The Spy Gone North : critique qui perd le Nord
L'histoire moderne coréenne est un sujet fascinant. Déjà parce que le pays est coupé en deux depuis plus d'un demi-siècle, mais aussi parce que quoiqu'on en dise ou qu'on ait l'air de savoir, le Nord communiste demeure en grande partie une énigme - en plus de représenter une potentielle menace atomique. En s'intéressant à la Corée du Nord, et au récit de l'agent du Sud qui a réussi à l'infiltrer, The Spy Gone North et son réalisateur Yoon Jong-bin s'emparent d'un thème complexe et mystérieux de la Grande histoire, mais aussi d'un sujet trop puissant pour la petite qu'il entend nous raconter.
PAR DELÀ LE MUR DE LA DMZ
Au milieu des années 90, alors que le bloc soviétique s'est effondré, l'inquiétude monte concernant la Corée du Nord. Le Sud craint en effet une accélération du programme nucléaire par le régime communiste, afin de compenser la perte de l'URSS alliée par l'obtention de la bombe atomique, et décide donc d'envoyer des agents pour obtenir des informations sur un réacteur nucléaire. L'un d'entre eux, Black Venus, parvient à s'infiltrer si profondément au sein des cadres du Parti qu'il découvre bien plus de secrets qu'il ne s'y attendait... surtout concernant le Sud.
Les récits d'infiltration sont par nature assez complexes, puisqu'on questionne sans arrêt les motivations des personnages, et que la complexité des stratagèmes mis en place par les espions doit être expliquée le plus clairement possible par la mise en scène. The Spy Gone North ajoute à cela une volonté de décryptage géopolitique réaliste d'une situation extraordinairement particulière et difficile. Le film prend ainsi le risque de tenter de remplir un cahier des charges trop dense pour son propre bien.
Hwang Jeon-Min, acteur principal, et atout majeur du film
On sent bien que le cinéaste a à coeur de livrer un film riche, mais il a clairement trop d'informations à livrer, comme en témoigne la profusion de dialogues rarement interrompue. De ce fait, The Spy Gone North sacrifie son identité sur l'autel de la limpidité du récit, et la mise en scène se veut la plus fonctionnelle possible, prenant à peine le temps d'installer ses ambiances.
La trame est tellement complexe que The Spy Gone North n'a pas non plus le temps de se rattraper en travaillant les personnages et leur background, qui sont réduits à leur expression la plus simple. On est par exemple supris que le héros s'inquiète pour l'avenir de sa famille en fin de film, alors qu'on n'en a vu aucune trace ni entendu aucune mention depuis le début.
Non, ce n'est pas La Vie des Autres
TEMPS MORT SVP
The Spy Gone North est au four et au moulin en permanence, et la principale victime, c'est évidemment le rythme du film. Chaque séquence ayant un lot conséquent d'informations explicites et implicites à apporter, The Spy Gone North a énormément de mal à trouver un moment pour se poser, notamment au cours d'une première heure particulièrement soutenue et bavarde.
Alors c'est chouette, on apprend plein de choses et c'est très instructif, mais cinématographiquement parlant, le tout manque d'attrait. Même les scènes de suspense pâtissent de la cadence forcenée et des dialogues à profusion, et ne parviennent pas à installer de véritable rupture suspendues, ou à faire de la logorrhée une vraie arme de mise en scène comme Cosmopolis ou Maps to the stars.
Dommage, même dans une scène pareille le suspense a du mal à prendre
Tout cela dit, Yoon Jong-bin a manifestement énormément de savoir-faire puisque le film ne bascule jamais dans la grande leçon didactique de géopolitique, assénée à coups de répliques sentencieuses. Et si The Spy Gone North demande un vrai effort de concentration, il reste fluide et parvient à ne pas prendre son sujet de haut. À ce titre d'ailleurs, il est assez varié dans les divers tons qu'il convoque, et aussi étrange que cela puisse paraître, The Spy Gone North fait même régulièrement sourire.
Une grande partie de son charme vient de son acteur principal, Hwang Jeong-Min, dont le numéro de faux gros crétin de businessman amuse autant qu'il impressionne. Cependant, Yoon Jong-bin ne parvient pas à transcender la petite histoire dans la grande, à installer une relation entre le drame historique et les drames intimes, comme ont pu le faire ses aînés Kim Ki-duk ou Park Chan-wook.
L'aspect le plus réussi du film : le Sud passé au vitriol grâce au miroir tendu par le Nord
LE DESSOUS DES CARTES
Il suffit de voir les quelques scènes où les individus sont justement confrontés à l'Histoire elle-même pour se rendre compte que cet objectif conceptuel est clairement manqué. Il est particulièrement frustrant de constater que les scènes en présence d'une figure historique bien connue, nommée Kim, soient parmis les plus mécaniques, ne produisant quasiment aucun vertige, aucun effet de sens, et finissant même par simplement servir de deus ex machina au récit.
Curieux, quand au contraire, l'épilogue dans un studio de tournage, quasiment facultatif, est un monstre de puissance iconographique et montre une maîtrise implacable du langage cinématographique, en plus de délivrer un message bouleversant. Trop tard, le film est fini.
Lecteurs
(4.0)29/11/2018 à 23:21
Ah, c'est sûr, ça change du blockbuster hollywoodien. Faut être concentré. Moins de bagarres, plus de discussions. Un film pour les adultes, quoi !
13/11/2018 à 01:33
Je me demande s'il n'ont pas fait exprès pour le titre...
En anglais, l'expression "to go south" signifie "perdre le contrôle de soi" en langage populaire.
12/11/2018 à 20:02
Joint Security Area au temps pour moi
12/11/2018 à 20:00
JSA ?