Ouaga Girls : critique les mains dans le cambouis

Christophe Foltzer | 7 mars 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 7 mars 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Alors que Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, a malheureusement fait l'actualité il y a quelques jours suite à la double attaque terroriste dont elle a été victime, Ouaga Girls arrive à point nommé pour nous montrer un autre visage du pays. Plus souriant, certes, mais tout aussi important.

S'il n"est pas étonnant qu'un film comme Ouaga Girls sorte chez nous un 7 mars, veille de la journée de la femme, une certaine logique cosmique met donc le film de Theresa Traoré Dahlberg au centre d'une double actualité. Alors que la ville de Ouagadougou panse encore ses blessures suite à la double attaque de vendredi dernier, l'histoire que nous raconte ce documentaire pourrait à priori paraitre assez insignifiante en comparaison. Ce qui est évidemment une énorme erreur de jugement.

Pourtant, Ouaga Girls part d'un principe plutôt simple : la réalisatrice suit en effet plusieurs jeunes femmes durant leur formation pour apprendre à devenir mécaniciennes. Un choix de carrière guidé par la nécessité et la réalité économique, généralement réservé aux hommes, qui les marginalise d'emblée tout autant qu'il les plonge au coeur-même de la société. On pourrait craindre un portrait féministe engagé comme on sent en fleurir beaucoup ces derniers temps (notamment depuis l'apparition de #metoo) mais pourtant, il n'en est rien.

 

Photo Ouaga Girls

 

LE TOUR D'ECROU

Bien sûr, il est question de la femme dans Ouaga Girls, c'est même le coeur du sujet dans son premier niveau de lecture. Et la réalisatrice nous présent quelques portraits saisissants de la jeunesse féminine Burkinabé entre une jeune femme qui veut être chanteuse, une autre qui veut un enfant, et encore une, un peu au milieu, qui se pose des questions sur son parcours à venir. Un questionnement qui n'est pas si différent des nôtres évidemment puisque, si le cadre change d'un pays à l'autre, les envies humaines restent les mêmes. 

 

Photo Ouaga girls

 

Quelle est la place de la femme actuellement dans une société aux fondements patriarcaux ? Qu'est-ce qui définit un métier d'homme et un métier de femme ? La société est-elle suffisamment prête pour ce mélange des genres qui bouscule les habitudes et les traditions ? Et que fait-on des rêves profondément enfouis, sacrifices annoncés sur l'autel d'un avenir au sein d'une société en constant mouvement ?

Dans l'histoire, très touchante, qu'il nous raconte, Ouaga Girls nous montre tout cela, à travers ces femmes courageuses, prises en tenailles entre leurs envies et une réalité économique et politique implacable qui semble décider pour elles, un système sociétal qui les montre parfois du doigt tout autant qu'il les encourage à s'affranchir des limites qu'il a lui-même imposé, pour le bien général. Et de ce strict point de vue, Ouaga Girls est déjà un très bon film à ne pas rater. Mais c'est lorsque l'on fait attention aux détails, qu'il nous révèle son vrai visage.

 

Photo Ouaga Girls

 

LE REGARD VERS DEMAIN

Si nous suivons bien ces femmes dans leur formation de mécaniciennes ainsi que les difficultés qu'elles rencontrent, Ouaga Girls s'attache tout autant à nous présenter le Burkina Faso dans sa volonté de rompre avec son passé et de prendre son destin en main. Le film se déroule à la veille d'élections capitales, qualifiées de renouveau et d'ouverture au monde. Une volonté de donner au pays les moyens de décider de son avenir, dans un système démocratique et capitaliste, qui aura énormément de conséquences sur nos héroïnes.

La subtilité avec laquelle Theresa Traoré Dahlberg amène ce sous-texte force le respect puisqu'il n'est jamais imposé au spectateur mais se révèle à l'oeil attentif. Un panneau publicitaire au détour d'une route, un reportage télé en fond sonore ou une émission de radio durant une mise en pli, le film ne quitte jamais ses personnages au profit de la grande histoire en devenir, comme pour nous rappeler que cette histoire, justement, ne se construira jamais sans les humains que l'on nous montre. Et l'effet est passionnant tout autant que perturbant puisqu'il nous amène à une certaine ambiguité très intéressante.

 

Photo Ouaga Girls

 

Ouaga Girls nous pose ainsi la question de l'individu face à la communauté et même les représentants de l'autorité dépeints dans le film (les professeurs, les patrons, la psychologue) oscillent constamment entre deux pôles : le Burkina Faso doit évoluer, changer, devenir un acteur économique de premier ordre et, pour ce faire, il doit être prêt à tous les sacrifices mais il suffit d'une naissance ou d'un décès pour briser ce discours propagandiste libéral, pour retrouver les personnes dans leur authenticité, comme pour montrer que l'objectif économique devra toujours composer avec la réalité humaine

A travers ces femmes, c'est donc le Burkina Faso actuel qui se présente à nos yeux, dans tous ses enjeux, sa richesse culturelle et les sacrifices qu'il impose pour évoluer. Et c'est magnifique. Parce qu'au fond, le film ne parle que de nous, en tant qu'Humanité, de la direction que l'on prend et des moyens que nous sommes prêts à employer pour y parvenir. Bref, ces Ouaga Girls forcent le respect et le film est absolument à découvrir.

 

 

Résumé

Riche, sensible, humain et passionnant, Ouaga Girls est définitivement un film à voir, au-delà de la question de la femme dans la société africaine d'aujourd'hui. Theresa Traoré Dahlberg réalise un film qui parlera à tout le monde, d'une grande subtilité, avec intelligence et sans s'éparpiller et nous prouve qu'au fond de nous, nous sommes tous un peu ces femmes destinées à devenir mécaniciennes. Très fort.

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Lecteurs

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commentaires
femme
15/04/2018 à 13:39

Désolée de ne pas être d'accord avec vous!
Bravo à ce pays pour mettre en place ce type de formations destinées aux femmes!
Bravo aux femmes pour oser se lancer non pas en mécanique comme il est dit et répété dans toutes les critiques mais en carrosserie automobile ce qui n'est pas la même chose .
Toutefois, jamais au cours de ce film on ne sent une détermination de leur part,
Jamais on ne voit un enseignement digne de ce nom...
Par contre des cours de morale ridicules.
Ce film serait totalement contre productif s'il était vu par d'autres personnes que celles déjà acquises à la cause des femmes!
Il ne lutte pas contre les stéréotypes! au contraire il les renforce car l'image des femmes qu'il nous donne est dévalorisée: elles semblent ne s'intéresser qu'à leur corps: coiffures, chaussures, avoir des enfants, trouver le grand amour...
Par contre c'est un documentaire qui nous en apprend beaucoup sur la différence.
Je dirai, pour avoir travaillé dans l'insertion, que ces femmes semblent très loin de l'emploi.
Sans doute profitent elles d'un dispositif mis en place dans une bonne intention et tant mieux!
Mais je préfère penser que la réalisatrice est totalement à côté de ses ambitions, car casser les stéréotypes demande de se mettre à la place d'un public plus large que celui qu'elle vise!!!

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