Titane : critique d'une mutation palme d'or

Alexandre Janowiak | 16 mai 2022
Alexandre Janowiak | 16 mai 2022

Titane est ce soir à 21h09 sur Canal+.

Quatre ans après avoir marqué les esprits avec son Grave, Julia Ducournau est bien décidée à remuer le genre français (et le cinéma tout court) avec son second long-métrage TitaneSélectionné en compétition à Cannes 2021, le film a reçu la Palme d'or. Le film tient-il toutes ses promesses ? La réalisatrice française confirme-t-elle son talent ? Critique.

TITANESQUE

C'est peu de dire que les attentes étaient élevées autour du Titane de Julia Ducournau. D'autant plus que le film se faisait bien mystérieux entre sa bande-annonce énigmatique et son pitch encore plus nébuleuxTitane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs, souvent utilisé sous forme de prothèses en raison de sa biocompatibilité. Tout juste entendait-on de lointains échos dépeignant "un slasher très trash" lorgnant sur les plates-bandes du Crash de David Cronenberg.

Et en effet, très vite, Titane roule dans cette direction et s'élance dans un pur slasher (à la limite du revenge movie) lorsque son héroïne tue froidement un de ses fans incapable de prendre un "non" pour un non. Suivant alors son anti-héroïne Alexia (une Agathe Rousselle absolument démente) dans ses plus cruels et "basic" instincts (un clin d'oeil au film de Paul Verhoeven est évident), le long-métrage s'engouffre dans un territoire ultra-violent. Les mises à mort s'y enchaînent de manière jubilatoire (cette maison bien trop habitée), novatrice (sacré tabouret) et particulièrement soignée visuellement.

 

 

Un terrain de jeu enflammé avec lequel Julia Ducournau semble partie pour suivre un chemin tout tracé, et ce malgré une scène de sexe à la mécanique bien rodée et agitant le spectre de Christine. Toutefois, la sensation d'une oeuvre mutante se dessine. Si le slasher est présent, il semble motivé par des envies différentes des prérequis du genre (malgré leur atroce brutalité, les massacres ont quelque chose d'étrangement amusant).

Et en effet, cette tonalité incongrue était un signe avant-coureur, la cinéaste déjouant les attentes après une grosse vingtaine de minutes pour mieux tout bousculer.

 

photo, Agathe RousselleLe rugissement d'une lionne

 

ALEXIA AU CRÂNE DE TITANE

Derrière le slasher gore et trash tant espéré s'offrant aux spectateurs, Julia Ducournau dissimule en fait une oeuvre bien plus passionnante et déroutante. Dès lors que d'étranges phénomènes se manifestent, le personnage d'Agathe Rousselle va se muer dans un geste radical (qu'est-ce qui ne l'est pas dans le film ?) provoquant in fine la bascule de registre du long-métrage. Le récit de serial killer s'éteint peu à peu pour se transformer en délire de body horror tout bonnement fascinant.

Une body horror frenchie qui emprunte évidemment aux oeuvres de Cronenberg tout autant qu'à David Lynch, deux cinéastes que la jeune cinéaste n'a jamais caché vénérer. Toutefois, force est de constater que la proposition cinématographique de la Française ne s'en contente pas. Bien au contraire, elle vient surtout visiter des contrées inexplorées, singulières et très personnelles, plongeant ses personnages dans un territoire aussi riche qu'innovant.

 

photo, Vincent LindonExcellent Vincent Lindon 

 

L'arrivée de Vincent Lindon dans l'équation Titane rebat encore un peu plus ses cartes, l'épate sanglante des premiers instants se métamorphosant en quasi-conte fantastique et drame familial intimiste (et parfois drôle, "hey macarena !"). Titane bascule alors dans une autre dimension où le choc visuel devient un choc viscéral qui ne prendra fin qu'au lancement du générique final.

Les corps des personnages y sont malmenés, mutilés, agressés, poussés dans leurs retranchements... mais Julia Ducournau finit par les sublimer, en tirer le meilleur. Et de fait, elle vient surtout exposer un regard vivifiant et neuf sur les corps de tous les sexes (voire plus encore). Dans un geste logique et évident, la Française étend alors les thématiques de son premier long-métrage voire les complète.

Si Grave explorait la quête de son soi tout en s'attaquant aux impératifs d'une féminité dictée par une société patriarcale, Titane vient complètement exploser la virilité masculine (ou toxique, c'est selon). Surtout, le long-métrage déconstruit complètement le male gaze. La cinéaste donne alors une vision innovante sur les corps et le regard que la caméra leur porte ; et plus encore, elle délivre un message universel sur l'idée même d'identité.

 

photo, Garance MarillierUn jeu de lumière exaltant

 

ANNIHILATION

Car finalement, pour la réalisatrice, l'idée même de genre n'a pas de sens. Par conséquent, les prérequis sociétaux de chaque sexe - la virilité masculine d'un côté, la sensualité féminine de l'autre, pour caricaturer - ne sont que des insultes à l'identité de chacun et chacune. Un homme a le droit d'être tendre et sensible (Vincent) tout autant qu'une femme peut se montrer violente, négligée ou carrément abominer la pensée d'être enceinte (vous vous souvenez du passage de la bouteille de vin dans Gone Girl ? Vous n'êtes pas prêts) comme Alexia.

Et au-delà de son questionnement sur les mutations des genres et corps humains, on peut supposer que c'est finalement la mutation même du cinéma (de genre) qu'ausculte Julia Ducournau à travers son Titane. En jonglant d'un style à un autre, d'une émotion à une autre, le long-métrage est aussi un objet en pleine mutation. Il se cherche lui-même constamment, prouvant que le genre n'a pas un seul et même visage et peut s'ouvrir les portes d'un possible sans limites pour complètement renaître (le dernier plan sans équivoque) s'il ne s'enferme dans aucune case.

 

photoAllumer le feu pour mieux tout exploser

 

Dans sa démarche meta, le film en perd ici ou là sa puissance, sa frénésie et son rythme (on accuse un petit coup de mou avant son dernier tiers). Des menu-défauts qui n'empêchent pas pour autant Titane d'être d'une beauté déconcertante (quel travail formidable du chef op Ruben Impens déjà derrière la photo de Grave) et de reposer sur une mise en scène aussi percutante que délicate.

Mieux encore, les quelques faiblesses n'empêchent pas le film de se clôturer dans un grand final d'une envoutante bizarrerie dont on ressort avec une intime conviction : celle d'avoir découvert un film à l'identité unique, la sienne.

 

Affiche française

Résumé

En mutant du slasher trash au délire fougueux de la body horror et la douceur du drame familial intimiste, Titane surprend et décontenance. Une expérience viscérale singulière qui détruit le male gaze pour mieux explorer l'identité humaine, sublimer les corps et ouvrir les possibles du cinéma.

Autre avis Mathieu Jaborska
L'étude sensorielle de corps broyés par la masculinité, en perpétuelle recherche d'identité, s'avère effectivement fascinante. Mais Titane reste peut-être trop souvent à la lisière de l'hybridation totale pour ne pas se faire écraser par ses illustres références.
Autre avis Simon Riaux
Grâce à une mise en scène hallucinée et des interprètes incandescents, Titane est une expérience sensorielle remarquable, en dépit d'une écriture trop inégale et parfois timorée.
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Lecteurs

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commentaires
Gwadalolo
02/01/2023 à 17:17

Caricatural, incohérent, inabouti, Titane m'a laissé totalement froid. J'ai dû passer à côté.
Alors oui, la mise en scène, les acteurs, le visuel, mais tout ça pour quoi ?
Une femme meurtrière et un pompier sympa (mais pas du tout sympa en fait), si c'est ça la confusion des genres version Palme d'or, c'est un petit peu navrant tout de même. Et ce début trash-crash-porn sur carrosserie, pfffff ... Imaginons un instant si un homme avait été le réalisateur de cette scène clipesque daubée, qu'elles auraient été les réactions (méritées) ? Un regard sur le mâle gaze ? Plutôt un (fe)male gaze, en quoi c'est mieux je ne sais pas. Après la réalisatrice ne fait pas dans la finesse, pourquoi pas, mais je ne comprends pas trop les éloges du coup. Au moins Grave restait centré sur son sujet.
"Et si je mettais une louche de body horror histoire de continuer à enchaîner des plans", j'ai eu cette impression en regardant le film. Un lien thématique avec le slasher du début ? Mais pour quoi faire hein, pas la peine. Ou alors l'idée c'est qu'une mandale c'est un corps qui change ? Encore de la finesse ... Un lien avec l'ambivalence (à peine suggérée ha ha) du pompier pour son faux fils ? je vous la fait courte, pas davantage. En lisant le commentaire sur le fait que c'est très inspiré d'un documentaire sur un fait divers, on comprend mieux: l'incohérence d'un fait divers avec des obsessions de la cinéaste plaquées dessus au forceps. C'est en effet dur à regarder, mais pas pour les raisons annoncées.
Je partage totalement l'opinion de Mortensen, Crash (que je n'aime pas beaucoup) est bien meilleur.

Sommelier8413
30/05/2022 à 21:00

Bon, vu récemment sur canal et franchement...pffff, j'ai vraiment résisté pour voir comment ça allait finir, si j'aurais pu comprendre certaines scènes du film, où tout cela allait nous mener. Et pourtant l'envie de couper le film m'a dėmangė plusieurs fois !! Aucune empathie envers les personnages, aucune idée ou début de cohérence du scénario. Après pourquoi ça a plu au jury du festival, franchement aucune idée !

Filou
18/05/2022 à 23:03

Une merde

Euh
18/05/2022 à 09:42

“In my opinion, no offense to the director of 'Titane' [Julia Ducournau], but 'Crash' was head and shoulders above that movie, because it wasn't just about superficial shock value and unconventional imagery,” Mortensen told The Hollywood Reporter

MacReady
17/05/2022 à 13:30

Quand quelqu'un te cite le box-office comme preuve de la qualité (ou non) d'un film, juste pour essayer de démontrer qu'on a raison de ne pas aimer Titane, tu vois qu'on a atteint un point de mauvaise foi et rage aveugle très comique.

Miss M
17/05/2022 à 13:09

Une vraie purge ce film.... Je rejoins beaucoup de commentaires qui vont dans le même sens. Tout comme Grave (qui est finalement une histoire bidon de famille cannibale de mères en filles), Titane promet beaucoup dans la bande-annonce mais n'offre finalement qu'un néant total. Quelques rares éclats de grâce d'un Lindon exceptionnel, d'une Agathe Rousselle électrisante (comme en son temps d'une Garance Marillier organique) ne font pas "un film". Tout juste quelques imags pour un clip très bien léché en terme de photographie et d'ambiance mais pour grand max quoi... allez... 15 mn ? 20mn ? Pour ces 2 longs métrages le défaut de Durcourneau à mes yeux est double : ses scénarios ne sont développés que sur quelques lignes d'intro et ses histoires sont à dormir debout. Je pense qu'elle ferait d'excellents courts ou moyens métrages mais pas plus.

La Classe Américaine
17/05/2022 à 13:08

Est-ce que la rédaction pourrait rappeler les chiffres faramineux que ce chef-d'oeuvre récompensé a Cannes a accomplit au box-office?....

gouyou31
17/05/2022 à 10:20

Mais quelle purge ce film !
Alors effectivement, y'a une esthétique et Julia Ducornau sait filmer, mais il manque clairement un scénario. Je me suis ennuyé au plus haut point passé les 20 premières minutes.
On est loin de la promesse donnée par la bande annonce et les diverses critiques, typiquement un film dédié à l'intelligentsia qui n'a jamais rien compris aux films d'horreur et cherche à trouver des sensations fortes.
Palme non méritée, et clairement le plus mauvais film que j'ai vu l'année dernière

Hugo Flamingo
17/05/2022 à 09:58

Personne n'en parle mais Titane est quand même vachement inspiré de l'émission ''on a échangé nos mamans' ; là c'est avec des papas.
Et aussi de l'émission ''extreme makeover''. Titane est au cinéma ce que TPMP est à la télévision.
Sinon y a de super choses dont le film qui ont été piquées dans des films, docu etc.

Neji
17/05/2022 à 01:39

La mise en scène effectivement est plutôt calibré , la photo très léché , le son également .
Mais par contre que c'est con , il manque un scénario et Franchement l'ennui prédomine sur le reste , ce fut un combat perso pour terminer le film sans parler de la violence gratuite et exarbé mais bon ça passons la réal doit avoir 2 ,3 à régler avec son psy...

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