Après La Guerre : critique terroriste

Christophe Foltzer | 22 mars 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 22 mars 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Faire un premier film, c'est toujours très compliqué, et c'est généralement l'occasion pour une jeune réalisateur de parler de soi. Pour rester sur un terrain connu d'une certaine façon, tout en prenant tous les risques. Mais il arrive que certaines carrières, dès le début, visent plus haut. Le cinéma a cette qualité rare et précieuse de pouvoir nous parler d'une époque passée tout en étant connectée à notre présent, en nous offrant un recul nécessaire pour, si ce n'est en tirer les leçons, au moins nous permettre de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. Et lorsqu'arrive un film comme Après La Guerre, on se dit que nous avons quand même une sacrée chance que le cinéma existe.

CHRONIQUE DES ANNÉES DE PLOMB

En 2002, à Bologne, le gouvernement italien cherche à modifier la loi travail (tiens, tiens) ce qui soulève une vague de protestations dans les milieux universitaires. Lorsqu'un juge se fait assassiner à la sortie d'une conférence, les vieux fantômes du passé ressurgissent. Le meurtre est attribué à Marco Lamberti, réfugié en France depuis 20 ans, ancien leader d'un groupe armé, protégé par la Doctrine Mitterrand depuis 1985. Mais lorsque le gouvernement réclame son extradition, Marco prend le maquis avec Viola, sa fille de 16 ans et projette de s'échapper au Nicaragua.

A travers une galerie de personnages tous plus intéressants les uns que les autres, la réalisatrice Annarita Zambrano se livre à un exercice de style particulièrement périlleux mais heureusement totalement maitrisé : le destin croisé. En suivant cette famille éclatée, une partie en Italie et l'autre en France, c'est en fait l'histoire de toute une génération confrontée à son passé historique qui nous est exposée avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité.

 

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En combinant l'Histoire à la petite histoire des gens qui l'ont faite, le film parvient à nous montrer, sans tomber dans le didactique ou dans la leçon de morale, à nous faire ressentir à quel point les actions d'une personne peuvent impacter une communauté entière sur plusieurs décennies et remet en valeur un passé honteux que l'on a tout fait pour gommer. Les oeillères volent en éclats, les vérités s'imposent et il faut les regarder en face sous peine de se faire dévorer par elles. Un fond politique et humain des plus passionnants qui ne serait d'aucune efficacité s'il n'était servi par une galerie de comédiens compétents et totalement investis. Ce qui est évidemment le cas ici, tant dans la partie italienne et française.

 

Photo Après la guerre 2017

 

LES FANTÔMES DU PASSÉ

Ce qui impressionne dans Après la guerre, c'est aussi la grande finesse de la mise en scène, du rythme général et du montage. Tout en subtilité, le film nous fait ressentir ses enjeux sans tomber dans le démonstratif et a cette grande capacité de ne jamais abandonner l'histoire humaine au profit du fond politique et engagé particulièrement chargé du récit. C'est d'ailleurs dans la rencontre entre ces deux univers que réside l'intérêt principal du film, dans cette manière délicate et sensible de nous montrer comment les remous de notre passé peuvent décider du destins de plusieurs personnes d'âge et de catégorie sociale différentes. Ce qui fait énormément réfléchir.

 

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S'il est un premier film de très grande qualité, Après La Guerre n'est cependant pas exempt de défauts. De tous les portraits qui nous sont exposés, la partie consacrée à la jeune Viola est certainement la plus faible, parce que la plus pratique d'un point de vue scénaristique puisque c'est ce personnage qui sert à relier toutes les directions dans un point final qui a plus des allures de point de suspension. Une partie quelque peu artificielle, alors que le reste brille par son authenticité et sa recherche de vérité (notamment à l'occasion d'un diner familial renversant). Cela dit, cette petite scorie ne parvient jamais à ébranler l'édifice, ce qui montre bien qu'il a été construit sur des fondations plus que solides.

 

affiche

Résumé

Maitrisé dans le fond comme dans la forme, Après la guerre est un film très important, surtout en ce moment. Analyse des troubles identitaires de deux pays au passé chargé, il remet surtout l'humain au centre de son Histoire en désacralisant les figures héroïques ou "démoniaques" (cela dépend de l'identité du vainqueur) en montrant que ce sont avant tout des hommes et des femmes qui cherchent à se créer un destin. Il en résulte un film passionnant et troublant, tout autant que la naissance d'une réalisatrice à suivre de très, très près.

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Lecteurs

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Le reporter du ciné
22/03/2018 à 19:26

Un film librement inspiré…
A la fin de la projection du film en avant-première à Seynod, nous avons eu la chance de rencontrer sa réalisatrice Annarita Zambrano et l’actrice du film interprétant Anna, où plutôt devrais je dire uniquement la réalisatrice, l’actrice ayant choisi la lutte clandestine contre…le sommeil ! Et sa ressemblance sur l’affiche du film nous embruma un peu…
Le film aborde un sujet public, la fin de l’amnistie des terroristes italiens par la France (une décision pour beaucoup d’entre nous incompréhensible), dans la sphère du privé, et comprendre l’inverse provoquerait les foudres de la réalisatrice ! Le choix d’une fiction permet de pouvoir tout faire, et pourquoi pas même n’importe quoi, dans un cadre choisi préalablement. Pour faire bref c’est un film français qui parle de l’Italie : aucune référence à des évènements historiques, aucune idéologie ni même à un quelconque baratin et bien sûr aucune trace judiciaire.

Le film est assez bien narré et filmé, en panoramique pour plus d’immersion dans la vie des personnages, mais à l’exception des gros plans du début sur l’adolescente que je juge déplacés et inutiles, avec quelques lenteurs dans le rythme, ponctué de quelques effets chocs non gores ! Les personnages ne sont pas trop superficiels, les acteurs s’investissent pleinement dans leur rôle, pour certains leur premier. La réalisatrice n’a pas choisi de prendre partie si bien que le juge, le beau-frère du terroriste (qui devient un art de créer des combles…) nous paraît aussi antipathique et terne que le criminel !
Annarita Zambrano a fait un film, à défaut d’être surhumain, humain en laissant une empreinte féminine bon gré malgré elle. J’ai pu lui faire cette remarque à la sortie, elle m’a répondu : « Féminin ?!!…Allez il est tard nous devons partir… » Comme par exemple l’histoire d’amourette de adolescente était-elle nécessaire, ou n’étions nous pas déjà un peu pris par le temps ??!! En plus d’être à la fois humain, féminin, c’est un film intimiste. A travers le portrait qu’elle brosse de Viola, sûre d’elle, possédant un caractère bien trempé…fille de terroriste tout de même !, a un désir d’indépendance et surtout ne veut pas être écrasée par le père, tout comme la personnalité de la réalisatrice et scénariste : fille de juge qui n’a pas eu une personnalité écrasée en la voyant, est la première à faire un film sur cette période italienne post années de plomb, va donc à l’encontre des archétypes sur la famille italienne. Annarita est à l’image de son film.
La réalisatrice a fait s’entrechoquer durant tout son film deux mondes antagonistes où leur substance est différente de ce que l’on pourrait penser au premier abord : un vaste espace libre en France où pourtant les protagonistes sont recherchés par la police, et un enferment moral en Italie dans un pays libre en apparence. Pour comprendre le choix de certaines scènes sous-jacentes du film, la lecture peut se faire à travers le prisme psychanalytique : lorsque la mère de la sœur du terroriste gronde sa fille fortement dans sa voiture, peut nous dire que l’épisode envers cette violence ou la violence est non bouclée, héréditaire et banale. Le complexe d’Œdipe mis progressivement en place serait le fil directeur du film aboutissant à son issu final et fatal : pour s’émanciper, avoir une nouvelle vie c’était le prix à payer pour Viola…

En conclusion, nous restons sur notre faim car nous avons les mêmes interrogations qu’au départ : quelles peuvent être les solutions envisageables pour ces deux pays et les victimes, pourquoi dans le film le couperet de la justice ne peut tomber. A l’inverse on s’attarde sur des aspects de la vie de certains personnages nous éloignant du sujet traité, tout ceci traduisant en fait les faiblesses du scénario. Alors pour un film intimiste oui mais un rendez-vous manqué avec l’histoire.

Dami

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