J'veux du soleil : critique par temps couvert

Christophe Foltzer | 2 avril 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 2 avril 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Depuis plusieurs mois, la France est secouée par un gigantesque mouvement social qu'au fond, peu de commentateurs semble vraiment comprendre. Jacquerie ? Insurrection ? Révolution ? Montée des extrêmes ? Vrai combat social ? François Ruffin et Gilles Perret ont décidé de donner la parole à ces Gilets Jaunes pour savoir qui ils sont.

CEUX QUI NE SONT RIEN

Le terrain étant miné, il convient donc de mettre certaines choses au clair dès le départ : il ne sera pas question ici d'asséner un quelconque point de vue politique sur la question des Gilets Jaunes. Parce que ce n'est pas notre métier, nous ne sommes pas là pour ça, nous parlons avant tout cinéma.

Mais il faut reconnaitre que, rien que par son sujet, J'veux du soleil ne peut laisser personne indifférent. Pourtant, essayons au maximum d'envisager le film avec le recul nécessaire pour ne pas tomber dans le débat de piliers de comptoir, que l'on soit pour ou contre le mouvement.

 

photoLes Champs-Elysées ont bien changé

 

Après un Merci Patron ! qui lui a valu la reconnaissance de la profession, qui lui a octroyé le César du Meilleur Documentaire en 2017, François Ruffin poursuit son étude des inégalités avec J'veux du soleil, qu'il a coréalisé par Gilles Perret. Avec toujours en grosse toile de fond la question de l'ultra-libéralisme, Ruffin s'intéresse cette fois au mouvement des Gilets Jaunes, qu'il veut comprendre loin des portraits dramatiques qui en sont faits à la télévision et dans les médias officiels. Il prend donc la route en décembre 2018 pour aller à la rencontre de ces manifestants présentés comme de dangereux extrémistes, homophobes, antisémites, racistes et ennemis de la République.

Ce qui apparait en premier lieu, c'est le profond décalage entre la situation telle que présentée officiellement et la réalité du terrain. Avec un montage un peu à l'arrache et plutôt didactique, Ruffin et Perret ne s'embarrassent pas de subtilité en faisant se rencontrer les images violentes des médias dominants, les interventions alarmistes d'Emmanuel Macron et de ses fidèles, et les visages épuisés mais souriants des manifestants. Un parti-pris qui pourra énerver certains dès le départ tant le discours peut sembler binaire et orienté. Mais, si l'on connait François Ruffin, on sait à quoi s'attendre. Nous ne sommes pas là pour faire un état des lieux objectifs mais bel et bien dans un but précis : la démystification, le contrepoint salutaire, les faits.

 

photoAttack the rond-point

 

Et il est vrai que, de ce point de vue, J'veux du soleil est un documentaire fantastique dans ce qu'il nous présente : des hommes et des femmes brisés par le système depuis des décennies, dans un état de précarité alarmant et qui retrouvent l'espoir de vivre dans un combat plus que légitime pour eux, vital. Une leçon d'engagement dont on doit s'inspirer tant le film nous le présente sous son versant le plus noble. L'intelligence du film est de ne pas nous asséner un discours vengeur ou sanguinaire mais de mettre davantage en avant le tissu humain et humaniste qui semble parcourir ce mouvement.

 

photoLoin des clichés

 

Ainsi, on ne compte plus les témoignages de personnes qui reprennent espoir ne serait-ce que parce que leur contestation les reconnecte à leur voisin. Une nécessité de dialogue et de solidarité que la machine libérale étouffe et qui est indispensable au vivre-ensemble. Dans ses meilleurs moments, J'veux du soleil est une formidable démonstration d'humanisme, un son de cloche émouvant et tellement différent de ce que l'on peut entendre habituellement qu'il nous touche au coeur et remet en question notre propre rapport à l'autre.

Loin des clichés, J'veux du soleil montre avant tout des gens considérés comme des moins que rien par le gouvernement et qui décident de prendre leur destin en mains pour retrouver l'essence de la République. Car, oui, et c'est le plus éloquent dans le film, toutes ces personnes sur les ronds-points ne parlent que de ça : de la liberté, de l'égalité, de la fraternité et du besoin de se réapproprier ces valeurs alors que les dirigeants n'en finissent plus de les pervertir dans un but bien défini.

 

photoLe père Noël est une ordure (patriote)

 

LE PERIL JAUNE

Pourtant, J'veux du soleil souffre d'un grand défaut, François Ruffin lui-même. En effet, Ruffin n'est plus le journaliste-documentariste qu'il était au moment de Merci Patron !, il siège aujourd'hui à l'Assemblée Nationale et cela l'installe dans une position politique qui entre en contradiction avec son propos. En faisant ce film, Ruffin prête le flanc à ses détracteurs et ennemis qui l'accuseront sans doute d'instrumentaliser le mouvement des Gilets Jaunes pour faire un film de campagne électorale.

Et il est vrai que l'on se pose la question plusieurs fois en cours de visionnage. Notamment dans ces moments où il se met en scène, bien au milieu de la foule pour regarder l'intervention du Président, notamment dans la dernière partie du film, qui trahit une petite manipulation pour avoir une belle séquence et qui termine sur un instant de poésie, justifié dans son essence, mais très maladroitement amené.

 

photoUn filmeur se sachant filmé

 

Oui François Ruffin se met indirectement en scène, livre un discours on ne peut plus partisan sur la question et ne fait preuve d'aucune objectivité, en évitant soigneusement de se confronter au versant le plus sombre du mouvement. Oui, François Ruffin confond quelques fois spectacle et politique, documentaire et discours, prenant le risque de devenir le sujet de son propre film, et donc d'en empoisonner la très belle dynamique. Pourtant, J'veux du soleil est un film important.

Parce qu'il montre avec beaucoup de pudeur la réalité de la Province et des Gilets Jaunes. Parce qu'il démystifie bon nombre d'étiquettes que notre parisianisme leur a un peu trop facilement collé. Parce que, surtout, il rééquilibre la balance par rapport aux médias officiels et donne enfin la parole aux gens qui vivent la misère. Dans son étude de la situation, le film est inattaquable et exceptionnel. Dans ce qu'en fait François Ruffin, déjà un peu moins. Finalement, le film est à l'image de la situation que nous vivons depuis 20 semaines : beaucoup de choses s'entrechoquent, beaucoup d'affect entre en compte et cela peut nous conduire à perdre de vue la vision d'ensemble.

 

photoLa barbe !

 

Cependant, le film n'en reste pas moins un témoignage saisissant et douloureux d'une France méprisée par les hautes-sphères, d'un ras-le-bol général qui se cherche une identité et une direction. Il caresse même l'idée que tout est à réinventer et que c'est au peuple de décider de son devenir tout en pensant au bien commun.

Et, franchement, la perspective est alléchante. Démocratique et républicaine, oui, assurément. Si François Ruffin n'était peut-être pas la personne idéale pour faire un tel film, du fait de ses multiples casquettes, il nous offre cependant une oeuvre puissante et forte qu'il faut aller voir sans tarder.

 

Affiche

Résumé

Loin des clichés officiels sur les Gilets Jaunes, J'veux du soleil est un formidable portrait de la France qui n'a jamais l'occasion de s'exprimer. Parasité par instants par François Ruffin lui-même, le film demeure très important dans le contexte actuel.

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commentaires
Clems
06/04/2019 à 20:11

Curieux papier, qui annonce haut et fort "ne pas vouloir faire de politique" mais traine sur toute sa longueur des expressions comme "médias officiels" sans mettre de distance entre les propos du film ou des personnes interviewées (je suppose) et l'avis du critique.
Du coup, ce film a l'air d'être aussi orienté que les "médias officiels" mais dans l'autre sens, comme ces "nouveaux médias" qui ont émergés sur les RS, avec une vérification de l'information parfois douteuse ... Et le contre-point final semble plus être une critique de la place que Ruffin veut se donner dans le mouvement que de son film ...

Kouak
03/04/2019 à 21:40

Bonsoir,
Bonnie and Clyde, Thelma et Louise, Sailor et lula, Jules et Jim et maintenant Gilles et John...
Bref...

Karlito
03/04/2019 à 12:33

P-e que ce documentaire se rapproche davantage de l'approche de Michael Moore? A mon avis, un documentaire à le droit d'être engagé et je trouve cela même plutôt sain s'il peut provoquer des débats et des questionnements. On s'est à quoi s'attendre, à chacun d'en faire son avis ensuite.

Vivant hors de France, mon regard est biaisé, vu que je ne le vis pas au quotidien. Ce que je constate, c'est que ce mouvement semble embrasser un large spectre politique, souvent opposé et parfois extrêmement violent. D'un côté des gens qui s'efforcent de vouloir plus de démocraties, revendiquent tout un nœud d'actions difficile à démêler et de l'autre, un gouvernement violent assez sourd (dernière exemple, la privatisation des aéroports de Paris= des licenciements et des rentrées d'argents moindre pour l'état, on voit ce que cela a donné avec les autoroutes, mais cela n'a pas suffit…) et qui continue son chemin comme si de rien n'était ou presque. Certains faits d'actus sont têtus.

bubblegumcrisis
03/04/2019 à 10:07

Et un appeau à trolls, un !

Je ne suis pas un grand fan de Ruffin comme réal. Je n'ai pas aimé son Merci patron ! par exemple, parce que déjà il se mettait un peu trop en scène. Même si je comprends pourquoi il fait ça, je préfère voir un documentaire brut à la Striptease qu'un faux documentaire mis-en-scène, même pour de bonnes intentions. Ce qui n'enlève rien quant à la réalité et à la force du fond qui est montré à l'écran. C'est juste la forme qui me déplaît. Cette façon de prendre la main des spectateurs.

Mais selon moi, tout ce qui permet d'avoir accès à une autre information que celle déversée en continue par les officines dont c'est la spécialité pour se faire une opinion personnelle sur un mouvement aussi hétérogène et multiforme que le mouvement de Gilets Jaunes est bienvenue.

Ne serait-ce que pour pouvoir se faire une idée personnelle de ce qui se passe en France depuis 30 ans.

Flash
02/04/2019 à 20:49

Pseudo1@
Je vois que tu as bien appris ta leçon, en effet tout le monde sait que FB et youtube c'est de l'info claire, nette et concise (ha ha).
Et bien sur, cerise sur le gâteau les "gentils" gilets jaunes ne sont responsables d'aucune dégradations, accidents, agressions etc etc (vive cette époque ou personne n'assume ces actes)
Allez, jean luc et marine sont fière de toi et de ton discours typiquement stupide.

Pseudo1
02/04/2019 à 20:41

@Flemmard
Pour FB et Youtube, on y retrouve bon nombre de vidéos "brutes" et non coupées, ni manipulées par les médias (coucou BFM !). Ca permet de se rendre compte de tous les abus (et le mot est faible) des forces de l'ordre, et de la façon dont les TV enrobent la réalité pour ne pas froisser leur direction (des potes à Manu souvent), ni le gouvernement.
Si tu as des amis qui suivent et partagent l'actu des GJ (l'actu, pas le dénigrement), tu devrais trouver facilement ce type de vidéo dans ton fil d'actualité FB. Sur Youtube, il faudra chercher par mot-clés.
Pour les morts, mea culpa, exagération de ma part en effet, les morts côté GJ sont principalement dus à des automobilistes civils/abrutis ayant forcé le passage ou pris des routes à contresens en renversant les gens sur leur passage. A noter qu'il n'y a rien eu côté forces de l'ordre, et il est impossible également de connaitre le nombre de blessés "grave" si il y en a eu car le gouvernement est étonnamment discret sur le sujet, les statistiques avancées par Castaner étant tellement vastes qu'elle pourrait aussi bien concerner un ongle incarné.

Par contre, j'avais oublié (et j'en oublie clairement d'autres) de tenir compte du pompier GJ qui s'est pris une flashball à la tête et s'est retrouvé dans le coma, merci les forces de l'ordre là aussi.

Alain
02/04/2019 à 18:56

J irai voir le film...merci pour votre critique.mon commentaire ensuite.Une chose en attendant quant à ces gens qui font semblant de pleurer sur les emplois soit disant perdus..les boutiques soit disant fermées suite au mouvement.S il y a bien des emplois détruits,dés boutiques fermées,c est par la politique d austérité suivie depuis 30 ans,qui en bloquant les salaires,en privatisant à tout va,n en finit pas de détruire le tissu social.Les profits explosent,les riches sont plus riches et les pauvres plus nombreux et plus pauvres. .non?

Hank Hulé
02/04/2019 à 14:24

Dans le genre, je préfère revoir les Minions.
Ras le fion de cette secte d'abrutis qui veulent pas payer d'impôts et de taxes mais exigent toujours plus de services publics.

Raoul
02/04/2019 à 14:21

Toute contestation est pour moi légitime dès qu'elle rassemble, cependant j'ai un peu de mal avec le fait de dire que toute la France est derrière les gilets jaunes et compagnie. Rien n'est plus faux.

Quand je lis des trucs comme "médias dominants" aussi, je tique. Il y a des organes de presse, des chaines de télé, des radios tous plus ou moins puissants en audience, ça s'arrête là. Bcp de ces gens donnent l'impréssion que la France, c'est la Hongrie, ou la Turquie. Qu'ils aillent y faire un tour et ils reviendront bien vite la queue entre les jambes.

Simon Riaux
02/04/2019 à 13:52

@Opale

Je parle sous le contrôle de Christophe, qui est le seul de la rédaction à avoir vu le film, mais il vous répondrait probablement que le film se veut justement un contrepoint au regard que vous évoquez.

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