Triple frontière : critique Badfleck

Simon Riaux | 6 mars 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 6 mars 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Projet développé des années durant par Mark Boal et Kathryn Bigelow, Triple frontière a finalement été réalisé par J.C. Chandor. Si le choix peut paraître surprenant sur le papier, le passage de flambeau paraît finalement d’autant plus indolore que le réalisateur de A Most Violent Year s’est totalement approprié le matériau de base, distribué par Netflix dès le 13 mars 2019.

BRAQUAGE A LA COLOMBIENNE

Bigelow voulait s’emparer d’une situation géopolitique aussi délétère qu’explosive, quand J.C. Chandor, fidèles à ses thématiques, opère le mouvement inverse : c’est bien l’Amérique qui l’intéresse. De ce récit de braquage à haut risque, il fait une métaphore limpide des rapports violents et pervers que les USA entretiennent avec leurs voisins, et avec la notion d’altérité en général.

Ici, cinq vétérans usés décident de mettre leurs compétences au service d’un but qui, enfin, servira leurs intérêts : démanteler la tête d’un réseau de narco-trafiquants en dérobant leur fortune à la faveur d’un casse exécuté en professionnels de haut vol. Pour ce faire, ils doivent convaincre leur ancien chef d’unité, Tom (Ben Affleck), seul capable de les mener au front avec maestria. Mais le meneur idéaliste d’hier s’est mué en individu amer, que l’appât du gain va progressivement dévoyer.

 

photo, Ben Affleck, Oscar IsaacCinq frères d'armes sur le point de basculer

 

Tenant parfaitement le grand écart entre pur film de genre et parabole fataliste (Chandor est un des derniers authentiques moralistes du cinéma américain contemporain), le cinéaste construit son intrigue, non pas en fonction des codes du film de casse, mais de manière à présenter à l’Amérique l’addition de 20 ans d’interventions extérieures aux conséquences catastrophiques.

A ce titre, il faut souligner l'intelligence du casting, tout en équilibre et en lignes de forces partagées, qui propose des prestations habitées d'Oscar IsaacBen AffleckGarrett HedlundPedro Pascal et Charlie Hunnam. Ils composent chacun plusieurs facettes d'une Amérique déboussolée, entre valeurs hypocrites et représentations périmées.

 

photo, Ben AffleckCe que Tom brûle, c'est d'abord le code moral qui lui a servi de bouclier

 

SOLDIERS OF INFORTUNE

Et c’est là la très grande force de ce Triple frontière. Toujours maître de ses effets, élégant sans virer au maniérisme, immersif sans jamais abandonner son art de la composition, J.C. Chandor dissèque ses héros et les conséquences de leurs actions sans concession. Ce point de vue l’autorise à pervertir les schémas attendus, alors que le « vol » tant attendu surgit un peu avant la moitié du récit.

Dès lors, la mécanique parfaitement huilée établie par nos soldats d’élite va pouvoir se gripper et faire sens, alors que s'éloigne la récompense symbolique et qu'approche un châtiment inévitable.

 

photoUn plan pas si bien huilé...

 

Fourvoiement de principes respectables, mépris pour les populations autochtones, supériorité technologique et méconnaissance du terrain, autant de d’éléments qui poussent inévitablement nos héros vers la tragédie, alors qu’ils traversent, hébétés, un territoire qui les renvoie brutalement à leurs propres erreurs.

Ainsi, Triple frontière se transforme progressivement en fable brutale, penchant vers l’abstraction, alors que les balles fusent, que le décor se mue en théâtre d’opération mutant, où la vie de chacun peut s’interrompre aussi sèchement que cruellement. Le réalisateur domine presque toujours son sujet, qu’il laisse le venin du désespoir s’insinuer ou nous embarque dans des séquences d’action d’une tension extrême.

 

photoLet's go amigo

 

Par conséquent, on regrette de le voir une nouvelle fois demeurer au milieu du gué. Alors que s’amorce le dernier mouvement du film, que les personnages s’embarquent dans une retraite folle dont le spectateur pressent qu’elle le laissera à genoux, Chandor fait le choix de ne pas assumer totalement le versant tragique de son récit.

Sa métaphore n’en est que plus précise (après tout, les dernières guerres américaines ont toujours su parer leurs défaites d'oripeaux de semi-victoire), mais ce choix s’avère terriblement frustrant d’un point de vue dramaturgique. Comme si après avoir présenté l’addition à ses belligérants essoufflés, le film refusait au dernier moment de prélever sa dime de sang.

 

Affiche

Résumé

Une nouvelle fois, JC Chandor ne va pas totalement au bout de son sujet, mais le portrait fataliste qu'il dresse d'une Amérique aux principes carbonisés par l'appât du gain ne manque ni de force ni d'intensité.

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commentaires
Vomito
20/12/2023 à 00:10

Pas accroché et déçu.

C'est filmé comme une épisode de série TV, les persos sont quasi pas développé et sont tous des caricatures, pas une seul scène d'action digne de ce nom, un scénario telephoné avec des incohérences ( le bateaux à la fin est quand même sensé contenir tout le fric ).
Ya des jolie plans, la photo est clean, le propos est pertinent.

Bref trop de négatif pour moi, c'est ennuyeux et c'est à ranger dans la liste insipide des films aux N rouge.

Pat Rick
24/02/2020 à 16:05

Enfin vu et c'est un très bon film, très bien rendu avec de bonnes scènes d'action.
Peut-être un chouïa trop long.

jorgio69
24/03/2019 à 10:50

J'ai beaucoup aimé ce film mais la seconde partie est nettement plus intéressante.
La 1e a un côté Ocean's Eleven mixée Expendables avec des scènes d'actions filmé à l'ancienne et une bonne présentation des personnages.
Mais la seconde partie est tellement forte en symboles.
La charge virulente, comme vous dites, contre une Amérique qui n'en a que faire de ses voisins. Le visage du petit après qu'ils aient fait leur casse ou plutôt démoli ses fondations, créés peut-être un nouveau monstre ?
L'hélicoptère qui ne peut pas atteindre une certaine altitude à cause de ce boulet capitaliste qu'il transporte.
J'ai trouvé ces personnages incroyablement pathétiques au fil du film. La scène du feu de camps est magistrale ce niveau: le pognon rend fou.
Ce film aurait du s'appeler "No frontiers" car je n'en ai vu aucune aussi bien dans la facilité d'accès de ces soldats à des pays où l'on ne parle pas américain mais aussi dans leurs comportements jusqu'au boutiste.

Ocani
23/03/2019 à 08:24

J’ai beaucoup aimé les films précédents di realisateurs mais qu’elle déception.
Personnages très peu intéressant, leur présentation est quand meme très basiques (je fais du MMA, je vends des appartements...) les’dialogues sont d’une pauvreté affligeante et en terme d’action, c’est quand meme très plat. Pour moi c’est l’opposé de The Sorcerer qui lui brille par sa tension et la characterisation de ses personnages ( Bruno Cremer VS bat(j’ai raté mon lifting) flex).
Reviens nous JC Shangor !

Dutch Schaefer
19/03/2019 à 17:36

Grosse surprise pour moi!
Et une excellente surprise!
On pense à "DELIVRANCE"
On pense au "SALAIRE DE LA PEUR"!
On pense à "SORCERER"!
On pense à.... TRIPLE FRONTIERE!
Cette oeuvre est simplement magnifique!

Slade
15/03/2019 à 23:04

Outre utiliser orion comme sortie, j’ai trouvé ce film totalement inutile.

Hank Hulé
15/03/2019 à 22:25

Tendu comme un string pendant 90' puis ça baisse un peu...
Très bon quand même !

Gabba-the-Hutt
15/03/2019 à 16:53

Extrêmement déçu pour ma part!
Le développement des personnages est bien laborieux et les scènes d'action se suivent sans que l'on soit mis sous pression.
On peine de plus à voir le sujet de l'incursion en terre étrangère sous l'angle de l'auto-critique, le caractère archétypal des personnages suscitant une empathie égale tout au long du film.
En somme, je dirais qu'il s'agit d'un film d'action raté et d'un drame assez simpliste.

Simon Riaux
07/03/2019 à 19:08

@Andarioch

Certes, mais il me semble que le film fait très spécifiquement référence à la philosophie et à la forme des interventions des deux dernières décennies.

Andarioch
07/03/2019 à 18:45

"à présenter à l’Amérique l’addition de 20 ans d’interventions extérieures aux conséquences catastrophiques."

Soyez pas restrictif, ça fait 60 ans que les ricains ont des interventions extérieures aux conséquences catastrophiques, notamment en Amérique du sud. Après c'est pas toujours armé, c'est parfois plus "discret" comme au Chili en 73 (le 11 septembre, tiens). Mais le résultat c'est souvent des régimes totalitaires qui leur lèchent les santiag'

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