The Little Stranger : critique mi-fantôme mi-raison

Geoffrey Crété | 24 septembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 24 septembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Définitivement lancé avec Room, qui a valu à Brie Larson l'Oscar de la meilleure actrice, le réalisateur Lenny Abrahamson (What Richard did, Frank) adapte le roman The Little Stranger de Sarah Walters. Une sombre histoire de maison mi-glauque mi-hantée, avec Domhnall GleesonRuth WilsonCharlotte Rampling et Will Poulter.

 

LA MAISON DU MALHEUR

Ce The Little Stranger est bien curieux. Ce qui commence comme un drame en costume autour d'un docteur renfermé et d'une famille de faux riches, qui vivent dans une maison délavée et poussiéreuse, glisse ainsi peu à peu vers quelque chose de plus ténébreux et étrange. A la frontière des genres, le film de Lenny Abrahamson évoque beaucoup de choses, et invoque des figures classiques (les bourgeois fatigués, les amours contrariées, la lutte des classes silencieuse) pour mieux les laisser se perdre dans le trouble qu'il installe et nourrit à l'écran.

L'histoire suit Faraday, un étrange médecin aussi poli que dérangeant, et merveilleusement incarné par Domhnall Gleeson. Ce qu'on appellera le hasard le ramène vers son passé, lorsqu'il est appelé par les Ayres pour venir soigner leur domestique. Les Ayres vivent dans une grande maison qu'il a jadis connue et observée, lorsque sa propre mère y était domestique. Et tandis que Faraday se rapproche intimement de la famille décrépie, et notamment la fille Caroline (Ruth Wilson), des choses curieuses commencent à se passer, aussi bien dans son coeur que dans le décor poussiérieux de la bâtisse.

 

photo, Charlotte Rampling, Domhnall Gleeson, Ruth WilsonLe bonheur 

 

DIVISION DE FAMILLE 

Si The Little Stranger peine à véritablement convaincre, c'est certainement parce qu'il refuse de dévoiler sa nature et résiste constamment au spectateur. Sur le papier, c'est un beau parti pris, mais à l'écran, c'est un obstacle de taille. La romance est importante sans être développée plus que nécessaire, la famille est centrale sans que ses membres ne soient traités au-delà des figures imposées (particulièrement la mère, effacée, et le frère, vite éjecté), et tout le mystère qui entoure la maison reste tristement effleuré durant la majeure partie du film.

Lorsqu'enfin, l'histoire touche du bout des doigts ce qui était au fond le cœur de l'intrigue, c'est bien trop tard. Et quand le film explore frontalement les genres, c'est sans grande inspiration ni conviction. Une scène comme celle des tubes acoustiques, propice aux frissons, se révèle bien scolaire, et met finalement en évidence l'incapacité du film à trouver sa voie.

Avec plus d'1h50 au compteur, The Little Stranger ménage trop ses efforts, et se repose trop sur son ambiance sophistiquée et ses effets, préférant utiliser une interminable mécanique de l'attente et de l'interrogation, sans rien donner ou si peu à se mettre sous la dent. D'où l'impression d'assister à un défilé froid et désincarné, à l'image de son protagoniste glacial que le film aura tant de mal à utiliser.

 

photo, Charlotte Rampling Une scène censée être majeure

 

NUE PROPRIÉTÉ

La déception est d'autant plus forte que The Little Stranger est porté par des acteurs excellents, qui ont prouvé ailleurs leurs talents et étaient ici réunis sous les meilleures auspices. Vu dans Frank du même réalisateur, Il était temps ou encore BrooklynDomhnall Gleeson trouve ici l'espace qu'il n'a pas dans Star Wars pour explorer la facette la plus sombre et ténébreuse de son visage. Mais l'écriture ne le sert pas, tant le scénario peine à affronter ce personnage trouble, et en tirer autre chose qu'une mine déconfite et impénétrable, constamment retenue.

Formidable dans The Affair, censée être centrale ici, Ruth Wilson est elle aussi délaissée, alors que la solitude sauvage de cette femme est fascinante. Charlotte Rampling et Will Poulter sont les plus grosses victimes, tant leurs personnages sont maltraités. Elle est réduite à quelques scènes tardives, trop rapides pour donner une quelconque dimension à cette étrange mère, tandis que lui est simplement éjecté du récit à mi-chemin. Ce dernier étant plus important dans le livre, même en son absence, il y a là un choix narratif curieux, qui déséquilibre beaucoup le récit.

 

photo, Ruth WilsonRuth Wilson, en deuil d'un scénario plus solide

 

The Little Stranger laisse donc la sensation d'un rendez-vous manqué, qui ne parvient jamais vraiment à s'envoler et donner vie à son sujet pourtant passionnant. Autour d'une lutte des classes qui ronge les individus et les forge dans la douleur, l'histoire traite ainsi de l'obsession fascinante d'un homme pour une autre vie, un autre monde, qui contamine et conditionne ses rapports aux autres et à la réalité.

Quand la conclusion arrive, l'idée mise en jeu est aussi étrange que déstabilisante, offrant une perspective neuve sur l'histoire. L'utilisation du fantastique est intelligente, et aurait pu donner lieu à un film terriblement beau et noir. Celui-ci aurait certainement gagné à ne pas retenir cette idée pour l'enfermer dans la case de l'épilogue. Mais parce qu'il a trop confiance en son ambiance, et jongle avec trop d'assurance entre les genres, il passe à côté du principal - le frisson, le mystère et surtout l'émotion.

 

Affiche française

Résumé

Excellents acteurs, excellent sujet mais pas d'excellence dans l'écriture : The Little Stranger est un rendez-vous manqué, qui hésite si longtemps entre le drame et le fantastique qu'il passe à côté des deux.

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Lecteurs

(2.5)

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commentaires
Lili
15/02/2019 à 16:29

J'avais lu le roman L'Indésirable (traduction française) de Sarah Waters en 2011 et j'avais adoré. Je vous le recommande!

FafanLeFanu
09/10/2018 à 15:57

Votre critique met parfaitement en exergue les qualités et les défauts du film (d'ailleurs ce sont les qualités évoqués qui m'ont convaincu d'aller le voir en salle), principalement son hésitation à aborder et à représenter l'élément fantastique dans l'intrigue, Pourtant j'y ai cru avec la scène (que j'ai trouvé particulièrement forte) de l'attaque du chien lors du repas, et la transformation subite de cet animal présenté comme doux et joueur en bête féroce, puis la disparition de Suki, la plus jeune fille, mais dont on en saura pas beaucoup plus, et le frère, défiguré, qui soutient qu'une présence lui annonce les malheurs à venir.

J'ai vraiment eu la sensation d'un rendez-vous manqué, le sujet étant très intéressant, et le fantastique, parfaitement justifié, permet d'amplifier les dégâts psychologiques de l'inégalité sociale sur le personnage du docteur, lorsqu'il était enfant.

Je vais me laisser tenter par le roman du coup, espérant que l'ambiance fantastique y soit mieux diluée, ne doutant pas que les personnages y soient plus développés (670 pages quand même).

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