Rester Vivant : Méthode - critique de la souffrance

Christophe Foltzer | 9 mai 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 9 mai 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Michel Houellebecq et Iggy Pop, deux artistes aux antipodes et qui n'ont, à priori rien à voir entre eux. Sauf qu'ils ont une racine commune, une faille indélébile tout au fond d'eux qui les a façonnés en ce qu'ils sont devenus aujourd'hui. Et avec Rester vivant, ils nous expliquent comment ils ont fait pour tenir le coup.

GENEALOGIE DE LA SOUFFRANCE

Qu'est-ce qui fait, qu'un jour, un individu se décide à devenir un artiste ? Qu'est-ce qui pousse à la création alors que cet acte, violent et jouissif en même temps, condame la main qui le dirige à adopter une position périphérique de celle de ses contemporains ? Et s'il n'était pas tant question de choix que de nécessité ? Moins de désir que de besoin ? Pour survivre, quelques secondes de plus, en dépit des tentations destructrices et d'une certaine image romantique de la souffrance.

En 1991, Michel Houellebecq publie Rester vivant, son premier texte vraiment personnel, un essai compilant des textes courts sur la poésie et la souffrance. Quelques temps plus tard, à l'autre bout de l'Atlantique, la rock star Iggy Pop, découvre l'ouvrage et s'y perd. Le texte résonne en lui comme un compte-rendu de son parcours. Un lien se crée entre ces deux artistes qui ne se connaissent pas et qui ne parlent pas la même langue. Aujourd'hui, ils sont réunis dans Rester vivant : méthode, un objet filmique tellement bizarre qu'il en devient envoûtant.

 

rester vivantMichel Houellebecq et Iggy Pop

 

En effet, le film de d'Erik Lieshout, Arno Hagers et Reinier van Brummelen est à l'image du texte qui l'inspire : protéiforme, chaotique, troublant mais totalement sincère. Pas vraiment un documentaire, mais pas vraiment une fiction non plus, Rester vivant s'emploie à brouiller les pistes et mélanger les codes pour faire passer son message.

Avec Iggy Pop en Monsieur Loyal, lisant des passages du texte original, tout en parlant de sa vie, Rester vivant traite donc de la souffrance, mère nourricière de toute création, et des moyens de s'en accomoder, voire de l'utiliser à bon escient. Il nous présente trois parcours cabossés, Jérôme, Anne Claire et Robert, éclaboussés par l'existence, arrivés à leur point de rupture et que l'étude de la poésie a sauvé du trou. En parallèle, nous suivons Vincent, interprété par Michel Houellebecq lui-même, personnage de fiction assurant la synthèse du propos qui vit reclus dans la maison familiale en travaillant sur une oeuvre qui révélèrait le secret de l'existence.

 

photo, Iggy Pop

 

STAYING ALIVE

A travers ces parcours, nous découvrons la solitude et la souffrance intérieure de l'individu moderne. Ou comment un esprit marginal est broyé par le système. Ou comment les accidents de la vie nous redéfinissent parfois pour le meilleur, mais surtout pour le pire. Il est très difficile de parler du film tant il constitue une expérience à la limite de la synesthésie, tant il échappe aux codes en vigueur et tant il touche une partie de notre humanité très peu sollicitée de nos jours.

 

photo rester vivantMichel... ou peut-être Vincent ? Ou les deux ?

 

Autant un essai philosophique, qu'un acte de résilience à la limite de la psychomagie, Rester vivant n'appartient à aucun genre et trouve son équilibre forme-fond dans son identité même. La question de l'identité, et à fortiori de l'identité par rapport à la souffrance, est le centre du film. Sa raison-d'être tout autant que son message. On se retrouve donc face à une méthode de coaching à destination des laissés pour compte, ceux que notre société déshumanisante considère comme des anormaux, notre honte. Et pourtant, la flamme de vie dans toute son intensité ambivalente se trouve bel et bien chez eux et ces individus nous révèlent toutes les facettes de leur parcours avec pudeur et sensibilité.

En résulte un film touchant, déstabilisant, remuant, étrange, particulier dont le seul gros défaut serait un côté un peu trop poseur sur la fin. Mais au-delà de ça, Rester vivant est un manifeste pour la vie, l'art, l'amour et soi comme on en voit très rarement. En dépit de sa thématique extrêmement sombre, il ne parle que de lumière.

 

photo Rester Vivant

Résumé

Bizarre et fascinant, Rester Vivant est à la croisée des mondes, tout comme ses personnages. Plongée dans la recherche du vrai par la souffrance tout autant que moyen de s'en sortir, le film arrive à point nommé. Sa vision est donc obligatoire.

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commentaires
Jackot
22/02/2021 à 23:30

De mon côté je l'ai trouvé à la mediatheque en DVD

Hapaloos
24/10/2018 à 21:39

Mais en fait c'est IN-TROU-VABLE ce film....(?) Peux pas l'acheter, il est pas diffusé en salle.. Une idée ? (Belgique).

fourtwo
17/05/2018 à 10:56

Vu hier, de bonnes idées, une tonalité oscillant entre gravité et humour, une photo soignée, une durée maitrisée, une bonne surprise.
Le personnage de Vincent interprété par Houellebecq est bien évidemment le Vincent de La Possibilité d'une Ile.

keryoulann
09/05/2018 à 17:57

Merci pour votre critique qui me donne encore plus envie d'aller voir cet oeuvre. J'ai découvert le texte de Houellebecq il y a quelques semaines dans l'attente de la sortie du film.
Mais à ma grande déception, le film ne passe pas dans ma ville (Nantes, qui n'est pourtant pas un bled...) ni aux alentours. Merci donc de votre retour.

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