison. Ces séquences, riches et paradoxales, saisissent systématiquement le spectateur, les humanités singulières qui s'y entrechoquent. À la rencontre de ces saynètes à l'écriture ciselée, d'une captation faussement naturaliste, tant elle révèle d'intelligence dans la composition des plans, se niche une proposition de cinéma pas loin d'être unique, qui pense et panse ses personnages.

Enfin, la parenté entre la forme d'un Abdellatif Kechiche et le verbe d'un Alain Guiraudie ont beau être éclatantes, il est touchant, puis impressionnant, de constater comme la cinéaste tire de ces gammes une forme qui n'appartient qu'à elle.

 

Affiche française

Résumé

Débutant comme la chronique humble d'un quotidien dédié aux autres, le récit de vie de cette Bonne Mère prend une folle ampleur à mesure que Hafsia Herzi déploie toute l'étendue d'un cinéma du regard et de la lumière.

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