Maroni : Critique au coeur des ténèbres

Christophe Foltzer | 20 janvier 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 20 janvier 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Quand on regarde le spectre de la série française on comprend très rapidement qu'il existe un gros complexe vis-à-vis des séries productions étrangères. On reproche à nos diffuseurs de nous sortir toujours la même chose, de ne jamais prendre de risque. Maroni entend bien donner un gros coup de pied dans la fourmilière.

Et, mine de rien, c'est un petit événement que cette série Maroni que nous propose Arte actuellement. Face à l'offre de plus en plus agressive des américains, via Netflix et Amazon Prime notamment, la France se devait de réagir. S'il y a déjà eu de nombreuses tentatives, et certaines très réussies comme Le Bureau des Légendes par exemple, on ne peut pas dire que le bilan soit définitivement positif. Comme si notre production nationale n'arrivait pas à s'affranchir de 30 années de Navarro et de Julie Lescaut. Et pourtant, lorsqu'on interroge scénaristes et réalisateurs, l'envie est là, tout comme les idées, il manque simplement un producteur et une chaine un peu couillus pour se lancer dans l'aventure.

Autant dire que Maroni tombe à point nommé pour nous prouver qu'il est possible de produire des oeuvres autres bien de chez nous. Parce que la série créée par Aurélien Molas et réalisée par Olivier Abbou ne choisit clairement pas la facilité, même si elle part d'un postulat classique qu'elle s'amusera à exploser en quelques minutes. Chloé Bresson est une jeune gendarme au passé trouble qui vient d'être mutée à Cayenne, en Guyane. A peine arrivée, un meurtre sauvage se produit sur un bateau de plaisance et l'enfant des pauvres victimes a disparu. C'est donc une course à la montre qui démarre pour le retrouver et, accompagnée de son coéquipier Joseph Dialo, Chloé va devoir s'enfoncer dans la jungle, plonger dans une culture qu'elle ne connait pas et affronter ses démons pour éviter le pire.

 

Photo Maroni

Adama Niane rend la justice à sa façon

 

BIENVENU DANS LA JUNGLE

On le voit, le point de départ est on ne peut plus classique et c'est malheureusement une nécessité pour les auteurs, histoire de prendre son public par la main, ne pas bousculer ses habitudes d'entrée de jeu et l'amener à son insu en territoire inconnu. Et on peut dire que cela fonctionne ! En effet, la Guyane retrouve cet aspect sauvage et mystérieux tel que l'on peut retrouver ces coins dans les romans de Joseph Conrad, Au Coeur des Ténèbres étant une référence évidente et totalement assumée.

Mieux encore, l'enquête, au final plutôt simple, n'est jamais le coeur de l'histoire. Non, là, ce qui nous intéresse, ce sont les deux parcours complémentaires de nos héros, leur plongée dans les ténèbres et le fait qu'ils choisissent ou non de faire face à leurs souffrances intimes. Comme dans les meilleurs récits symbolistes qui existent, l'univers de Maroni ne sert bientôt plus que de reflet névrotique aux traumatismes des personnages. Le déracinement, l'impression de n'appartenir à rien de réel, le décalage qui vous coupe des autres, le tout couplé avec la moiteur et la chaleur ambiante, autant de conditions qui échauffent les esprits et les corps. Parce que la série, consciente de son enjeu et de son statut d'ovni dans la production, en profite pour y aller à fond. A la lisière du fantastique et de la folie durant tout son récit, elle décide d'y plonger franchement dans sa dernière partie en nous proposant un épisode conclusif assez époustouflant et regorgeant d'événements que nous ne pensions pas voir un jour à la télévision française. Pensez Apocalypse Now qui croiserait le chemin de L'Emprise des Ténèbres de Wes Craven et vous aurez une petite idée de ce qui vous attend.

 

Photo Maroni

Stéphane Caillard, pas super en forme là

 

RENDEZ-VOUS EN TERRE INCONNUE

Si le cadre de l'histoire est magnifiée par la réalisation d'Olivier Abbou (l'énervé Territoires en 2011), parfaitement à l'aise dans la jungle et qui nous offre nombre de tableaux saisissants parcourus d'une lumière et d'une ambiance magnifique, la distribution est au diapason. Qu'il s'agisse de Stéphane Caillard dans le rôle de Chloé, trouble et fragile tout autant qu'obsessionnelle et énervée quand il le faut, ou d'Adama Niane dans celui de Dialo, extraordinaire de sensibilité et de profondeur du début à la fin, le casting impressionne par sa solidité et son investissement. On pourra cependant reprocher quelques seconds-rôles un peu limites (comme le pimp brésilien par exemple) mais, dans l'ensemble, la galerie de personnages présentés et leur interprétation fait plaisir à voir.

 

Photo Maroni

Choc des cultures

 

Malheureusement, tout n'est pas parfait au pays de Maroni. Si l'enquête passe au second-plan en toute logique pour nous dévoiler le coeur de l'histoire, le déroulé du récit pâtit du format imposé par la chaine. 4 épisodes de 45 minutes, c'est beaucoup trop court pour l'aventure riche et dense imaginée par Aurélien Molas. Ce qui occasionne quelques raccourcis et incohérences, fâcheux pour les plus tâtillons mais qui cependant ne parviennent pas à briser l'intérêt manifeste de cette série.

On peut donc féliciter Olivier Abbou et Aurélien Molas pour avoir réussi l'impossible : créer une série française qui conjugue à la fois l'identité de son paysage fictionnel historique tout autant que les grandes ambition qui lui ont donné naissance. Maroni est un très beau voyage et le premier vrai signe qu'il est possible de monter des vrais projets en France. Et c'est pour ça qu'il est obligatoire de regarder cette série et de l'encourager. On en veut plus des séries comme ça, messieurs les diffuseurs !

 

Résumé

Ambitieuse, sincère, folle et très bien exécutée, Maroni est la première très bonne surprise française de l'année 2018. Un voyage au coeur des ténèbres que vous pouvez commencer sur le site d'Arte, qui a mis les 4 épisodes en ligne jusqu'au 8 février, ou simplement attendre sa diffusion à la télé le 25 janvier prochain. En tout cas, bravo.

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commentaires
Nanou
27/01/2018 à 19:20

Je n.ai pas aime surtout la femme flic

benedetto28
22/01/2018 à 08:34

Tu bluffes Maroni !

snake88
20/01/2018 à 23:30

Adama Niane est un excellent acteur assez sous côté: il était genial en Guy George dans l'affaire SK1 !

Thierry
20/01/2018 à 15:35

Vu ce jour. Excellente surprise pour une série française... :)) Gageons, comme il a été dit plus haut, que c'est le début d'autres belles réalisations. Photo de qualité, belle lumière, jeux maîtrisés de la caméra, belle tension dramatique. Bravo !!!

Sab1606
20/01/2018 à 15:24

Hâte de découvrir cette série,

Louig
20/01/2018 à 14:23

On peut aussi remercier Arte pour ces diffusions, wolf hall, peakyi blinders, odysseus, lilyhammer ...

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