Saint Maud : critique au supplice sur Canal+

Simon Riaux | 29 septembre 2021
Simon Riaux | 29 septembre 2021

Éloigné du grand écran par la crise sanitaire, primé au Festival de Gérardmer, Saint Maud est une terrifiante bénédiction qui débarque finalement sur Canal+ à défaut. Allez, c'est l'heure du catéchisme.

GIRL NEXT GOD

Pour son premier film, la Britannique Rose Glass s’est emparée d’un thème complexe, qui n’est pas sans faire écho tant à la production horrifique contemporaine qu’à quelques grands classiques indéboulonnables. Saint Maud narre donc le quotidien tourmenté d’une jeune infirmière spécialisée dans les soins palliatifs, convaincue d’entretenir un rapport privilégié avec Dieu. Lorsque ce dernier lui suggère de sauver l’âme d’une patiente aux mœurs bien loin des siennes, son fragile équilibre menace de se rompre.

Après ce point de départ qui pouvait évoquer aussi bien Une femme sous influence que l’angoisse millénariste d’un Rosemary's Baby, Glass choisit une direction inattendue, repoussant la confrontation entre ses deux protagonistes pour traiter du fait religieux comme d’une relation amoureuse perverse. Et c’est en premier lieu de cet amour monstrueux que naît l’effroi distillé par le film. Une passion inégale, dont on redoute chaque soubresaut, où le pouvoir est fluctuant, toujours générateur de chocs, propre à distendre la psyché fragile de Maud.

 

Photo Morfydd ClarkDes crises de foi ombrageuses et sensuelles...

 

Cette orientation s’avère payante, grâce à la grande rigueur narrative dont fait preuve Rose Glass. Il eût été facile de transformer ce canevas en brûlot anticlérical ou en allégorie un peu épaisse d’une certaine forme de masculinité toxique, mais le scénario ménage suffisamment de zones d’ambiguïté et de nuances pour générer un trouble bien plus puissant et ravageur qu’une simple dénonciation.

Car Saint Maud brouille les pistes, mettant le spectateur dans une position d’autant plus inconfortable qu’il ne sait pas à qui va son allégeance. Cette fluidité émotionnelle est un des points forts de la narration, qui scrute avec une belle acuité comment les élans (certes déplacés) de son héroïne sont sans cesse ignorés, rabroués, voire transformés, et dans quelle mesure la brutalité d'un monde sans amour suffit à la mettre sur la voie d'une résolution funeste.

 

photo, Jennifer Ehle Jennifer Ehle, étonnante patiente à la cruauté insoupçonnée

 

CRUCIFRICTION

Forte de ce script rigoureux, la cinéaste use de sa caméra et de son banc de montage avec un mélange irrésistible de style et d’ambition narrative. Si elle s’inscrit clairement dans les pas de Robert Eggers (directement cité à l’occasion d’un plan glaçant, qui crée une belle passerelle avec The Witch), Glass ne cède jamais à la tentation arty, ne se regarde pas filmer et se pose en permanence la question du plan juste, de la durée adaptée à la séquence.

Jusque dans les scènes équivoques où la ferveur spirituelle de Maud menace de se muer en éruption érotique, c'est toujours l'articulation narrative, la fluidité du récit, qui ordonne chaque élément. Non pas que la réalisatrice ne soit pas sûre de ses effets, ou limitée par une position d'illustratrice, mais elle trouve dès l'ouverture de son récit le point d'équilibre qui l'autorise à travailler des motifs plastiques complexes, sans perdre de vue son propos et les péripéties nécessaires pour y aboutir.

 

photo, Morfydd ClarkMaud a trouvé une solution maison contre les verrues

 

Finement écrit, découpé et monté, Saint Maud n'oublie pas non plus la flippe, et en matière de trouillasse, Rose Glass semble déjà plus qu'accomplie, comme en témoigne la gamme de mécanismes qu'elle déploie.

Aidée par un design sonore qui enserre le spectateur, capable d'alterner entre plages de son ouatées et dispositifs oppressifs, la caméra se plaît tantôt à dilater ses mouvements, comme pour mieux incarner la déité à laquelle Maud lie son destin, quand ce n'est pas le montage qui fissure le réel pour mieux nous mettre en danger. Jusque dans l'usage, parcimonieux, mais ultra-violent, des sursauts et jumpscares, Glass impressionne. D'un dispositif souvent perçu comme vulgaire, elle use pour délivrer deux décharges d'angoisse aussi irrésistibles que contagieuses.

 

photo, Morfydd ClarkLe petit Jésus n'en demandait pas tant

 

Oeuvre terriblement angoissante, Saint Maud n'oublie pas non plus de soigner son point de vue. Le scénario et la mise en scène s'allient lors du dernier mouvement de l'intrigue, qui confronte la protagoniste à un évènement attendu, un accomplissement spirituel particulièrement difficile à représenter à l'image.

La situation est d'autant plus épineuse que depuis le début de cette inquiétante bénédiction, l'autrice se garde bien de trancher entre représentation du fanatisme et authentique conte fantastique. Une indécision qui provoque une tension de plus en plus étouffante, au fur et à mesure que Maud agit de manière de plus en plus radicale afin de préserver l'amour qui la lie à Dieu. En choisissant de ne dévoiler la clef de son énigme que dans les dernières secondes de son ultime plan, la réalisatrice libère soudain le spectateur, désormais tout à la sidération d'avoir assisté à un si divin uppercut.

 

Affiche

 

Résumé

Le Festival de Gérardmer ne s'est pas trompé en couvrant de prix le premier long-métrage de Rose Glass, qui livre avec Saint Maud une spirale d'horreur psychologique porteuse d'une divine trouille.

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commentaires
DeanMoriarty
01/10/2021 à 22:54

Alors ce film que j'attends depuis si longtemps ne sortira pas en salle? Quelle connerie ... J'étais plus que prêt à payer ma place de cinéma , hors de question de me payer un abonnement juste pour un film, quel qu'il soit. Blaireaux de distributeurs !

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