I Feel Good : critique croquignolesque

Simon Riaux | 14 septembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 14 septembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Depuis AaltraBenoît Delépine et Gustave Kervern ont composé une filmographie humaine et sensible, unissant dans un même mouvement colère punk et marginalité chaleureuse. Avec I Feel Good, porté par Jean Dujardin, ils nous offrent un condensé de leur univers remuant, et peut-être leur geste de cinéma le plus accompli. Le film fait l'ouverture du FIFIGROT ce 14 septembre.

BERNARD TAPINE

Qu’ils interrogent l’entropie d’un libéralisme aveugle, rejouent l’héritage de Buñuel ou s’enflamment au gré de fous road-movies pour de doux dingues en quête de contact humain, le duo de metteurs en scène a toujours privilégié une forme organique, brute, parfois élégante, mais toujours fragile. Et c’est là la première très belle réussite de I Feel Good : établir une impressionnante avancée dans la maîtrise esthétique de Kervern et Delépine.

Leur mise en scène se fait plus précise, leurs plans plus composés, et leur lumière mieux agencée, dans chacune des images de leur fable cruelle. Nous y suivons Jacques, ahuri total et fasciné par la mystique entrepreneuriale. Incapable de rien concevoir, il est néanmoins convaincu qu’il accouchera de l’idée qui fera de lui le nouveau Bill Gates, le Jeff Bezos frenchie. L'occasion pour Jean Dujardin de livrer sa prestation la plus éclatante et la plus fine à ce jour, numéro de pantomime sous acides qui lui permet d'égrainer les registres de jeu à la manière d'un gymnaste olympique.

 

photo, Jean DujardinJacques, se rêvant capitaine d'industrie

 

Pour accompagner ce dangereux malheureux, recueilli par sa sœur (troublante Yolande Moreau), à la tête d’une communauté Emmaüs, Kervern et Delépine déploient une richesse stylistique qui donne souvent le sentiment d’assister à une œuvre somme. Capables de piocher aussi bien dans leur veine la plus légère, la pulsion familiale et élégiaque de Saint-Amour, ou dans le sourire désespéré qui traversait Mammuth, ils emballent un des films français les plus riches formellement découvert ces derniers mois.

 

TRAVAIL FAMILLE RAPINE

Bourré de surprises stylistiques, I Feel Good étonne également par la variété de ses thèmes. Roquette poétique adressée au Macronisme et ses chimères, le scénario ne se contente jamais d’être un tract anarcho-humaniste, et nous embarque au plus près de sa galerie de personnages. Ainsi, la relation entre Jean Dujardin et Yolande Moreau frappe par son intensité, et la grâce découlant de la folie douce qui les ronge.

 

photoEntre rire et larmes

 

Autour de ce duo improbable, une galaxie de rôles jamais seconds s’étend. Acteurs non-professionnels, témoins de la catastrophe à venir, ils sont ces gens dont on entend parfois qu’ils ne seraient rien, et donnent ici au récit délirant de Kervern et Delépine une ossature formidable. De transitions musicales en parenthèses poétiques, ils ramènent Dujardin et Moreau à leurs contradictions et autorisent les cinéastes à tenter des ruptures de ton étonnantes.

C’est fort de ces qualités que I Feel Good peut s’embarquer vers un dernier acte en Absurdie, poussant ses potards au maximum. Errance survitaminée en ex-Union Soviétique, délire de bistouri et explosion en vol d’un anti-héros victime de son époque les amènent jusqu’à une conclusion à la fois glaçante et hilarante. Parce que leur rire teinté d’angoisse ne cède jamais à l’amertume, le couple créatif emballe ici peut-être son meilleur film, l’achevant sur une parabole à mi-chemin entre Dali et Cronenberg, ultime pied de nez à leur époque.

 

Affiche

Résumé

Sorte de roquette poétique tirée sur le macronisme et ses mirages, I Feel Good est peut-être le meilleur film de Kervern et Delépine. Tour à tour glaçant et hilarant, acide et révolté, mais jamais amer.

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Lecteurs

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commentaires
fourtwo
04/11/2018 à 18:15

Pfiou ça vole haut ici

Proissans
04/11/2018 à 17:58

A Simon Riaux: Quel esprit fait con !!

Simon Riaux
18/10/2018 à 10:19

@Proissans

Heu ça n'a rien de tordu hein.
C'est un vieux truc qu'on appelle l'ironie.

Mais bon, c'est toujours un peu plus dur à appréhender quand on cause d'un truc qu'on ne connaît pas.

Proissans
18/10/2018 à 09:29

A Simon Riaux. Avec un tel esprit tordu, on peut tout justifier. Vous devriez faire de la politique, si ce n'est pas déjà le cas..

Simon Riaux
10/10/2018 à 14:59

@Proissans

Mais ne serait-il pas possible, voire même à peu près certain, connaissant le travail des intéressés, que ce titre soit justement une pique acide en direction de ceux qui justement, s'expriment en anglais à tout bout de champ ?

(SPOILER : oui, c'est évident)

Proissans
10/10/2018 à 14:49

Je n'ai pas la prétention de m'exprimer au nom de "l'espèce humaine", comme vous dites. En mon nom propre, je déplore simplement que des snobs croient bon de s'exprimer en anglo-américain pour vendre leur produit. Je persiste donc et je signe.

Simon Riaux
01/10/2018 à 13:11

@Proissans

Peut-être votre opinion concernant le titre de leur film n'est-elle... que la vôtre et non une réalité partagée par l'ensemble de l'espèce humaine.

Proissans
22/09/2018 à 21:02

C'est peut-être un bon film ; je n'en sais rien, je ne l'ai pas vu; Mais pourquoi ces deux abrutis de réalisateurs ont-ils donné un titre imbécile et snob à leur film ???

Dutch Schaefer
16/09/2018 à 09:50

Un de ceux que j'attends le plus cette année! Je suis fan du duo!

Ded
15/09/2018 à 12:02

Rien de tel qu'un bon Kervern/Delépine bien grinçant pour aider (si besoin est !) à écorner l'image Start up Nation et ses winners premiers de cordée au discours élitiste, crispés du trouduc bien peignés, arborant costard cravate, raie sur le coté et sourire carnassier... Certes, ça fait cliché mais eux-même, ne sont-ils pas que des caricatures tragiques ? Assurément, au regard du concept aussi anarchisant que rafraichissant, ce métrage sera à déclarer d'utilité publique...

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