Aucun homme ni dieu : critique ténébreuse sur Netflix

Simon Riaux | 8 octobre 2018 - MAJ : 09/08/2022 11:52
Simon Riaux | 8 octobre 2018 - MAJ : 09/08/2022 11:52

Depuis Blue Ruin, l’étonnant Jeremy Saulnier explore la psyché d’êtres que les circonstances propulsent au bord du gouffre, aux confins de l’humanité. C’est à nouveau cette thématique qu’il sonde dans Aucun homme ni dieu, porté par Alexander SkarsgårdJeffrey Wright et Riley Keough, sous la houlette de Netflix.

TRANSE AVEC LES LOUPS

Jérémy Saulnier adapte ici le livre éponyme de William Giraldi et conserve l’essentiel de son intrigue. Cette dernière se consacre à la quête de Russell Core (Jeffrey Wright), spécialiste des loups, vieillissant et mélancolique, contacté par une femme vivant en Alaska après que son fils a été enlevé par des loups. Mais quand il arrive sur place, l’éthologue découvre une situation bien plus complexe et dangereuse qu’une simple attaque animale.

C’est à un récit en double hélice, poétique et mortel, que nous convie Saulnier, qui adjoint rapidement à l’intrigue Vernon, un père violent et mutique, ivre de chagrin (Alexander Skarsgård). Entre Russell et Vernon, c’est un pas de deux terrible qui se joue, aux mouvements brutaux et incroyablement violents. L’un se bat pour retourner à l’humanité, retrouver la lumière et se purifier, tandis que le second se bat pour s’extraire de la civilisation qui l’a engendré.

 

photo, Jeffrey Wright Jeffrey Wright

 

Et c’est sans doute dans cette opposition que Aucun homme ni dieu prend le plus de risques. Contrairement au texte qu’il adapte, Jeremy Saulnier fait le choix de ne jamais verbaliser ou expliciter trop ouvertement les choix radicaux de certains de ses protagonistes. Ainsi, seuls les plus attentifs comprendront quelles sont les motivations qui poussent Cheeon ou Medora (impressionnants Julian Black Antelope et Riley Keough) à agir avec une sauvagerie plus qu’inhumaine. Loin d'être un manque de clarté, cette décision parfaitement consciente confère à la narration une puissance mythologique et une aura vénéneuse remarquable.

 

photo, Jeffrey Wright, Riley KeoughJeffrey Wright et Riley Keough

 

LA QUERELLE DE LA FORÊT

Et si le métrage assume de jouer la carte du mystère et du non-dit, c’est pour mieux déléguer la question du sens à la mise en scène. On sait depuis Green Room que le cinéaste est parfaitement à l’aise avec la représentation de la violence et la création d’espaces mentaux maîtrisés à l’extrême. Deux particularités qu’il pousse ici dans leurs derniers retranchements, tout en se frottant à un univers aux décors bien plus vastes et à la dramaturgie beaucoup plus ambitieuse que par le passé.

 

photo, Alexander SkarsgårdAlexander Skarsgård

 

Avec le soin chirurgical qui le caractérise, il orchestre ainsi une lutte entre la lumière et les ténèbres, comme l’indique le titre original du film, Hold the Dark, et s’interroge sincèrement sur le bienfondé de la vie collective, ce qui pousse les uns à y renoncer, et d’autres à s’y accrocher. Aride et impitoyable, la mise en scène somptueuse s’échine à traduire les passions troubles qui motivent les personnages, et toujours cartographier les luttes internes qui les meuvent.

Et c’est là toute la beauté de l’entreprise, de savoir incarner, dans le moindre geste comme dans ses plus stupéfiantes bouffées de brutalité, ce dialogue interne, entre les abîmes qui nous guettent et la lumière qui vacille. Et ainsi, le geste inaugural de Jeffrey Wright, en apparence innocent, alors qu’il éteint une simple guirlande de Noël prend tout son sens. Par-delà le bien et le mal, voilà toute la valeur du cinéma de Saulnier, ce questionnement éternel entre ce qui nous attend dans le noir, et ce qu’il faut sauver du monde extérieur.

Aucun homme ni dieu est disponible sur Netflix depuis le 28 septembre 2018

 

Affiche

Résumé

Mystérieux et ténébreux, le nouveau film du réalisateur de Green Room est une errance glaciale au bord du gouffre, hantée par une violence et un désespoir d'une singulière bauté.

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Lecteurs

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commentaires
Simon Riaux
09/10/2018 à 15:22

@Tyler D.

Pour qu'il fasse ce pour quoi elle l'a appelé. Qu'il traque la bête, et en témoigne.

Tyler D.
09/10/2018 à 09:37

Même après lecture de l'article de Première, je ne comprends toujours pas pourquoi la mère a fait appel à l'écrivain spécialiste des loups - si ce n'est pour induire le spectateur en erreur.

Wolf
09/10/2018 à 05:57

Quel perte de temps ce film et définitivement loin d’être un chef d’œuvre pour moi avec un tas de non sense, longueur sans valeur, violence gratuite et scène absurde à la mitrailleuse qui ne fini plus et qui n’a aucun lien avec l’histoire. Sans oublier la fausse représentation du trailer qui tourne autour d’un mystère et les
loups sans qu’il est aucun lien dans le film.

MEREJ
09/10/2018 à 01:22

Chef d’œuvre !
Même niveau que Blue Ruin.

nardos
08/10/2018 à 20:05

Je trouve que le réal s'en sort bien au niveau rythme, il maîtrise parfaitement le timing mème dans les moments les plus calmes. Ça me fait penser à du Kitano, austère mais jamais chiant. C'est clair que ceux qui cherche un film à la Tarantino seront déçu, qui lui mise plus sur les dialogues pour combler parfois la banalité d'une scène. Un film qui mérite largement .4 étoiles.

MystereK
08/10/2018 à 19:52

Adoré !

Mad
08/10/2018 à 19:09

Sur le cul en tout cas que ce film attire autant les foules.

Par-contre bon... Tout le mal qu'on lui porte c'est pas top.

Simon Riaux
08/10/2018 à 17:47

@Thierry

Oui enfin dans le genre super épais, complaisant et lourdaud, Wind River ça remporte un peu la palme des palmes hein.

Thierry
08/10/2018 à 17:36

Film décevant et bien en-deçà de "Blue Ruin". Les personnages principaux, la mère, le père, les habitants du village sont ou bien des sociopathes sévèrement atteints et, pour les plus assassins d'entre eux, des psychopathes foncièrement dégénérés. La plupart de ces gens semblent avoir perdu l'usage de la parole, la faculté humaine de s'exprimer soi-même. Il en résulte un film singulièrement lourd, épais, opaque et inerte dans son traitement, même si la photo reste magnifique, et que le personnage de l'écrivain donne à tout cela un semblant d'humanité. Du coup, ce film m'a donné envie de revoir "Wind River", véritable chef-d'oeuvre (excellent film au demeurant) en comparaison. :))

Simon Riaux
08/10/2018 à 16:59

@FafanLeFanu
Hello,

Quand je cause d'espaces mentaux, je veux dire que le réalisateur ne s'intéresse pas tant à la réalité physique des lieux traversés, qu'à la manière dont ils symbolisent la psyché des personnages qui s'y trouvent, ou comment cette dernière affecte la représentation que nous en avons.

Et pour les motivations, histoire de ne pas spoiler comme un cochon ici, je vous renvoie à l'article qu'a écrit Première sur la conclusion du film, qui me paraît assez clair et limpide sur la symbolique et les motivations de chaque protagoniste.

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