Black Water : Abyss - critique qui leurre, croque

Mathieu Jaborska | 8 avril 2021 - MAJ : 08/04/2021 18:05
Mathieu Jaborska | 8 avril 2021 - MAJ : 08/04/2021 18:05

En 2007, Black Water s'était attiré les faveurs des crocophiles grâce à un traitement bien plus réaliste que la moyenne des séries B aquatiques, imposé par un budget rachitique. Un petit succès d'estime qui a permis à son réalisateur Andrew Traucki de décliner la formule dans un film de requin en 2010 : The Reef, probablement une des meilleures productions récentes du genre. Sept ans après son found footage de triste mémoire The Jungle, il donne une suite à son premier long-métrage : Black Water : Abyss. Au programme : spéléologie et larmes de crocodile.

Belle bête underground

Au sein de l’armée de producteurs derrière ce deuxième Black Water se trouvent quelques personnalités familières, comme Christopher Figg, roi de la série B rentable puisqu’il était aux manettes des premiers Hellraiser, de Dog Soldiers ou même de Mandy. Mais il y a aussi le trio de petits malins formé par Andy Mayson, Mike Runagall et Will Clarke, qui, outre Guns Akimbo, est derrière la sympathique saga 47 Meters down et ses requins voraces.

Difficile d’éviter le parallèle entre ces deux franchises, toutes deux nées de micro-phénomènes réjouissants de séries B animalières se démarquant par un vrai sens du suspens, puis délocalisées dans une grotte pour un deuxième opus avide de pousser un peu les potards de la noirceur. La similitude est si frappante qu’on en vient à se demander si le concept vient vraiment des scénaristes Sarah Smith et John Ridley, et non pas d’exécutifs lorgnant les 42 millions de dollars de recette que 47 Meters Down : Uncaged a généré sur sa seule sortie salle.

Néanmoins, film de crocodile oblige, la grotte n’est ici pas immergée, du moins pas au début. Les cinq malchanceux qui y descendent ne sont rien d’autre que des jeunes inconscients en manque de frissons et heureux d’inaugurer un nouveau réseau de cavernes. Un pitch qui renvoie évidemment à l’autre principale influence de ce Black Water : Abyss, et pas des moindres. Traucki s’inspire évidemment de The Descent, le chef-d’œuvre de terreur de Neil Marshall, dont il s’accapare la structure, il est vrai, particulièrement adaptée à son style.

 

photoLe club des 5 se fait croquer

 

Comme Marshall, le cinéaste prend généralement soin d’accorder du temps à son premier acte et de jouer la carte du doute pendant la première demi-heure. Malheureusement, s’il se débrouille très bien avec les crocos, il gère beaucoup moins la claustro. Incapable de tirer le meilleur des rares instants où il oppresse véritablement ses personnages contre la paroi, le film se déroule presque intégralement dans une vaste salle souterraine. Plutôt que de s’amuser des sinuosités qu’implique un tournage en studio au sein d’une fausse cavité, l’équipe créative transpose bêtement l’action du premier long-métrage dans une grotte, et n’exploite que son potentiel narratif (l’eau monte, il faut sortir).

Certaines séquences en deviennent extrêmement frustrantes, à l’image de l’emprunt du dernier tunnel. Sur le papier, il était source de terreur, mais dans la réalité, il est réduit à un insert furtif, transition vers un climax aussi peu intéressant qu’assurément bête. Parfois très inspirés quand il s’agit de ménager les apparitions de sa vedette à écailles, Traucki et ses scénaristes semblent pourtant presque subir les prémisses de cette suite. Faute d’embrasser complètement son concept, elle finit par se conformer aux standards les plus ronflants du genre, précisément ceux que le metteur en scène était parvenu à esquiver dans ses deux premiers essais.

 

photoSpéléologie niveau débutant

 

Breakfast club

Même la mise en scène du crocodile, pourtant le clou du spectacle des longs-métrages de Traucki, pâtit de ce statut de suite. Conscient qu’il va devoir renouveler un style qui s’appuyait – et là était son intérêt – uniquement sur le montage, le réalisateur choisit une approche hybride, à la fois respectueuse de son pseudo-réalisme et capable de proposer quelques plans marquants. L’idée fonctionne par intermittence, redoutable lors de certaines attaques souterraines, complètement bancale dans un climax bien trop lumineux pour son propre bien, dans lesquels les CGI si soigneusement évités jusqu’ici par l’artiste brillent par leur irrégularité.

Tout le long-métrage souffre de cet entre-deux, forcé de passer une étape dans le spectaculaire sans pour autant trahir les ambitions esthétiques de l’auteur. Les séries B et les compromis font rarement bon ménage, et le fruit de cet exercice d’équilibriste le prouve une fois de plus. Finalement, ce sont les défauts des deux approches qui transparaissent : d’un côté, la répétitivité très schématique du naturalisme animalier, de l’autre, la qualité irrégulière des effets spéciaux. Coincé entre ses propres idées et l’aspect très mercantile de ce second opus, le metteur en scène choisit malgré lui la voie de l’uniformisation.

 

photoLes yeux de la mer

 

Car le principal handicap de ce Black Water : Abyss reste son scénario, cochant toutes les cases de l’épouvante fauchée. Quand la version de 2007 visait le minimalisme, se repaissant des réactions paniquées de ses personnages, cette cuvée 2020 tente désespérément de caractériser le groupe d’amuse-bouche avec une introduction inintéressante au possible et des sous-intrigues aussi attendues (l’éternel mytho responsable est au rendez-vous) que stupides. L’une d’entre elles confine carrément au soap opera, ravivant au détour de quelques twists aussi foirés que prévisibles une moraline qui colle toujours à la peau du genre depuis les années 1980 (toi pas gentil, toi mourir).

Complètement pourri par une troupe de stupides jeunes adultes dont les choix irritent bien trop pour qu’on les plaigne, le film se laisse en plus aller à quelques facilités narratives crispantes, achevant de le pousser dans la case de l’horreur peu inspirée, case dont s’était justement extrait Traucki dans Black Water. Débarrassé bien malgré lui de son arme stylistique, il patauge dans des eaux croupies, celles de l’exploitation de son propre concept. Est-ce la fin de l’aventure pour ce pourvoyeur de bestioles flippantes ? Aux vues de cet essai très maladroit, son implication dans la pré-production d’une suite de The Reef laisse présager du pire.

Black Water : Abyss est disponible en DVD et VOD depuis le 10 décembre 2020

 

Affiche

Résumé

Un peu gêné par son statut de suite, au point de malmener le style de son auteur, Black Water : Abyss souffre surtout d'un scénario qui multiplie les pires clichés du genre, en dépit de son approche semi-réaliste.

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