Le Blues de Ma Rainey : critique des adieux de Black Panther sur Netflix

Alexandre Janowiak | 18 décembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Alexandre Janowiak | 18 décembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Entre MankLes Sept de Chicago ou Da 5 Bloods : Frères de sang Netflix a déjà mis le paquet pour la course aux Oscars 2021 et ne compte pas s'arrêter là avec les sorties prochaines de Minuit dans l'universPieces of a Woman ou encore Malcolm & MarieMais entre tout ça, la plateforme pourrait bien faire de Le Blues de Ma Raineyporté par feu Chadwick Boseman, son grand favori.

FRÈRES DE SANG

Après l'adaptation du musical de Broadway The Prom par Ryan Murphy (et sans grand succès), Netflix continue ses adaptations avec cette fois la pièce de théâtre de l'écrivain afro-américain August Wilson : Le Blues de Ma Rainey. Le long-métrage raconte donc l'histoire de Ma Rainey, "mère du blues", et de l'enregistrement de son nouvel album avec ses musiciens, les producteurs blancs et le lot de tensions qui en émanera en cette longue après-midi caniculaire de 1927.

Et de ce pitch de départ, le film de George C. Wolfe n'en sortira jamais vraiment, se donnant corps et âme pour coller au mieux à la pièce qu'il met en scène. Ainsi, le réalisateur livre un huis clos intense, transpirant et bouillonnant, souvent très dynamique (beaucoup de musiques) et plutôt bien rythmée (grâce à un montage qui suit la musique), jouissant d'une durée courte, mais opportune avec ses 1h34. 

Mais plus qu'un simple huis clos musical d'un minimalisme parfois déconcertant (outre une rue passante magnifiquement reconstituée, le long-métrage se déroule uniquement dans le studio), Le Blues de Ma Rainey est avant tout l'occasion de plonger au coeur d'un récit d'une grande actualité.

 

Photo Michael Potts, Chadwick Boseman, Colman DomingoAu travail

 

LE BLUES DE VIVRE

La musique au centre du long-métrage, et notamment le fameux morceau Black Bottom, est surtout la source de discussions enflammées sur le racisme, la lutte sociale des Afro-Américains, l'appropriation culturelle (une dernière scène terrifiante), le sexe (Ma Rainey est ouvertement lesbienne) ou l'art. Des sujets au coeur des questionnements de l'époque, et encore très actuels près de cent ans plus tard, démontrant les affres d'une nation si loin du rêve qu'elle promet.

Toutefois, les confrontations entre les personnages manquent assurément de vigueur durant cette grosse heure et demie de métrage. En effet, le classicisme de Wolfe n'est jamais une valeur ajoutée, exception faite d'un travail remarquable sur la lumière et d'une scène d'ouverture judicieuse.

 

Photo Chadwick BosemanUne lumière magnifique

 

Les salves de dialogues s'enchaînent de manière extrêmement théâtrale, trop même. Et ce qui fonctionne au théâtre ne marche pas forcément sur grand écran (et même petit ici avec Netflix). Par conséquent, le spectateur n'a jamais vraiment la possibilité de vivre pleinement la puissance émotionnelle ou dramatique des séquences, le cinéaste l'empêchant de souffler et donc de les mûrir en profondeur.

S'il est porté par la musique, le spectateur risque alors, malgré son implication, d'en oublier le principal : la portée philosophique, sociale ou politique des propos engagés du film. Trop parlés, pas assez naturels et donc un tantinet artificiels ou englués au milieu de séquences terriblement bavardes, les dialogues de Le Blues de Ma Rainey écrasent le public d'un trop-plein de réflexions, passionnantes certes, mais rarement capables de prendre vie (à défaut de prendre corps).

 

Photo Viola DavisViola Davis méconnaissable

 

BOSEMAN FOREVER

Au milieu de ce quasi-théâtre filmé, il reste en effet deux inoubliables performances. D'abord, il y a évidemment Viola Davis dans la peau de Ma Rainey, la mère du blues, seul personnage du film ayant réellement existé.

Toujours aussi charismatique, l'actrice oscarisée de Fences y est grimée d'un maquillage outrancier et d'une dentition métallisée et dorée impressionnante qui vient parfaire le portrait de cette femme de caractère. Son talent musical (mais surtout l'argent qu'il rapporte) aura forgé un semblant de respect de la part des blancs à son encontre, même si le chemin reste long et sinueux. Par sa voix et sa carrure, l'actrice offre une prestation épatante et profonde, sans doute une des plus compliquées et engagées de sa riche carrière.

 

photo, Chadwick BosemanLes adieux déchirants de Chadwick Boseman

 

Puis il y a surtout Chadwick Boseman, le regretté T'Challa de Black Panther. Indiscutablement, si le film porte le nom de la mère du blues, c'est bel et bien Levee, le personnage incarné par l'acteur, qui en est au coeur. Entre colère et exaltation, sa trajectoire semble dessiner celle d'une communauté tout entière. Parmi les longues plages de discussions du long-métrage, ce sont avant tout ses monologues qui restent en tête. Après le très émouvant sur ses traumatismes d'enfance, c'est sa rage explosive contre Dieu et les illusions de la foi dans le dernier tiers du métrage qui marque.

Un passage qui résonne avec le sort du comédien. Absolument déchirant, son visage réussit à capter la myriade d'émotions, du sourire plein d'espoir aux larmes d'une douloureuse réalité, qui traverse son personnage. La générosité et la noirceur de sa performance semblent d'ailleurs curieusement (est-ce vraiment un hasard ?), chaque instant, poussées par sa propre existence, lui se sachant menacé par le cancer qui lui arrachera la vie en pleine ascension (un an après le tournage).

Cette ultime prestation de Boseman, en plus d'être la plus grande de sa carrière (et oscarisable), offre alors au film sa plus grande force : une âme, la sienne. Suffisant pour en faire le chant du cygne de Boseman, pas assez pour faire de Le Blues de Ma Rainey un grand film.

Le Blues de Ma Rainey est disponible sur Netflix depuis le 18 décembre 2020

 

Affiche française

Résumé

En ne réussissant jamais à s'affranchir de son atmosphère théâtrale, Le Blues de Ma Rainey vaut essentiellement pour l'ultime performance transcendante de Chadwick Boseman.

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commentaires
Birdy
20/12/2020 à 14:28

@ Sanchez : je t'en prie, je te retourne le compliment.
J'ai repensé depuis à un phénomène d'identification du même genre en France : Bienvenu chez les Chtis.
Le film est selon moi moyen, et pourtant, succès historique.
Mais surtout, les Chtis ont été profondément marqués par ce film qui les "réhabilitent", pour lequel ils sont fiers.
Je me souviens d'avoir 2 ans après sa sortie croisé un chtis de 55 ans dans le train qui m'a dit l'avoir déjà vu 20x, en gros il se le fait 1x par mois.

Sanchez
20/12/2020 à 13:47

@birdy mason
Merci pour ton point de vue , ça fait plaisir de pouvoir débattre. Je n’ai malheureusement pas le temps de continuer mais je pense que nos 2 points de vue ont pu être exprimé sans invectives donc merci

Back in black 2
19/12/2020 à 19:39

Après je ne comprends pas ces critiques sur Black Panther pour une fois qu’on met en avant un royaume techniquement super avancé avec un super héros noir bravo !!!!
Même si le film est moyen on s’en fout !
Ils pourraient aussi moderniser la franchise XMen avec Storm comme leader comme c’est le cas dans le comics
Bref il y a de l’espace
Ce sont des films positifs qui ne s’appesantissent pas sur le problème raciste
En un mot bravo

Back in black
19/12/2020 à 19:14

Il y a vraiment un mélange des genres ici
L’acteur fait très certainement une performance exceptionnelle compte tenu de sa maladie ! Cela demande un courage et une dignité très clairement supérieure et cela n’a rien à voir avec le fait qu’il soit noir
Ensuite il y a un problème évident de racisme aux EU qui remonte à très longtemps et il y a même eu une guerre civile et 700 000 morts pour cela. Maintenant les États Unis viennent d’avoir un président noir d’une stature exceptionnelle réélu 2 fois donc tout ne va pas si mal
Après c’est faux de dire qu’il y a une communauté noire mondiale c’est comme si on disait qu’il y avait une communauté jaune ou blanche ... c’est un fantasme d’antiraciste bas du plafond

Birdy Mason
19/12/2020 à 10:39

@ Sanchez : le débat est intéressant et je le poursuis car tu argumentes et je te sens de bonne foi. Donc déjà désolé pour le sarcasme du post précédent, je t'ai un peu vite jugé.
Mais je ne suis pas du tout d'accord avec toi.
1. Le film est nul, ok, tout le monde est d'accord, même pas besoin d'en parler. Pourquoi donc un tel impact sur la communauté noire ? Aie, elle n'existe pas selon toi. Excuse ma terminologie si c'est elle qui te gène, mais si, elle existe, à partir du moment où une population se sent unie par un point commun suffisamment fort.
La communauté "féminine" n'existe pas, mais être simplement une femme pourrait suffire à défendre une cause féministe (si elle est sincère), parce que ça te touche dans ta chaire.

2. La couleur de peau est à la mode, hélas. Des noirs de tout pays, de toute langue, sont opprimés pour ça. Certains refusent l'amalgame, pas de souci, mais l'intolérance et le racisme existent. Aux EU, la police teste même ses munitions sur des gens qui ont le malheur d'être au mauvais endroit au mauvais moment, et curieusement très souvent noirs.
Bref, sans tomber dans l'analyse de 400 ans de soucis américains, il y a un ras le bol, qui s'exprime parfois aussi dans un coup de coeur positif pour un personnage qui les rend fier, enfin un peu de lumière, de respect, pour eux. Le héros du genre ciné le plus en vogue (hélas) est noir. Evidemment que ça a existé, que de grands acteurs afro américains ont démontré l'étendu de leur talent, et pas qu'au cinoche. Mais là, en pleine période Marvel (portée mondiale), Black Panther vient en plus défendre un pays africain comme le summum de la tech ? Je suis blanc, mais si demain mon bled (dénigré depuis toujours) devient le centre du monde le temps d'un film, crois moi au minimum je fonce voir le film.

3. Je conclus : être fier de ses origines, c'est être fier de ce qu'on est. Black Panther et Chadewick ont simplement permis à tous les noirs qui en avaient besoin, envie, de revendiquer qui ils étaient apparemment ils étaient nombreux. Pourquoi sur ce mauvais film plus que sur le génial Spiderman New Generation, ou autre ? Phénomène de mode repris par les médias, surfant sur l'impact mondial d'un Marvel qui a (je rappelle quand même) mis du temps à se faire.
L'impact émotionnel de la mort de l'acteur se ressent encore, un peu comme pour Ledger. Ces stars partent en plein succès, forcément ça touche plus, ça se médiatise plus, et ça saoule certains (dont toi apparemment, car ça s'éloigne trop des vrais qualités du film et de jeu de l'acteur). On a en réalité dépassé depuis un moment le cadre du cinéma.

Sanchez
19/12/2020 à 09:58

Pour en revenir à la critique , il est évidemment normal de noter la performance de l’acteur si elle est formidable , mais parler de « l’ultime performance transcendante » comme si on nous surveillait et qu’on allait nous mettre un bon point c’est un peu excessif quand ledit acteur n’a joué dans aucun film « transcendant » justement

Sanchez
19/12/2020 à 09:20

@birdy avocat .
Tiens tiens c’est très intérêt mon cher ami. Déjà arrêtons avec cette histoire de communauté mondiale des noires. Une communauté se construit sur la langue , les références historiques , les coutumes et traditions et non sur la couleur de peau. Il n’y a donc pas de communauté noire à proprement parler. Par contre il y a des communautés martiniquaise , sénégalaise etc.. A entendre certains l’Afrique n’est qu’un grand pays avec pleins de noirs dedans en niant toutes la richesse des langues et des peuples qui la compose.
Si des gens se retrouvent dans le navet Black Panther , c’est dramatique ! Aucun film n’aura été plus caricatural avec l’Afrique , c’est un mix grossier de bcp de coutumes en mode safari, une vision bien américaine d’une partie du monde encore une fois ! Le système politique du Wakanda fait passer la Corée du Nord pour le pays des droits de l’homme. Voici donc l’Afrique résumé en un seul pays d’après Marvel. Si des noirs américains trouvent une fierté là dedans , c’est parce qu’ils ont une vision américaine du monde.
Pour Chadwick Boseman , dire que c’est un acteur exceptionnel parce qu’il est noir est vraiment raciste. Il y a eu bien des acteurs noirs avant lui , faut il le préciser, qui ont bien plus permis leur visibilité à l’écran. Si sa mort touche les gens c’est parce qu’il est mort très jeune et ça nous renvoie à notre propre mortalité , du coup on se dit que ça peut nous arriver et on flippe. De plus , c’était un super héros et on nous dit qu’ils sont invincibles à longueur de film et là pouf ! La mort d’un homme est toujours dramatique mais Chadwick Boseman n’avait rien d’une icône ou d’un grand acteur , il faut être honnête. Je pense m’être justement posé les bonnes questions

Birdy avocat
19/12/2020 à 01:49

@ Sanchez : comme tu annonces la couleur d'entrée, tu n'as pas vu le film. Donc tu ne sais pas si l'acteur est bon dans le rôle. Tu es juste chafouin parce que sa couleur de peau lui vaut des louanges depuis sa mort. Du coup si on peut rétablir ta vérité, autant pas de priver.
Mais sinon, tu te dis pas 2 sec, dans un moment de lucidité, qu'il est devenu le super héros d'une communauté qui s'est toujours sentie mise de côté (pour rester poli) ? Qu'il l'a rendue fière quelle que soit la qualité du film ? Que ça représente plus que du cinéma de divertissement ?
Sa mort a ému, que ça te dérange en dit long sur ton état d'esprit, pose toi un jour les bonnes questions l'ami.

Sanchez
18/12/2020 à 20:36

« L’ultime performance transcendante de Chadwick Boseman »
Ahah vous étiez si proche ou quoi ? Bon ok je n’ai pas vu le film mais vous en parlez comme si c’était Denzel Washington . Arrêtez les bonbons , c’est pas parce qu’il est mort trop jeune qu’on doit faire des torrents de louange. Le rôle dans lequel il est le plus connu est son pire : complètement transparent dans Le nanar Black Panther où même la petite sœur qui pèse 40 kilos a plus de charisme que lui. Ensuite dans quoi a t’il joué ? Message from the king qui reste son meilleur rôle et le truc sur James Brown complètement passé sous les radars ! Mais comme il est noir dans le contexte actuel on en rajoute , il va même peut être avoir un Oscar ! Alors que le talent n’a rien à voir avec la couleur de peau , définitivement

Kobalann
18/12/2020 à 20:28

On peut penser ce qu'on veut du com plus bas, (j'ai vu des trucs plus hard dans des critiques acerbes de magazines cinema dess fois....) Mais bref ce qui me fait réagir c'est la tendance des gens a toujours se sentir personnellement touché quand on attaque une star

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