Roma : critique qui a les dents du fond qui baignent

Simon Riaux | 14 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 14 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Roma se dévoile, alors qu’il cristallise toutes les passions. Netflix, assumant d’être une voie de garage virtuelle pour productions en péril et un El Dorado auto-proclamé pour auteurs ostracisés par des distributeurs et exploitants supposément trop frileux, se paie ici un Lion d’Or convoité. Et c’est forcément, auréolé de tous les questionnements consécutifs à sa distribution et aux métamorphoses industrielles du 7e Art, que surgit le nouveau film d’Alfonso Cuarón, cinq ans après Gravity.

LE FILM DE L’HOMME

Un contexte qui n’aide pas à appréhender Roma, œuvre autobiographique dans laquelle le réalisateur revient sur son enfance mexicaine à travers la chronique de l’année remuante d’une famille bourgeoise mexicaine. Dès l’ouverture du film, le metteur en scène dévoile clairement la portée de ses ambitions, et les forces créatives qu’il met dans la formidable bataille esthétique qui se livrera sous nos yeux.

Ce n’est pas un hasard si le cinéaste assure ici lui-même la photographie du film (somptueuse de bout en bout). Le projet est non seulement personnel, mais paraît mû par le désir de condenser tous les savoirs et accomplissements qui ont émaillé la carrière de son auteur, aussi bien en termes d’écriture que de pure mise en scène ou maîtrise plastique.

 

photo Roma, ou l'histoire de Cleo, perpétuellement tenue à distance d'une famille dont elle est pourtant partie prenante

 

On retrouve ainsi les plans séquences funambules des Fils de l'homme (la volonté d’ébahissement en moins), les échafaudages de lumières infiniment complexes de Gravity, la carte du tendre de Et... ta mère aussi !, tous réordonnés par l’immense cinéphilie de Cuaron, qui hybride avec générosité La Grande Vadrouille avec Rossellini, l’incandescence de Tarkovski et le charme d’Ophüls.

Le résultat est un festin souvent grandiose, un bonheur de spectateur, et parfois un choc, tant le réalisateur parvient dans un premier temps, avec une acuité hors-normes, à aiguiser notre regard sans le diriger, apprivoiser nos sentiments sans les soumettre.

 

photoUne tentation surréaliste souvent sur le point de submerger le film

 

Y TU ROMA TAMBIEN

Mais cette abondance de chaque instant, cette profusion de cinéma qui cherche à transcender chaque plan étouffe parfois la grâce que traque sans fin la caméra du réalisateur. On a parfois le sentiment que cette orgiaque richesse ne permet pas au sujet de totalement se déployer, Roma procédant par des successions d’effets, tous brillants, mais parfois trop démonstratifs. Le sentiment de trop plein, de quasi-déséquilibre pointe alors le bout de son nez.

On pense souvent au cinéma de son compatriote et ami Alejandro González Iñárritu et son obsession de la monstration, du tour de force (The Revenant, Birdman). Oui, Roma provoque une réelle ivresse des sens et s’impose incontestablement comme une parenthèse de beauté souvent enchanteresse. Mais son faste oublie parfois la matière première de son sujet : ses personnages.

 

photoUn terrible jeu entre premier et arrière-plan

 

À multiplier les effets pour souligner combien les protagonistes oublient de véritablement considérer Cleo, la domestique ballotée entre amours déçues et classe qui ne peut lutter, Cuarón lui-même la relègue au rang de levier émotionnel de luxe. Et quand, entre deux scènes splendides qui lui sont consacrées, il intercale un intermède, entre auto-citation et justification esthétique, sur l’existence de Gravity, on sent son Arche de Noé cinématographique sur le point de rompre, à la manière d’une Tour de Babel, fascinante mais instable.

De même, à l'occasion d'une puissante scène d'accouchement, l'artiste, pourtant parfaitement maître des mécaniques qu'il convoque (ici les échanges entre premier et arrière-plan), traite l'héroïne de son film, au nom de l'impact émotionnel, avec la même froideur que les individus qui l'entourent. Et le film de perdre en humanité ce qu'il gagne en habileté cinématographique.

 

Affiche

 

 

Résumé

Chronique intime virant à l'orgie plastique, Roma manque parfois d'humanité.

Autre avis Alexandre Janowiak
Sublime portrait d'époque et de vie, Roma est aussi une ode au cinéma, à la nature, à l'amour, aux femmes. Un bijou d'humanité d'une folle simplicité magnifié par les tableaux de Cuarón.
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Lecteurs

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commentaires
Kyle Reese
30/04/2021 à 00:40

Partagé je suis. C’est ultra beau. La composition des plans est quasi maniaque.
C’est parfait. La lumière, décor, mouvrment de cam, des acteurs et la profondeur de.champ sont d’une précision incroyable. Pour qui aime la photo c’est un vrai regal. Après c’est vrai que c’est long et pourtant de manière général ça ne me dérange pas mais la puisque tout ce que l’on voit n’est pas toujours passionnant loin de j’ai parfois décroché. J’ai lu les commentaires et je dirais que comme le film est en quelque sorte une projection des souvenirs du réalisateur avec une part de fantasme je n’ai pas trop cherché à donner plus de sens aux images que ce que l’on voit. Mais que c’est beau, à la fois froid dans le procédé de mise scène façon captation filmé en immersion telle une webcam ultra hd automatisé qui créé des plans de cinéma pur au cadrage parfait et à la fois chaud avec toute cette humanité en mouvement, ces voix, ces bruits, nous sommes les’ témoins de la vie, de ses joies enfantines, de ses peines et de ses drames joués d’une manière absolument incroyable. Mais quelle direction d’acteur ! A aucun moment je n’ai pensé tient ils jouent bien. Les acteurs sont leur personnages. Et ce qui reste aussi pour moi au delà du personnage émouvant de Cleo ce sont les enfants bouillonnant de vie surtout.
Eux à leur âges ne se rendent sûrement pas bien compte des différences socials ou du moins en font fi, les barrières ne se sont pas encore vraiment construite d’ou le fait qu’ils considèrent Cleo comme faisant partie des leurs. D’ailleurs la mère ne réagit mal envers Cleo que par rapport au père qui lui met la pression. Quand le patriarcat s’éloigne la solidarité féminine peut s’exprimer plus librement. Bref un film qui se mérite. Je suis content d’avoir tenu bon, je voulais voir de toute façon la fameuse scène. d’où est tiré la magnifique affiche qui me touche particulièrement. Ah cet allez retour travelling dans l’océan déchaîné.

Ded
04/08/2019 à 20:22

Bon. Difficile, semble-t-il, de faire matériellement plus pour une employée de maison, sinon lui faire partager l'appartement familial, la table familiale et... ??!! De plus, elle reçoit, en apparence, de l'affection, de la considération, de l'attention, de la compréhension, de l'écoute... En apparence, dis-je bien, car aussi positif que tout cela puisse paraître, un sentiment d'hypocrisie et de facticité surnage. En fait, chaque fois qu'on la renvoie sèchement dans sa case sociale ou qu'on la force à partir en villégiature sans respecter, par des caprices de gosses, les épreuves physiques et surtout morales qu'elles vient de traverser (quelles cruauté de "préparer" son enfant mort juste sous ses yeux ! Ils n'ont pas d'autres pièces ?!).
En conséquence de quoi, j'adhère totalement à la fine analyse de "Fantomasse"...
D'autre part, il m'évoque, par son esthétisme, son traitement feutré et ses longs plans du quotidien, une chronique familiale à la "Ozu". La chaleur humaine en moins...

Fantomasse
01/06/2019 à 09:28

Oh, ces bourgeois au grand coeur tellement gentils avec leur bonne ! Ils vont même jusqu'à lui acheter son berceau! Gros doute que cette vision de bisounours soit très représentative de la réalité, même s'il doit y avoir des exceptions. En fait, ce film, très réussi au plan de la photo, indéniablement, me semble montrer la bonne conscience de la classe aisée mexicaine, dont le réalisateur est sans doute un rejeton. Incroyable que la critique ait été presque unanime à l'encenser !

JoPP
10/01/2019 à 23:13

Film très intéressant. Très réaliste; il faut juste savoir interpr"ter le regard de Cléo qui dit beaucoup.
Après,il y a quelquesscènes que je ne comprends pas bien.

pero
26/12/2018 à 17:44

Cuaron ne se contente pas de montrer la "solidarité féminine", il montre que malgré un rapprochement circonstanciel (le sauvetage d'un enfant) le fossé entre les classes demeure comme le montre le plan final magistral du film.

folavril
19/12/2018 à 16:04

Non, vous permettez, mais j'y vis au Mexique et avoir 2 bonnes à domicile + chauffeur + 3 bagnoles dans les années 70, ce n'est pas classe moyenne mais RICHES. Ça se voit quand la faille part en week-end dans l'Hacienda familiale = grande bourgeoisie d'origne étrangère (allemands, suédois et américains). Cuarón essaye de se faire passer pour ce qu'il n'a jamais été, une espèce de Ruffin, alors qu'il appartient à la caste la plus néfaste et prédatrice de ce pays - ce qui ne l'empêche pas de faire de beaux films qui s'arrêtent, hélas, aux bons sentiments.
Dans la vraie vie, Cléo a été recrutée à 12 ans dans son village mixtèque de Oaxaca (où elle envoie la moitié de son maigre salaire), n'a pas la sécu, pas de retraite et pas de congés payés. Elle sera violée par les charmats bambins qu'elle torche deuis leur naissance dès q'ils auront 14 ou 15 ans. Inutile de préciser que, toujours dans la vraie vie, les bonnes qui tombent enceintes sont mises à laporte séance tenante (et sans indemnités).

La prédation de cete caste est bien montrée au travers des massacres et trophées de chasse das l'Hacienda. Les têtes des chiens de la maison symbolisent la façon dont les domestiques sont traités. Mais on veut ous faire croire que ça se passe différemment chez Cuarón. Mettons. Mais c'es l'exception qui confirme la règle, il n'y a aucune sorte de solidarité féminine entre les bourgeoises et leurs bonnes contrairement à ce qu'on veut nous fare croire dans ce film. L'aliénation de domestiques, appelées "críadas" justement parce que les bourges estiment qu'ils "élèvent" (au sens d'élevage) ces filles enlevées à 12 ans de leur faille, de leur village et de leur culture est une tragédie que Cuarón ne fat qu'effleurer....

Simon Riaux
14/12/2018 à 16:46

@Gilet jaune

Le synopsis officiel du film emploie les termes "classe moyenne".
Et ça se discute, oui.
On peut aussi soutenir qu'une famille Mexicaine dont le père est médecin, vivant dans un certain luxe et avec une domestique appartient, par définition, à la (petite) bourgeoisie, quand bien même elle n'est pas riche à mourir.

Euh
14/12/2018 à 16:41

"On pense souvent au cinéma de son compatriote et ami Alejandro González Iñárritu et son obsession de la monstration, du tour de force"

Ah ça serait dommage, j'ai toujours de loin préféré Cuaron à Iñárritu, justement parce que ce dernier, contrairement à Cuaron, en mettait souvent plein la vue pour éblouir et impressionner, en étant trop démonstratif, et oubliant le fond et surtout, les émotions. Hâte de découvrir le nouveau Cuaron quoi qu'il en soit.

Gilet jaun
14/12/2018 à 15:39

Ou " la classe laborieuse " comme le dit un certain Jupiter

Gilet jaune
14/12/2018 à 15:37

Ç est surtout un film sur "la classe moyenne " au Mexique mais bon

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