Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain : critique qui ne passe pas le périph'

Lino Cassinat | 8 mai 2022
Lino Cassinat | 8 mai 2022

Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain est ce soir à 21h05 sur 6ter.

Au sein de la filmographie très singulière de Jean-Pierre Jeunet, Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain est probablement le long-métrage qui a la place la plus étrange. C’est en effet le premier du réalisateur sans la compagnie de Marc Caro (et sans un studio qui vient lui casser les pieds comme pour Alien, la résurrection). Pour la première fois, Jean-Pierre Jeunet est seul en selle, et pour la première fois également, il quitte les univers fictifs pour s’intéresser au quotidien, à la réalité, mais sans pour autant transiger avec son style plastique ni ses thématiques fantasques.

JEAN-PIERRE SOMMET

Attendu au tournant et avec curiosité, Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain fut la consécration totale de son auteur, un succès à la fois critique (malgré quelques voix discordantes) et public, en plus d’être un carton complet au box-office français et international. Rien n’arrêtait le film. Puis, les années passant, le soufflé est brutalement retombé.

 

photo, Mathieu KassovitzMathieu Kassovitz

 

En effet, il semblerait que la mémoire collective ait davantage retenu la musique emblématique de Yann Tiersen, l'ambiance nostalgique pour les fans ou de carte postale pour les détracteurs, et la révélation d’Audrey Tautou, jusqu’alors quasi inconnue (même si César du meilleur espoir pour Vénus beauté (institut)). Le récit concret du film est quant à lui un peu tombé dans l'oubli, alors même que Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain fut le plus gros succès français de son année et le deuxième film le plus vu en salles en France en 2001 (derrière Harry Potter à l'école des sorciers. Oui ça y est vous êtes vieux.)

Et pour cause : Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain fait partie de ces films qui sont avant tout des univers avant d'être des récits. Le "fabuleux" destin d'Amélie Poulain n'a d'ailleurs finalement rien de fabuleux, dans le sens où justement, le film met en avant l'idée qu'elle n'est qu'une quidam, mais que son don est de contaminer ce qui l'entoure avec son imaginaire. Le récit n'est donc pas l'élément fort de l'oeuvre, et s'il n'y a rien de mal en soi à conceptualiser un film sur un tel ressort et à mettre l'univers au centre de l'histoire, le problème c'est que justement, de l'univers conçu de Jean-Pierre Jeunet et du regard qu'il porte à travers lui sur le monde, il y a à redire.

 

photoServeuse, c'est chouette non ?

 

"C'ÉTAIT LE BON TEMPS"

En effet, malgré l’amour sincère que l’on porte aux divers personnages principaux et malgré la justesse avec laquelle Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain cerne plusieurs thèmes compliqués dont notamment la solitude moderne des êtres ou le rapport au temps qui passe et à l’enfance, il échoue complètement à les contextualiser avec pertinence. Les sentiments évoqués précédemment sont bien présents, et ils traversent tout le film avec une belle vivacité, mais une fois plongés dans un univers aussi lisse et corseté que celui du Paris de Jeunet, ils sont également vidés de toute véritable substance, et sont à deux doigts de transformer le tout en éloge de la petitesse.

C’est un reproche qui a été fait 1000 fois au film, mais qui se vérifie encore : une fois l’histoire de l’enfance d’Amélie très joliment racontée pendant les 15 premières minutes du film (sans aucun doute les meilleures avec la scène de la cabine téléphonique), Jean-Pierre Jeunet flirte dangereusement avec le pittoresque, et cela nuit très fortement au propos du film. On aime ou on n'aime pas le style ultra-mécanique du réalisateur, au fond c’est une affaire de goût personnel, mais sa vision idyllique et presque automatisée de Paris produit deux effets difficiles à encaisser sereinement.

 

Photo Audrey TautouAh, 1997, c'était le bon temps

 

LE PÉTULANT PARIS DE JEAN-PIERRE JAUNI

Le premier effet de son style, en surface, c’est qu’il réduit le film à un enchaînement de saynètes charmantes certes, mais un peu futiles, surtout que les deux histoires du film (Amélie aide les gens / Amélie tombe amoureuse) ont d’autant plus de mal à communiquer de ce fait. Le second effet, plus profond et plus pernicieux, c’est qu’à forcer le trait sur un Paris merveilleux fantasmé et sur le folklore des gens de peu, il ressort du Fabuleux Destin d'Amélie Poulain l’impression assez désagréable qu’il suffit de changer son regard sur les choses, d’apprendre à voir la beauté dans les recoins du quotidien pour enchanter sa vie.

Il appartient à chacun de souscrire ou pas à la note d'intention de Jean-Pierre Jeunet, on pourrait également rétorquer qu'au fond ce n'est qu'une comédie romantique. Mais en 2001 comme en à présent, il peut être difficile pour certains d’accepter pendant deux heures de film l’idée que le bonheur, notamment celui des petites gens, n’est qu’une question de point de vue, et qu'il suffit d'apprendre à voir pour créer du lien social. Mais il suffit d’un plan d’installation à la grue dans une gare et de trois figurants pour comprendre que dans certains imaginaires le canal Saint-Martin et le Sacré Cœur sont des vraies frontières.

 

Affiche

Résumé

Amélie Poulain nous cueille aussi délicatement que Jean-Pierre Jeunet ânonne lourdement, l'oeil mouillé et l'air de dire "c'était le bon temps".

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commentaires
EricSolo
17/02/2023 à 00:57

"il ressort du Fabuleux Destin d'Amélie Poulain l’impression assez désagréable qu’il suffit de changer son regard sur les choses, d’apprendre à voir la beauté dans les recoins du quotidien pour enchanter sa vie."

Aucun risque que cela arrive à nos grands critiques snobs et blasés. Victor Hugo écrivant Notre-Dame de Paris aujourd'hui serait mis au pilori comme horrible réactionnaire

Freddrk
10/05/2022 à 20:31

J’ai revu ce film
Toujours aussi frais
Toujours enchanteur
mais que c’est bon !

Morcar
10/05/2022 à 11:16

@Cmdtp, Bien sûr, et on peut aussi avoir compris qu'Halloween est un slasher et trouver ça trop horrifique quand même... Je vous propose d'aller relire la définition de ce qu'est une fable pour vous apercevoir par vous-même de l'incohérence de votre propos...

Birdy Poulain
09/05/2022 à 21:02

@ Tuk : "Si vous le voyez comme un documentaire c'est effectivement un soucis car ce film est bel et bien une fiction !"

D'après toi ? Ai je pu prendre ce film pour un docu raté ?

Ethan
09/05/2022 à 19:11

Perso j'ai aimé ce film car ce sont des personnages assez proche de nous. Le côté poétique du film en font un de ses charmes. Je ne vois rien à critiquer sur le film. Moi perso j'ai adoré ces petits moments qui permettent à Amélie de se poser, de penser, de rêver : c'est son jardin secret ! Les petites manies d'Amélie nous évoque tellement de souvenir que ça fait plaisir de les voir, meilleur moment la crème brûlée. Et puis la rencontre personnage de Kassovitz et Amélie est original romantique improbable mais est un peu ce qu'est l'amour à savoir improbable et pas forcément dans la routine. Sortir du cadre social donne même plus de poids à l'amour entre deux personnes je trouve par rapport au côté âme soeur

@Cmdtp
Le film se passe à Paris en France en 1997, pourquoi aller chercher une polémique sur la couleur des figurants et des acteurs. Il faut arrêter de voir du racisme, pistonnage, même si c'est possible. Moi perso je ne l'ai pas ressenti et il me semble même qu'il y a ci et là des figurants de couleur. L'histoire se concentre sur quelques personnages et c'est tout (clin d'oeil au titre d'un autre film avec Audrey Tautou).

Kiel !
09/05/2022 à 17:22

Le FDAP convoque avant tout un imaginaire « de carte postale » avec les partis pris esthétiques désuets qui vont avec.
Les considérations de réalisme ou politique ne sont pas pertinents ici et ne devaient même pas être dans la tête du réalisateur a l’époque.

Cmdtp
09/05/2022 à 14:54

@ Hambourg : on pourrait chercher la petite bête et dire que le côté Paris d’antan très blanc ( a l’exception de Debbouze certes ) est en peu reac c’est d’ailleurs je crois me souvenir une critique de l’époque que je trouve tirée par les cheveux je précise.

@ morcar : on peut avoir compris qu’il s’agit dune fable, c’est dans le titre, et trouver ça trop mielleux quand même.

Morcar
09/05/2022 à 14:03

Les gens qui n'ont pas compris que ce film est comme une fable, alors que tout est pourtant clair à l'écran, c'est assez étonnant... Evidemment qu'une fable est un univers fantasmé !

Tuk.
09/05/2022 à 13:45

@ Birdy Poulain
Ce documentaire sur Paris et les Parisiens est vraiment raté.

Si vous le voyez comme un documentaire c'est effectivement un soucis car ce film est bel et bien une fiction !

Hambourg (à côté de Rostock à l'Ouest)
09/05/2022 à 13:40

@cmdtp

Paradoxalement, je suis d'accord avec vous le film a rétrospectivement un côté gnangnan et bon sentiment qui peut être insupportable et qui ne peut être passé sous silence. Je ne parle même pas des tics de mise en scène qui aujourd'hui sont pas loin d'être irregardables (comme un clip des années 80).
Néanmoins le charme opère dans cette incroyable tour de force visuel et narratif (qui fait des films comme ça ?).
La fabuleux destin est loin d'être intouchable, il n'est juste pas réactionnaire ....

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